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08/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16195

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 octobre 2003, 16195


Tribunal administratif Numéro 16195 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2003 Audience publique du 8 octobre 2003

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Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’entrée et de séjour

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16195 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Trpezi/Berane (Mon

ténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, ten...

Tribunal administratif Numéro 16195 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2003 Audience publique du 8 octobre 2003

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Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’entrée et de séjour

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16195 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Trpezi/Berane (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 juin 2002 par laquelle l’entrée et le séjour lui ont été refusés et par laquelle elle a été invitée à quitter le pays dès la notification de ladite décision ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport.

Par lettre du 13 octobre 2001, envoyée au ministre de la Justice par le fils de Madame …, à savoir Monsieur …, domicilié à L-…, ce dernier sollicita la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de sa mère, afin qu’elle puisse résider au Luxembourg à la suite du décès de son mari survenu en 1993 et en insistant sur le fait qu’elle ne possède aucun moyen d’existence dans son pays d’origine. Il ressort encore dudit courrier qu’à l’époque de ladite demande, Madame … bénéficiait d’un visa touristique valable jusqu’au 23 novembre 2001.

A la suite de la prédite demande, le ministre de la Justice informa Monsieur … …, par courrier du 3 avril 2002, qu’un visa de tourisme ne serait pas prorogeable à l’expiration de sa période de validité, de sorte que sa mère aurait à cette date été en séjour irrégulier au pays et que partant elle était invitée à quitter le pays sans délai. En ce qui concerne la demande tendant au regroupement familial, Monsieur … fut informé par ledit courrier qu’une telle demande devrait être présentée soit dans le pays d’origine de la demanderesse soit dans le pays où elle était autorisée à résider.

1En date du 21 mars 2002, Monsieur … … signa une déclaration de prise en charge en faveur de sa mère, Madame …, afin de s’engager à prendre à sa charge tous les frais de séjour, d’hébergement, d’aide médicale et autres, ainsi que les frais de rapatriement éventuels.

Par arrêté du 27 juin 2002, le ministre de la Justice décida de refuser l’entrée et le séjour à Madame …, en l’invitant à quitter le pays dès la notification dudit arrêté, aux motifs qu’elle se trouvait en séjour irrégulier au pays et qu’elle ne disposait pas de moyens d’existence personnels.

Un recours gracieux a été introduit à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 27 juin 2002 par le mandataire de Madame … auprès du ministre de la Justice en date du 26 septembre 2002, tel que cela ressort des pièces versées par la demanderesse, ainsi que de la lettre de rappel du 17 février 2003.

Il ressort encore dudit courrier du 17 février 2003, qu’à la date de celui-ci, le ministre de la Justice n’avait pas pris position quant audit recours gracieux. Par ailleurs, il échet de relever qu’il ressort de ladite lettre de rappel du 17 février 2003 que suivant les explications fournies par le mandataire de la demanderesse, celle-ci n’aurait plus aucun membre de sa famille résidant dans son pays d’origine et que son état de santé ne lui permettrait pas d’y retourner afin d’y déposer une demande tendant à obtenir une autorisation de séjour au Luxembourg, étant donné qu’elle ne « survivrait pas au voyage ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2003, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 27 juin 2002, dans la mesure où celui-ci lui impose un éloignement du territoire luxembourgeois.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Encore que l’Etat, qui s’est vu notifier le recours sous examen par la voie du greffe en date du 26 mars 2003, n’a pas déposé de mémoire en réponse dans le délai légal et que la demanderesse n’était pas représentée à l’audience publique à laquelle l’affaire a été plaidée, le tribunal est néanmoins amené à statuer contradictoirement à l’égard de toutes les parties à l’instance par application des dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 relative à la procédure à suivre devant les juridictions administratives.

A l’appui de son recours, la demanderesse reprend la même argumentation que celle figurant dans son recours gracieux précité du 26 septembre 2002, en rappelant qu’elle serait veuve depuis 1993, que ses quatre enfants habiteraient au Grand-Duché de Luxembourg, qu’elle ne possèderait plus aucune famille dans son pays d’origine où elle aurait habité seule sans que personne ne se serait occupé d’elle et que dans la mesure où elle serait malade et qu’avant de quitter son pays d’origine, elle aurait senti que son état de santé se serait aggravé, elle aurait eu l’intention de revoir ses enfants, de sorte que, munie d’un visa touristique, elle s’est rendue au Luxembourg le 7 novembre 2001 afin d’y rejoindre sa famille et d’être prise en charge par celle-ci.

La demanderesse reproche tout d’abord au ministre de la Justice d’avoir violé l’article 1er du protocole numéro 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signé en date du 22 novembre 1984, approuvé par une loi du 27 février 1989, 2en ce que l’injonction qui lui a été faite par l’arrêté litigieux de quitter sans délai le Luxembourg violerait la disposition de droit international précitée, étant donné que sa présence sur le territoire national « jusqu’à épuisement de tous ses moyens de recours » ne lèserait en rien les intérêts d’ordre public et ne mettrait pas en danger la sécurité nationale.

Il échet toutefois de constater que la demanderesse ne rentre pas dans le champ d’application de la disposition ainsi visée, dans la mesure où elle ne saurait être considérée comme constituant « un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un Etat », étant donné qu’il n’est pas contesté que depuis l’expiration, en date du 23 novembre 2001 de la durée de validité de son visa, elle n’était plus en possession d’un titre l’autorisant à résider sur le territoire luxembourgeois. Or, à défaut d’être munie d’une autorisation de séjour en bonne et due forme ou de résider au Luxembourg en vertu d’un visa en cours de validité, la demanderesse ne saurait être considérée comme constituant un étranger résidant régulièrement au Luxembourg. Il s’ensuit qu’une violation de ladite disposition de droit international ne saurait être reprochée au ministre de la Justice.

Pour le surplus, la demanderesse reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir tenu compte de ses arguments lui antérieurement soumis dans le cadre de sa demande tendant à obtenir un regroupement familial avec les autres membres de sa famille installés au Grand-

Duché de Luxembourg.

Il échet de constater que le ministre de la Justice était au courant, avant la prise de sa décision litigieuse du 27 juin 2002, de ce que la demanderesse sollicitait la délivrance d’une autorisation de séjour en vertu de son droit d’obtenir le regroupement familial avec les autres membres de sa famille installés au Luxembourg, tel que cela ressort d’un courrier adressé au ministre de la Justice le 13 octobre 2001 par l’un des enfants de la demanderesse. Il échet également de constater à la lecture de la décision sous analyse, que celle-ci ne prend en aucune manière position par rapport à la situation personnelle de l’intéressée, en ce qu’elle ne précise en aucune manière des motifs justifiant son éloignement du pays malgré son argumentation tendant à obtenir son regroupement familial avec le reste de sa famille située au Luxembourg.

En cas d’imprécision des motifs d’un acte administratif, le juge est mis dans l’impossibilité de contrôler leur légalité. Si les éléments du dossier ne lui permettent pas de substituer des motifs légaux, la décision est à annuler (trib. adm. 14 mai 1997, n° 9632 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure administrative non contentieuse, IV. Motivation de la décision administrative, n° 42 et autres références y citées).

En l’espèce, non seulement la décision litigieuse est en défaut de préciser les motifs suivant lesquels le regroupement familial de la demanderesse avec les autres membres de sa familial pourrait à bon droit être refusé mais également, du fait de la non représentation de l’Etat au cours de la présente instance, le tribunal ne s’est pas vu produire une motivation complémentaire permettant de pallier aux lacunes de la décision. Enfin, les pièces versées au greffe du tribunal par la demanderesse, qui constituent les seules pièces se trouvant à la disposition du tribunal, ne permettent pas de dégager d’éléments de nature à constituer des motifs légaux susceptibles de justifier la décision ministérielle dans la mesure où elle n’a pas fait droit à la demande tendant au regroupement familial. Il s’ensuit que le juge administratif est mis dans l’impossibilité de contrôler la légalité de la décision ministérielle, de sorte que celle-ci encourt l’annulation.

3 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en annulation la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre de la Justice du 27 juin 2002 dans la mesure où celle-ci a ordonné à la demanderesse de quitter le pays dès la notification dudit arrêté ;

renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 8 octobre 2003 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16195
Date de la décision : 08/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-08;16195 ?

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