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08/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16182

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 octobre 2003, 16182


Tribunal administratif N° 16182 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mars 2003 Audience publique du 8 octobre 2003 Recours formé par Madame …, … (F) contre 1) une décision du bureau RTS Esch-sur-Alzette et 2) une décision du bureau d’imposition Sociétés, Esch-sur-Alzette de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur les traitements et salaires et d’impôt sur le revenu de capitaux

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16182 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mars 2003 par Maître C

harles OSSOLA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,...

Tribunal administratif N° 16182 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mars 2003 Audience publique du 8 octobre 2003 Recours formé par Madame …, … (F) contre 1) une décision du bureau RTS Esch-sur-Alzette et 2) une décision du bureau d’imposition Sociétés, Esch-sur-Alzette de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur les traitements et salaires et d’impôt sur le revenu de capitaux

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16182 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mars 2003 par Maître Charles OSSOLA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à F-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1. d’un bulletin d’appel en garantie daté du 28 janvier 2002, émis par le bureau RTS Esch/Alzette, ainsi que 2. d’un bulletin d’appel en garantie daté du 30 janvier 2002, émis par le bureau d’imposition Sociétés Esch/Alzette ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie ROELENS, en remplacement de Maître Charles OSSOLA, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-

Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er octobre 2003.

En date du 28 janvier 2002, le bureau d’imposition RTS Esch/Alzette a émis à l’encontre de Madame …, prise en sa qualité d’administrateur de la société anonyme X. S.A., actuellement en faillite, ci-après appelée « la société X. », un bulletin d’appel en garantie (Haftungsbescheid) en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts, dite « Abgabenordnung », ci-après appelée « AO », pour le paiement des sommes retenues ou à retenir au titre d’impôt sur les salaires par la société X. pour l’exercice 1997, ainsi que des intérêts de retard y relatifs, pour un montant total s’élevant à 4.041,55 €.

Le 30 janvier suivant, le bureau d’imposition Sociétés Esch/Alzette a également émis à son encontre et en sa même qualité un bulletin d’appel en garantie en vertu du paragraphe 118 AO pour le paiement de l’impôt qui était à retenir et à verser par la société X. sur les revenus de capitaux distribués au cours des exercices 1996, 1997 et 1998, ainsi que des intérêts de retard y relatifs pour un montant total s’élevant à 29.149,82 €.

Par courriers de son mandataire de l’époque datant respectivement du 3 février et 9 juillet 2002, Madame … a fait introduire à l’encontre de chacun de ces deux bulletins une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-

après par « le directeur ». Ces réclamations étant restées sans suite, elle a fait déposer en date du 25 mars 2003 un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des bulletins d’appel en garantie prévisés datant respectivement des 28 et 30 janvier 2002.

Le délégué du Gouvernement conclut principalement à l’irrecevabilité du recours en faisant valoir qu’il s’agirait d’une requête collective présentant deux affaires distinctes comme ayant trait à une seule décision et empiétant ainsi au pouvoir du tribunal de joindre ou non des affaires connexes.

Tout en se ralliant aux observations du délégué du Gouvernement tendant à relever que s’agissant de deux décisions administratives distinctes à la fois quant à leur objet et quant à l’autorité dont elles émanent, la demanderesse aurait dû déposer deux requêtes introductives d’instance séparées, le tribunal constate néanmoins qu’aucune atteinte effective aux droits de la défense de l’Etat n’est établie, voire alléguée en cause. Il s’ensuit que dans la mesure où conformément aux dispositions de l’article 29 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense, la carence invoquée au niveau de la procédure suivie en l’espèce par la demanderesse n’est pas de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours.

Les deux bulletins déférés au tribunal émis respectivement les 28 et 30 janvier 2002 à l’encontre de la demanderesse étant à assimiler, conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, à un bulletin d’impôt fixant une cote d’impôt en ce qui concerne le régime des voies de recours, le tribunal administratif a compétence pour connaître des contestations y relatives en tant que juge du fond.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, de sorte que le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, doit être déclaré irrecevable.

Le contribuable dont la réclamation n’a pas fait l’objet d’une décision définitive du directeur dans un délai de six mois ayant le droit, en vertu des dispositions de l’article 8 (3) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, de déférer directement au tribunal le bulletin qui a fait l’objet de la réclamation, le recours en réformation introduit en date du 25 mars 2003 est recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

1. Concernant le bulletin déféré du 28 janvier 2002 La décision déférée du bureau RTS d’Esch-sur-Alzette du 28 janvier 2002 a déclaré la demanderesse co-débitrice solidaire des retenues d’impôt qui auraient dû être effectuées par la société X. sur les traitements et salaires de son personnel et dont le paiement à l’administration des Contributions directes n’avait pas été effectué pour l’exercice 1997, ainsi que pour les intérêts de retard y relatifs, soit au total pour la somme de 4.041,55 €, au motif qu’ « en vertu des paragraphes 103 et 108 de la loi générale des impôts (AO) vous êtes obligée en votre qualité d’administrateur de la SA X., de payer sur les fonds administrés les impôts, dont la société est redevable. En omettant de verser à l’administration des contributions les sommes retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires, vous avez commis une faute grave, engageant votre responsabilité personnelle (paragraphe 109 AO), responsabilité qui continue à exister après la cessation de commerce de la société (paragraphe 110 AO) ».

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir qu’elle n’a jamais été en charge de la gestion journalière de la société X. et que l’administrateur délégué en aurait été Monsieur B., qu’elle n’aurait été administrateur de cette société que pendant la période commençant le 28 novembre 2000 et se terminant le 9 octobre 2001, soit une période postérieure à l’année d’imposition en cause, qu’elle n’aurait pas non plus disposé du pouvoir de signature sur les comptes bancaires de la société et que, eu égard à l’ensemble de ces circonstances, la décision litigieuse devrait dès lors encourir la réformation faute d’avoir retenu dans son chef une inexécution fautive de ses obligations en tant que représentant de la société envers le fisc.

Le délégué du Gouvernement prend position en exposant que l’administrateur de société, délégué ou non, est tenu à ce titre de veiller à ce que les obligations fiscales de la société soient remplies sous peine d’engager sa responsabilité en cas de faute, mais qu’il ne répondrait des retenues qui étaient échues avant son entrée en fonctions que s’il a fautivement omis de régulariser la situation de la société. Il relève plus particulièrement que les impôts d’ores et déjà en souffrance ne bénéficient d’un privilège que dans le cadre des voies d’exécution, de sorte que ni le redevable, ni son représentant ne seraient obligés d’affecter les liquidités disponibles au paiement d’impôts en souffrance plutôt qu’au paiement d’autres dettes, pour peu qu’ils respecteraient l’égalité des créanciers. Il estime qu’en l’espèce la faute que suppose l’appel en garantie pour des retenues échues depuis des mois, voire des années au moment où la recourante a pris ses fonctions ne saurait être considérée comme étant établie par présomption, tout comme par ailleurs la responsabilité des dirigeants se limiterait aux créances d’impôt qui sont restées en souffrance par leur faute, à l’exclusion de toute somme qui ne répondrait pas à la définition de l’impôt inscrite au paragraphe 1er AO, de sorte que le dirigeant ne répondrait personnellement ni des frais de poursuite ni des sanctions encourues à titre de suppléments ou d’intérêts de retard par la société.

En vertu des dispositions de l’article 136 (4) de la loi modifiée du 4 novembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (LIR), l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».

Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du non-paiement des impôts litigieux, il y a lieu de se référer plus particulièrement aux dispositions du paragraphe 109 AO, qui dispose dans son alinéa (1) que : « die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind ».

Il se dégage de ces dispositions légales sous revue que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers le fisc.

Le paragraphe 7 (3) de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934 maintenue en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, appelée « Steueranpassungsgesetz » (StAnpG), disposant par ailleurs que « jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

Conformément au paragraphe 2 StAnpG disposant dans son alinéa (1) que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision.

En l’espèce, le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle de la demanderesse en sa qualité d’administrateur de la société X. en relevant à l’appui de sa décision l’omission dans son chef de verser à l’administration des Contributions directes les sommes retenues ou qui auraient dû l’être au titre d’impôt sur les salaires.

Il se dégage des pièces versées au dossier et il n’est pas contesté en cause que Madame … fut nommée administrateur de la société X. par décision de l’assemblée générale extraordinaire du 28 novembre 2000 seulement et que son mandat a expiré, par suite de démission, le 9 octobre 2001, de sorte qu’elle ne saurait en tout état de cause se voir reprocher de ne pas avoir effectué les retenues obligatoires sur les sommes allouées au titre de traitements et de salaires par la société et omis de les continuer aux receveurs des contributions à l’échéance au cours de l’année d’imposition 1997, étant donné qu’à cette époque elle n’était pas encore entrée en fonctions.

Force est encore de constater que la décision déférée ne permet pas de dégager les raisons susceptibles, en raison et en équité, de justifier la décision de poursuivre la demanderesse et d’engager sa responsabilité personnelle en raison d’un comportement fautif dans son chef en rapport avec la non-régularisation de la situation de la société concernant les impôts en souffrance au moment où Madame … a pris ses fonctions d’administrateur de la société, de sorte que le bureau d’imposition a méconnu les conditions de la qualification de la responsabilité personnelle du dirigeant de société au sens du paragraphe 109 AO et l’obligation d’appréciation inhérente à son propre pouvoir pour la mettre en œuvre.

Par ailleurs, ni le bulletin litigieux ni encore les pièces versées en cause ne permettent de dégager les raisons susceptibles en raison et en équité de justifier la décision de poursuivre la demanderesse et d’engager sa responsabilité du fait d’un comportement fautif dans son chef, en sa qualité de simple administrateur de la société X., plutôt que d’un autre administrateur en fonction pendant la période concernée.

2. Quant au bulletin déféré du 30 janvier 2002 Les moyens globalement avancés en cause par la demanderesse se rapportant à la fois au bulletin d’appel en garantie émis le 28 janvier 2000 et à celui sous examen émis le 30 janvier 2002 par le bureau d’imposition Sociétés d’Esch-sur-Alzette, force est encore de constater que c’est à juste titre que la demanderesse a signalé ne pas avoir assumé la fonction d’administrateur de la société X. pendant les années 1996, 1997 et 1998 concernées par le bulletin litigieux du 30 janvier 2002. Ledit bulletin étant pourvu d’une motivation libellée en termes identiques à celle prérelatée retenue à la base du bulletin également litigieux du 28 janvier 2002, force est encore de constater que la décision déférée ne permet pas de dégager les raisons susceptibles, en raison et en équité, de justifier la décision de poursuivre la demanderesse et d’engager sa responsabilité personnelle en raison d’un comportement fautif dans son chef en rapport avec la non-régularisation des impôts en souffrance de la société X.

pendant les années litigieuses et relatifs à l’impôt sur le revenu des capitaux, de sorte que le bureau d’imposition compétent a méconnu à la fois les conditions de qualification de la responsabilité personnelle des dirigeants de société au sens du paragraphe 109 AO et l’obligation d’appréciation inhérente à son propre pouvoir pour la mettre en œuvre.

Concernant les intérêts de retard mis à charge de la demanderesse pour les deux bulletins litigieux en rapport avec les impôts respectivement en souffrance, il y a lieu de se rallier aux développements afférents du délégué du Gouvernement plaidant en faveur de l’exclusion de ces sommes du champ d’application de la responsabilité personnelle du dirigeant de sociétés en tant que ces intérêts de retard ne répondent pas à la définition de créance d’impôt, mais constituent essentiellement une sanction en raison de l’inobservation d’une prescription légale ou réglementaire.

Dans la mesure où le contrôle de la légalité externe d’un acte doit précéder celui de son bien fondé, il y a lieu de retenir en l’espèce que dans le cadre du recours en réformation, les décisions déférées émanant respectivement du bureau RTS et du bureau d’imposition Sociétés d’Esch-sur-Alzette encourent chacune l’annulation pour erreur de droit.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule, dans le cadre du recours en réformation, les bulletins d’appel en garantie déférés et renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes aux fins de transmission aux bureaux respectivement compétents ;

met les frais à charge de l’Etat.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 octobre 2003 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, en présence de M. Rassel, greffier assumé.

Rassel Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16182
Date de la décision : 08/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-08;16182 ?

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