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08/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16131

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 octobre 2003, 16131


Tribunal administratif N° 16131 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2003 Audience publique du 8 octobre 2003 Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16131 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2003 par Maître Marisa ROBERTO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Ballaban (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement

à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 janvie...

Tribunal administratif N° 16131 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2003 Audience publique du 8 octobre 2003 Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16131 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2003 par Maître Marisa ROBERTO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Ballaban (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 janvier 2003, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Marisa ROBERTO, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

En date du 3 octobre 2002, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date du 8 octobre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 24 janvier 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous exposez que vous êtes venue rejoindre vos parents, qui sont demandeurs d’asile au Luxembourg. En effet, vous seriez enceinte et vous auriez peur de rester toute seule en Albanie. Vous n’auriez plus de contact avec le père de votre futur enfant.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que le fait d’être enceinte et de ne pas vouloir rester seule dans votre pays ne saurait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève.

De même, s’il est compréhensible que vous désiriez vivre chez vos parents, ce désir ne saurait entrer dans le cadre de la prédite Convention.

En conséquence, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 17 mars 2003, Madame … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 24 janvier 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Madame … reproche au ministre de la Justice d’avoir procédé à une appréciation erronée tant de sa situation personnelle que de celle de sa famille, en exposant que même si elle accepte que son état de grossesse lors de son arrivée au Luxembourg ne saurait constituer une raison suffisante pour justifier une demande d’asile, il n’en serait pas de même de sa volonté de rejoindre sa famille au Grand-Duché de Luxembourg, au vu des persécutions dont celle-ci aurait été victime dans son pays d’origine.

Dans ce contexte, elle s’oppose à ce que sa situation individuelle soit analysée sans tenir compte de celle de ses parents qui, au jour de l’introduction de sa demande d’asile, auraient été demandeurs d’asile à Luxembourg depuis plus de deux ans.

En ce qui concerne la situation de ses parents, elle insiste sur le fait que ceux-ci auraient été membres du parti politique « Legaliteti », parti politique de l’opposition albanaise et que son père aurait eu « plusieurs problèmes » avec la police albanaise, notamment en raison de ses convictions politiques et de son appartenance au parti politique précité. Ainsi, il aurait été battu et torturé en janvier 1997, par la police judiciaire contre laquelle il aurait par la suite porté plainte. Il aurait à nouveau fait l’objet d’actes de torture au mois de janvier 1999 de la part de « deux policiers masqués », à la suite desquels il aurait dû être hospitalisé. Sa mère, quant à elle, aurait été battue par des agents de police au cours de son état de grossesse en juin 1998, et à la suite de cet incident, elle aurait dû avorter. Enfin, elle expose que ses parents auraient en vain recherché la protection des autorités de l’Etat albanais.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte qu’elle serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse. Il appartient à la demanderesse d’asile d’établir avec la précision requise qu’elle remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition précitée du 8 octobre 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En ce qui concerne le premier motif invoqué par la demanderesse au cours de son audition justifiant le départ de son pays d’origine pour se rendre au Luxembourg, à savoir sa grossesse, il n’y a pas lieu d’y insister davantage, étant donné que la demanderesse admet elle-même à bon droit, dans la requête introductive d’instance, qu’un tel motif n’est pas prévu par la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié.

Pour le surplus, la deuxième et dernière raison invoquée par elle pour quitter son pays d’origine constitue le fait qu’elle voulait rejoindre ses parents installés au Luxembourg en tant que demandeurs d’asile, étant donné qu’elle ne souhaitait pas « vivre toute seule » dans son pays d’origine. Elle ne fait cependant pas état de problèmes qu’elle aurait personnellement eu dans son pays d’origine depuis le départ de ses parents, mais elle souhaitait rejoindre ceux-ci, en raison du fait qu’elle avait « peur de vivre seule en Albanie », où il n’y aurait eu « personne pour [l’]aider », d’autant plus qu’elle n’a plus de contact avec le père de son enfant. En substance, elle reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir analysé sa situation personnelle en considération de celle dont ont fait état ses parents dans le cadre de leur demande d’asile.

Or, il échet de constater, comme l’a relevé le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, que par arrêt du 3 avril 2003 les parents de la demanderesse, à savoir Monsieur … et sa mère, Madame …, ont été déboutés de leur acte d’appel dirigé contre un jugement rendu le 4 décembre 2002 par le tribunal administratif qui a déclaré leur demande d’asile non fondée, au vu notamment de la crédibilité douteuse des faits tels que présentés par eux et de fausses déclarations faites sciemment au cours de leurs auditions par devant les agents du ministère de la Justice, ces constatations ayant enlevé toute pertinence à leur sentiment de crainte de persécution en raison de leur appartenance à un parti politique.

Au vu du fait que la demanderesse n’a pas invoqué de craintes de persécution ou persécutions propres et qu’elle s’est simplement ralliée aux motifs invoqués par ses parents dans le cadre de leurs demandes d’asile et que celles–ci ont été déclarées non fondées en dernière instance par la Cour administrative, tel que cela ressort de son arrêt du 3 avril 2003, il y a lieu de décider que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié de Madame … comme n’étant pas fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 8 octobre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16131
Date de la décision : 08/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-08;16131 ?

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