La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16949

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 octobre 2003, 16949


Tribunal administratif N° 16949 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 septembre 2003 Audience publique du 2 octobre 2003

===============================

Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16949 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Seme (Bénin), de nationalité béninoise, demeuran...

Tribunal administratif N° 16949 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 septembre 2003 Audience publique du 2 octobre 2003

===============================

Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16949 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Seme (Bénin), de nationalité béninoise, demeurant à L-…, actuellement en détention préventive au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 juin 2003, notifiée par lettre recommandée le 18 juin 2003, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du 4 août 2003, rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Joram MOYAL, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Monsieur … introduisit en date du 12 mai 2003 auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Par lettre du ministre de la Justice du 13 mai 2003, Monsieur … fut convoqué afin de se présenter le 2 juin 2003 au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile en vue de son audition dans le cadre de sa demande d’asile, avec l’information qu’en cas d’absence non excusée à la date en question, ledit ministre estimera que sa demande d’asile « pourra être considérée comme manifestement infondée au sens de l’article 6 2 f) du règlement grand-

ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ». Ladite lettre a été réceptionnée par Monsieur … le 13 mai 2003 et il ressort d’une inscription manuscrite figurant sur la minute de ladite lettre que Monsieur … ne s’est pas présenté à l’audition en question.

Par un courrier subséquent du ministre de la Justice du 5 juin 2003, Monsieur … fut à nouveau convoqué à une nouvelle audition fixée au 11 juin 2003, ledit courrier ayant toutefois été retourné au ministère de la Justice, au motif qu’il n’a pas été réclamé par son destinataire.

Par lettre du 17 juin 2003, envoyé par lettre recommandée le 18 juin de la même année, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« Il résulte des informations en nos mains que depuis votre dépôt de demande d’asile vous ne vous êtes plus présenté au Bureau d’accueil pour demandeurs d’asile. Vous ne vous êtes pas non plus présenté auprès de nos services après y avoir été convoqué à deux reprises pour une audition concernant les motifs de votre demande d’asile. Ces auditions étaient prévues pour le 2 juin 2003 et le 11 juin 2003.

Ce comportement doit être interprété comme un refus de collaboration manifesté de votre part et considéré comme omission flagrante de vous acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile.

En effet, selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Par ailleurs, l’article 6 paragraphe 2f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur a omis de manière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile. » Vous n’invoquez par ailleurs aucune crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A la suite d’un recours gracieux daté du 18 juillet 2003, réceptionné par le ministère de la Justice le 22 juillet de la même année, dirigé contre la décision ministérielle précitée du 17 juin 2003, adressé au ministre de la Justice, ce dernier confirma la décision initiale par une décision du 4 août 2003, envoyée par lettre recommandée le 6 août 2003 au mandataire de Monsieur ….

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, dispose expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Il s’ensuit que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours en annulation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur déclare être de nationalité béninoise et avoir travaillé dans le port de Kotonou au Bénin, pays qui serait « loin de pouvoir être considéré comme stable » et où il aurait subi des persécutions qui l’auraient obligé à quitter le territoire, sa fuite de son pays d’origine étant également motivée par « l’instabilité » y régnant.

Il reproche au ministre de la Justice d’avoir insuffisamment motivé ses décisions et d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits, en ce qu’il lui a reproché de ne pas avoir invoqué de craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, alors qu’à défaut d’audition, il ne lui aurait pas été possible de s’exprimer quant à sa situation personnelle telle qu’il l’aurait vécue au Bénin, de sorte que les décisions critiquées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation et non respect de ses droits.

En ce qui concerne le reproche qui lui a été adressé de la part du ministre de la Justice quant à sa non présentation au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile, il signale que l’attestation émise par le ministre de la Justice en sa faveur en date du 12 mai 2003, certifiant qu’il a présenté une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, aurait pour la dernière fois été prolongée jusqu’au 2 août 2003, ce qui témoignerait de ce qu’il se serait présenté régulièrement au bureau d’accueil dans le cadre de l’instruction de sa demande d’asile. Il relève encore dans ce contexte que ce ne serait que postérieurement à la date du 2 août 2003 qu’il n’aurait plus été en mesure de se présenter au bureau d’accueil en raison de son incarcération au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig dans le cadre d’une instruction pénale.

Quant à sa non présentation, à deux reprises, audit bureau d’accueil pour qu’il puisse s’exprimer au sujet de ses craintes de persécution ou persécutions subies dans son pays d’origine, il fait valoir que son défaut de présentation n’aurait pas été intentionnel, étant donné qu’il n’aurait pas reçu « tous les courriers qui lui ont été adressés de la part du Ministre de la Justice du fait qu’il séjourne normalement au Camping Officiel de Diekirch, ce qui rend la distribution du courrier difficile et ce qui implique que le requérant n’était pas au courant de toutes les convocations qui lui ont été adressées ». En outre, dans la mesure où il n’aurait que « des connaissances très faibles de la langue française », il aurait eu des difficultés de comprendre le « français administratif », de sorte qu’il lui aurait été « matériellement impossible » de se présenter aux deux auditions telles que fixées par le ministre de la Justice.

Il reproche encore au ministre d’avoir conclu à sa mauvaise foi du seul fait de sa non présentation auxdites auditions, sans prendre en considération les circonstances exactes se trouvant à la base de sa non collaboration avec les services du ministère de la Justice.

Le délégué du gouvernement estime que le reproche adressé au ministre de la Justice suivant lequel il n’aurait pas respecté les droits du demandeur, ne serait pas fondé, au motif que le demandeur, du fait de ne pas se présenter aux dates prévues pour son audition par un agent du ministère de la Justice, ce serait lui-même mis dans une situation dans laquelle il n’a pas pu exprimer ses éventuelles craintes de persécution ou persécutions subies dans son pays d’origine, de sorte que le ministre de la Justice aurait à bon droit pu conclure au fait que le demandeur n’invoquerait aucune crainte de persécution. Dans ce contexte, le représentant étatique estime que le demandeur serait malvenu de faire état du non respect de ses droits, étant donné qu’à deux reprises, il a été convoqué à une audition auprès du ministère de la Justice, la première convocation lui ayant d’ailleurs été remise en mains propres et la deuxième lui ayant été envoyée par un courrier recommandé. Ainsi, il y aurait lieu de conclure à un défaut de collaboration de la part du demandeur dans le cadre de l’instruction de sa demande d’asile, d’autant plus qu’à la suite de l’expiration de la validité de son attestation de demandeurs d’asile en date du 2 juin 2003, il ne se serait plus présenté au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile jusqu’à la date du 25 juin 2003. Ainsi, la décision prise par le ministre de la Justice en date du 17 juin 2003 aurait valablement pu faire référence à la non collaboration du demandeur du fait de sa non présentation, à deux reprises, aux bureaux du ministère de la Justice.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait encore état du fait qu’il n’a pas pu prendre connaissance de la deuxième convocation à une audition auprès des services du ministère de la Justice, étant donné qu’il n’aurait pas été mis en mesure de lire le courrier en question du fait, d’une part, de son retour au ministère sans avoir été réclamé par son destinataire et, d’autre part, qu’il aurait souvent été « en dehors de l’enceinte du camping », de sorte qu’il n’aurait pas eu l’occasion de trouver une information du facteur concernant le dépôt de la lettre recommandée aux guichets de la poste de Diekirch. Ainsi, il serait faux de prétendre qu’il aurait agi de mauvaise foi, en s’absentant sciemment des auditions fixées au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile.

Cette vision des choses est formellement contestée par le délégué du gouvernement dans son mémoire en duplique, qui insiste sur le fait que la première convocation a été remise en mains propres au demandeur en date du 13 mai 2003, de sorte que sa mauvaise foi serait « manifestement établie ».

En vertu de l’article 6, paragraphes 1) et 2), f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel est le cas notamment lorsque le demandeur a : (…) omis de manière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile ;

(…)».

En l’espèce, force est de constater que faute d’avoir participé activement à l’instruction de sa demande d’asile, le demandeur a mis les autorités luxembourgeoises dans l’impossibilité d’examiner, outre la situation générale régnant au Bénin, sa situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement s’il a raison de craindre d’être persécuté pour un des motifs visés par la Convention de Genève.

Dans ce contexte, le demandeur est malvenu de critiquer le défaut d’instruction suffisante de sa demande d’asile, étant donné que cet état des choses tient essentiellement au fait qu’il n’a pas participé activement à l’instruction de son dossier et, que face à un demandeur qui ne se présentait pas à une première audition fixée au 2 juin 2003, après avoir reçu notification personnelle de la convocation le 13 mai 2003 et qui ne retira pas la convocation du 5 juin 2003 auprès de l’entreprise des Postes et Télécommunications, à la suite de sa notification en bonne et due forme à son adresse officielle, tel que cela se dégage du dossier administratif, on ne saurait reprocher au ministre de la Justice de ne pas avoir entrepris de diligences suffisantes pour convoquer le demandeur. – Par ailleurs, force est encore de relever que ni dans le cadre de son recours gracieux, ni encore dans le cadre du recours contentieux, le demandeur n’a fait état du moindre élément de persécution susceptible de rentrer dans le cadre des motifs visés par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a constaté que le demandeur a omis, de manière flagrante, de s’acquitter d’obligations importantes imposées par la législation applicable en matière de demandes d’asile, en ne permettant pas à un agent du ministère de la Justice de l’interroger sur les motifs de persécution susceptibles de rentrer dans le cadre du champ d’application de la Convention de Genève.

Cette conclusion ne saurait être énervée par la prétendue mauvaise compréhension de la langue française par le demandeur ni par le fait qu’il n’aurait pas toujours été à l’adresse officielle de son domicile au Luxembourg, notamment du fait de son incarcération. En effet, il ne saurait invoquer ses propres négligences et sa propre turpitude pour reprocher au ministre de la justice de ne pas l’avoir interrogé sur ses craintes de persécutions ou ses persécutions au sens de la Convention de Genève. Il échet encore de souligner dans ce contexte que non seulement le ministre lui a adressé lesdites convocations dans l’une des trois langues administratives du pays, aucune obligation n’existant à sa charge de rédiger une décision administrative dans la langue maternelle du destinataire, mais encore que les convocations lui ont été adressées à une période à laquelle il ne séjournait pas encore en détention préventive au centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, étant donné que d’après ses propres affirmations, il a été incarcéré seulement au mois d’août 2003, alors que les convocations lui ont été adressées aux mois de mai et juin 2003.

Il suit de ce qui précède que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 2 octobre 2003 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16949
Date de la décision : 02/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-02;16949 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award