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02/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16175

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 octobre 2003, 16175


Tribunal administratif N° 16175 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2003 Audience publique du 2 octobre 2003

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Recours formé par Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16175 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2003 par Maître Bob PIRON, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Vitomirica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), ...

Tribunal administratif N° 16175 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2003 Audience publique du 2 octobre 2003

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Recours formé par Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16175 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2003 par Maître Bob PIRON, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Vitomirica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 octobre 2002, notifiée en date du 20 décembre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du 24 février 2003, rendue par le même ministre suite à un recours gracieux introduit par la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

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En date du 3 septembre 2002, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date du 16 octobre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame … par lettre du 22 octobre 2002, notifiée en date du 20 décembre 2002, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 3 septembre 2002 que vous auriez quitté Novi Pazar le 1er septembre pour vous rendre en camionnette au Luxembourg, où vous seriez arrivée le 3 septembre 2002.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le même jour.

Il résulte de vos déclarations que votre mari aurait disparu le 17 juin 1999. Il serait rentré du Monténégro, où vous auriez trouvé refuge lors de la guerre du Kosovo, pour rentrer chez vous à Pec. Vous croyez qu’il aurait été pris par des Albanais, mais vous ignorez les conditions exactes de sa disparition.

Vous ne pourriez pas habiter au Kosovo. Vous ne parleriez pas l’albanais. On vous aurait fait des remarques. Vous dites être sans protection. Des personnes seraient venues frapper à votre porte pendant la nuit.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Concernant la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutée dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Ainsi, les motifs (remarques, des personnes qui viennent frapper à la porte) que vous invoquez ne sont pas d’une gravité telle qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. Le fait que votre mari aurait disparu et que vous seriez sans protection n’est pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève. Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Par ailleurs, les groupements d’Albanais ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer au Monténégro, où vous avez par ailleurs de la famille ou en Serbie pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Il faut souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vues attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Ainsi une persécution systématique de[s] minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par courrier de son mandataire du 20 janvier 2003, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 octobre 2002.

Le 24 février 2003, le ministre confirma sa décision initiale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2003, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles des 22 octobre 2002 et 24 février 2003.

L’article 12 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire du Kosovo, qu’elle ferait partie de la communauté « bochniaque » et qu’elle aurait dû quitter son pays d’origine, craignant pour son intégrité physique, en raison des menaces de la part de membres de la communauté albanaise. Elle fait exposer que son mari aurait disparu en date du 16 juin 1999 et qu’il aurait probablement été tué, qu’elle aurait contacté les autorités de son pays d’origine pour obtenir des informations sur cette disparition et qu’elle aurait fait l’objet par la suite de nombreuses menaces. La demanderesse relate plus particulièrement que des personnes inconnues lui auraient fait des remarques et seraient venues frapper à sa porte pendant la nuit et qu’après son départ du Kosovo, des personnes masquées auraient fait savoir à ses parents qu’elle subirait le même sort que son mari.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Madame ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition du 16 octobre 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies y a été mise en place.

Il convient encore d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des traitements discriminatoires.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bosniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Bosniaques au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à ladite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Force est de constater que les craintes exprimées par la demanderesse s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que la demanderesse n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’elle n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. En effet, comme la demanderesse a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 2 octobre 2003 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16175
Date de la décision : 02/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-02;16175 ?

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