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02/10/2003 | LUXEMBOURG | N°15978

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 octobre 2003, 15978


Tribunal administratif N° 15978 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2003 Audience publique du 2 octobre 2003

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Recours formé par M. …, … contre deux décisions du ministre de l’Intérieur en matière de protection des eaux souterraines

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15978 du rôle, déposée le 12 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Die

kirch, au nom de M. …, cultivateur, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiai...

Tribunal administratif N° 15978 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2003 Audience publique du 2 octobre 2003

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Recours formé par M. …, … contre deux décisions du ministre de l’Intérieur en matière de protection des eaux souterraines

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15978 du rôle, déposée le 12 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, cultivateur, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Intérieur du 16 juillet 2002, portant le n° 024/D/02, refusant de lui accorder l’autorisation pour le prélèvement des eaux souterraines aux fins d’usage domestique privé, de nettoyage et d’abreuvage du bétail sur un terrain sis à P., section B de X., inscrit au cadastre de la commune de X. sous le n° …, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 12 novembre 2002 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 avril 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2003 au nom de la partie demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Luc BIRGEN, en remplacement de Maître Pol URBANY, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Au cours de l’année 1999, Monsieur …, constatant que le puits installé depuis 1865 sur son terrain sis à P., section B de X., inscrit au cadastre de la commune de X. sous le n° …, avait cessé de lui fournir de l’eau, procéda à l’installation d’un nouveau forage-captage d’eau à quelques mètres de l’ancien puits.

Le 15 juin 2002, Monsieur … s’adressa au ministre de l’Intérieur et sollicita, sur base de la loi modifiée du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de l’eau « l’autorisation pour le captage d’eau de notre puits existant de l’année 1865 d’une profondeur de 14 mètres qui a été approfondi à 32 mètres pour rejoindre l’eau sur un niveau régulier, le niveau a été baissé à cause des forages et captages par l’Etat à Everlange. (…) ».

Le 3 juillet 2002, Mme M.-F. S., géologue engagée aux services de la gestion de l’Eau du ministère de l’Intérieur, émit un avis négatif relativement à ladite demande d’autorisation.

Le 16 juillet 2002, le ministre de l’Intérieur refusa l’autorisation sollicitée par Monsieur …. L’arrêté ministériel est libellé comme suit :

« Vu la demande présentée par Monsieur …, , rue, L- P., aux fins d’obtenir l’autorisation de prélever des eaux souterraines aux fins d’usage domestique privé, de nettoyage et d’abreuvage du bétail sur un terrain sis à P., section B de X., inscrit au cadastre sous le numéro … de la commune de X..

Considérant (…) qu’il s’agit d’un forage-captage existant et que les travaux d’approfondissement de 14 à 31 mètres ont été réalisés sans être en possession des autorisations requises ;

Considérant que le forage est localisé en proximité du forage-captage exploité par la commune de X. pour l’approvisionnement en eau potable et constitue une source de pollution potentielle de l’eau souterraine, risquant de compromettre leur utilisation comme ressource d’eau potable à la fois du point de vue qualificatif et quantitatif ;

Considérant que l’aquifère visé par la présente demande est celui du Bundsandstein, aquifère refermant une nappe d’eau qui doit être considérée comme nappe d’importance nationale, exploitée en eau potable par plusieurs forages-captages publics dans la région ;

Vu la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de l’eau ;

Vu le plan de situation et celui des lieux ;

Que partant il y a lieu de refuser, dans l’intérêt d’une protection optimale des réserves de l’aquifère du Buntsandstein, l’autorisation sollicitée pour le prélèvement d’eau ;

ARRÊTE :

Article 1er : L’autorisation sollicitée pour le prélèvement des eaux souterraines aux fins d’usage domestique privé, de nettoyage et d’abreuvage du bétail sur un terrain sis à P., section B de X., inscrit au cadastre sous le numéro … de la commune de X., est refusée pour les motifs suivants :

Le forage est localisé en proximité du forage-captage exploité par la commune de X.

pour l’approvisionnement en eau potable et constitue une source de pollution potentielle de l’eau souterraine, risquant de compromettre leur utilisation comme ressource d’eau potable à la fois du point de vue qualitatif et quantitatif.

L’aquifère visé par la présente demande est celui du Bundsandstein, aquifère refermant une nappe d’eau qui doit être considérée comme masse d’eau d’importance nationale, exploitée en eau potable par plusieurs forages-captages publics dans la région.

Cette ressource hydrique souterraine d’importance nationale doit être réservée aux seuls usages d’approvisionnement public en eau potable.

Article 2 :

La colonne de captage déjà installée dans le forage doit être retirée. Le colmatage du trou de foration doit être assuré par un remplissage d’un coulis de ciment-

bentonite. Ces travaux sont à exécuter, dans un délai de 3 mois après réception de la présente, par une firme spécialisée en la matière et choisie en accord avec le Ministère de l’Intérieur, Services de la Gestion de l’Eau. La firme doit faire parvenir au Ministère de l’Intérieur, Services de la Gestion de l’Eau, un rapport de chantier mentionnant les outils mis en œuvre et fournissant des indications sur la profondeur de l’ouvrage, le niveau d’eau, l’équipement retiré ainsi que sur la nature du coulis et les quantités de ciment-bentonite mis en œuvre. Ce rapport doit être envoyé au Ministère de l’Intérieur, Services de la Gestion d’Eau, dans un délai de 4 mois après réception de la présente.

Article 3 :

Contre la présente décision d’autorisation un recours peut être interjeté auprès du Tribunal Administratif, qui statuera comme juge du fond. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 40 jours à partir de la notification de la présente décision, par requête signée d’un avocat ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire du demandeur le 26 août 2002, le ministre confirma sa décision initiale le 12 novembre 2002 dans les termes suivants :

« Maître, En mains votre courrier du 26 août 2002.

Les 7 considérations développées dans votre recours relèvent de ma part les observations suivantes :

1.

Même si le puits litigieux existe depuis 137 ans, il n’en reste pas moins que le prélèvement d’eau n’est pas conforme à la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de l’eau puisqu’il aurait dû faire l’objet d’une déclaration au titre de l’article 11 de la loi précitée.

2.

S’il est bien vrai que le médecin-dermatologue certifie que, en 1997, il avait recommandé à M. … de réduire autant que possible le contact avec l’eau, qui peut avoir un effet dessicateur sur la peau, je constate que le certificat médical ne fait aucune référence particulière au chlore. De toute façon, et même à supposer que l’eau du robinet nuise à la santé de M. …, la loi ne prévoit aucune dérogation au régime de l’autorisation préalable.

3.

Je constate que votre mandant a non seulement réalisé les travaux de forage en 1999 sans être en possession des autorisations requises mais a, par ailleurs, introduit en 2002 une demande d’autorisation ad-hoc contenant des informations inexactes. En effet, la demande du 15 juin 2002 ne sollicite pas l’autorisation pour le forage d’un nouveau puits, mais pour l’approfondissement d’un puits existant.

4.

Il va sans dire que l’ignorance de la loi ne peut constituer un argument justifiant une autorisation « ex post ».

5.

S’agissant de la quantité d’eau de source prélevée que vous qualifiez de « minimal et ne (portant) pas préjudice aux réserves de l’aquifère du Buntsandstein », il y a lieu de soulever que déjà l’opération de forage, c’est-

à-dire la création d’une communication directe entre les eaux de ruissellement en surface et les eaux souterraines profondes constitue un danger évident pour la qualité de ces dernières. En outre le forage a été réalisé à proximité de la maison d’habitation et des installations agricoles, ce qui favorise l’infiltration d’eaux polluées par des jus agricoles ou des eaux usées domestiques via le trou de forage directement dans la nappe souterraine. La nappe souterraine du « Buntsandstein » est une nappe d’une grande importance régionale car elle alimente de nombreuses sources et des forages-captages dont l’eau est utilisée pour l’approvisionnement public en eau portable. Dans ce contexte il y a lieu de rappeler que la commune de X.

a récemment réalisé un nouveau forage-captage dans le même aquifère pour garantir l’approvisionnement public d’eau potable de la commune.

6.

En ce qui concerne le préjudice financier, il faut faire remarquer que les dépenses, chiffrées à 315.962.- LUF, résultant exclusivement d’une opération de forage illégale.

7.

Les autres forages-captages existants et exploités dans les localités de P., X.

et …., qui d’ailleurs ne font pas l’objet du présent dossier, sont en cours d’examen par nos services quant à la conformité au titre de la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de l’eau.

En conclusion, et au vu des arguments qui précèdent, je me vois dans l’impossibilité de faire droit à votre requête.

La présente constitue une décision administrative susceptible de recours devant le tribunal administratif à introduire par ministère d’avoué endéans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente ».

Par requête, inscrite sous le numéro 15978 du rôle, déposée le 12 février 2003, Monsieur … a introduit un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des susdites décisions ministérielles des 16 juillet et 12 novembre 2002.

QUANT A LA COMPETENCE DU TRIBUNAL POUR CONNAITRE DU RECOURS EN REFORMATION ET QUANT A LA RECEVABILITE DU RECOURS EN ANNULATION L’article 14 de la loi précitée du 29 juillet 1993 ouvrant un recours au fond devant le juge administratif pour statuer en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

QUANT A LA RECEVABILITE DU RECOURS EN REFORMATION Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours en réformation pour non respect du délai contentieux de 40 jours. Dans ce contexte, il estime qu’il serait « irrelevant » à cet égard que le ministre de l’Intérieur a erronément indiqué dans sa « lettre de confirmation » de son refus initial un délai de recours de 3 mois, étant donné que « le mandataire du requérant auquel la lettre du 12 novembre 2002 a été adressé, connaissait l’existence d’un délai de recours spécifique en la matière puisqu’il a adressé son recours gracieux dans le délai légal (…) [au] Ministre de sorte qu’il ne saurait se prévaloir de l’erreur commise par l’Administration pour justifier la tardiveté du dépôt de son recours contentieux ».

L’article 14 de la loi précitée du 29 juillet 1993 dispose que notamment contre des décisions refusant un prélèvement d’eau dans les eaux souterraines, un recours contentieux peut être introduit devant le juge administratif « dans un délai de quarante jours ».

Au vœu de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, une réponse administrative à une réclamation d’un administré doit indiquer correctement les voies de recours ouvertes contre elle, sous peine de ne pas faire courir le délai légal pour introduire le recours contentieux.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, la décision ministérielle du 12 novembre 2002 indiquant un délai de 3 mois au lieu du délai légal de 40 jours, le délai légal n’a pas pu commencer à courir et le moyen d’irrecevabilité laisse d’être fondé. – Au regard de la volonté manifeste des pouvoirs législatif et réglementaire de garantir la protection des intérêts de l’administré et de la considération que le texte ne prévoit pas de distinction entre les administrés initiés et ceux qui ne le sont pas, voire entre ceux qui sont assistés par un professionnel spécialisé et ceux qui ne le sont pas, il y a lieu de retenir que cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait qu’en l’occurrence, la décision initiale contenait une information exacte quant au délai pour agir en justice, que le recours gracieux a émané du mandataire du demandeur et que ce dernier a également reçu communication de la réponse ministérielle, la fausse indication des délais dans la décision confirmative étant non seulement de nature à induire en erreur le profane, mais également le professionnel du droit.

Le recours en réformation, par ailleurs introduit dans les formes prévues par la loi, est partant recevable.

QUANT AU FOND A l’appui de son recours, le demandeur soutient que le ministre aurait fait une fausse appréciation de la situation de fait, tant en ce qui concerne la situation personnelle que les données géologiques et hydrologiques. Dans ce contexte, il expose que le puits existerait depuis 1865, qu’il souffrirait d’une allergie à l’eau communale « vraisemblablement » en raison de son traitement, qu’il aurait ignoré qu’il aurait dû introduire une demande de forage-

captage préalablement au déplacement de son puits, que sa consommation annuelle serait réduite et n’affecterait ni la quantité ni la qualité de la nappe phréatique, que le forage lui aurait coûté 315.962.- francs, c’est-à-dire que le refus ministériel serait de nature à lui causer un préjudice financier important et que d’autres habitants de la commune capteraient également des eaux souterraines.

Il fait encore valoir que le forage aurait été effectué par une firme spécialisée et que tout danger de pollution aurait été prévenu. Enfin, il soutient que le ministre de l’Intérieur resterait en défaut d’établir en quoi consiste concrètement le risque de pollution justifiant le refus de l’autorisation sollicitée.

Sur ce, il conclut à la réformation du refus ministériel et à l’octroi d’un permis de captage de l’eau dans les eaux souterraines via son puits.

Le demandeur soulève en outre deux moyens d’annulation consistant à soutenir que :

- le ministre de l’Intérieur n’aurait pas pu lui enjoindre d’enlever la colonne de captage déjà installée, au motif que cela constituerait une demande en rétablissement des lieux en leur pristin état et une sanction pénale que seule le juge pénal pourrait ordonner sur base de l’article 26 de la loi précitée du 29 juillet 1993, et - que la loi précitée du 29 juillet 1993 ne contiendrait pas d’indication relativement aux critères à prendre en considération pour l’octroi ou le refus d’un permis de forage-captage et que le règlement grand-ducal prévu par l’article 9.1 de la loi de 1993 n’aurait pas été pris, de sorte que les administrés ne connaîtraient pas les conditions et modalités à satisfaire et que le ministre de l’Intérieur serait « dans une position de force démesurée ».

Il convient en premier lieu d’examiner le second moyen d’annulation soulevé qui est préalable.

Selon l’énoncé de son champ d’application et de ses principes directeurs, la loi précitée du 29 juillet 1993 vise les eaux superficielles et souterraines, publiques et privées, et ses dispositions s’appliquent, entre autres, aux prélèvements et aux déversements et « plus généralement à tout fait susceptible de provoquer ou d’accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques ». La loi tend plus particulièrement à lutter contre la pollution des eaux et leur régénération dans le but de satisfaire les exigences notamment de la santé de l’homme et des animaux ainsi que l’équilibre écologique, et la conservation des eaux.

Dans ce cadre, la loi du 29 juillet 1993 énonce l’interdiction de principe de prélever directement ou indirectement de l’eau sauf autorisation spécifique à émettre par le ministre du ressort, l’article 9 prévoyant qu’un règlement grand-ducal « peut » déterminer les conditions et modalités selon lesquelles ces autorisations sont accordées.

Ceci étant, force est de constater, d’une part, que la loi n’a pas prévu obligatoirement la prise d’un acte réglementaire relatif à son exécution, mais à titre facultatif, c’est-à-dire pour le cas où le pouvoir réglementaire estimait nécessaire que la matière de la loi soit façonnée et précisée et, d’autre part, que le texte de loi, en ce qu’il prévoit la possibilité spécifique des autorisations dont il est question en cause à accorder par l’autorité désignée, se suffit à lui même et qu’il n’a pas besoin d’être complété. Ainsi, contrairement à ce que semble soutenir le demandeur, l’exécution de la loi n’est nullement subordonnée à la prise d’un acte réglementaire d’exécution, de sorte que le fait qu’un règlement d’exécution n’a, à ce jour, pas été pris, n’est pas de nature à affecter la légalité de l’exercice du pouvoir légalement conféré au ministre de l’Intérieur. - Dans ce contexte, s’il est vrai que le pouvoir de l’autorité ministérielle est ainsi très large et même discrétionnaire, il n’en reste pas moins que l’exercice du pouvoir ministériel ne saurait être arbitraire et qu’il s’exerce sous le contrôle des juridictions compétentes auxquelles il incombe, le cas échéant, au cas par cas, de vérifier sa justification.

Il suit des considérations qui précèdent que le moyen d’annulation laisse d’être fondé et qu’il doit être écarté.

Quant à la demande en réformation, comme il a déjà été relevé ci-dessus, sans préjudice des compétences dévolues à d’autres autorités, le ministre de l’Intérieur appelé à statuer sur une demande de forage-captage dans les eaux souterraines devra notamment avoir pour objectif d’assurer la conservation des eaux et de les protéger contre toutes les dégradations. Ainsi, une autorisation relativement à un forage-captage n’est susceptible d’être accordée que s’il est certain, sous réserve des conditions techniques à fixer, qu’il n’existe pas un risque de pollution des eaux souterraines du fait de ce forage.

En l’espèce, le désir du demandeur d’obtenir une autorisation en vue de s’approvisionner lui-même en eau potable et ainsi, régulariser le fait accompli est certes légitime, cependant aucun des éléments ayant trait à l’existence et l’exploitation d’un ancien puits, aux problèmes de santé, à la quantité somme toute réduite d’eau soutirée ou au préjudice financier en cas de refus, n’est de nature à lui accorder un droit à obtenir l’autorisation sollicitée, cette autorisation étant au contraire fonction de la mise en balance de ses intérêts avec les intérêts nationaux, sinon régionaux ou communaux en approvisionnement d’eau potable.

Dans ce contexte, c’est à juste titre que le ministre de l’Intérieur et le délégué du gouvernement ont mis en avant les données spécifiques de l’espèce, à savoir l’endroit où le forage a été réalisé, la profondeur du forage, l’étendue de la source d’eau captée et son importance sur le plan communal et régional et les risques potentiels de pollution de la source d’eau souterraine en raison de la proximité d’une exploitation agricole.

Quant à ces spécificités, il ressort de l’avis géologique émis le 3 juillet 2002 par Mme M.-F. S., géologue engagée aux services de la gestion de l’Eau du ministère de l’Intérieur, que le « forage est localisé d’après la carte géologique 1 : 25 000, Feuille de Redange, sur la formation du Buntsandstein, constituée de grès à intercalations conglomératiques et marneuses.

Le substratum est fissuré et perméable à l’eau. Il renferme une nappe alimentée par infiltration directe des précipitations et présente ainsi une certaine vulnérabilité aux pollutions éventuelles.

Le Buntsandstein constitue un aquifère d’intérêt national exploité pour l’alimentation en eau potable publique et qu’il convient de préserver à cette fin.

Dans cette optique, les forages privés sont à éviter, car ils constituent un danger potentiel quantitatif et surtout qualitatif pour la nappe d’eau souterraine ».

Il découle donc indubitablement des constatations qui précèdent que la nappe phréatique située en partie sous la propriété de Monsieur … est constitutive d’un réservoir naturel d’eau souterraine, d’importance au moins régionale, notamment du fait de son envergure et de l’existence d’une source de captage d’utilisation régionale et que l’opération de forage proprement dite, d’ores et déjà effectuée, a créé une communication directe entre les eaux de ruissellement en surface et les eaux souterraines profondes, ce qui entraîne ainsi un danger évident pour la qualité de ces dernières, ce danger étant d’autant plus prononcé que le forage se situe à proximité des installations agricoles de Monsieur ….

Or, sur base de ces considérations, le tribunal arrive à la même conclusion que le ministre du ressort et il est amené à considérer le danger que présente le forage-captage comme étant démesuré au regard de l’importance de la réserve d’eau pour la collectivité par rapport aux intérêts privés en cause, de sorte que le ministre a, sur base d’une juste appréciation des circonstances de fait et de droit et dans le cadre légalement tracé par la loi précitée du 29 juillet 1993, refusé l’autorisation sollicitée.

La prétendue existence d’autres forages-captages dans les environs de la ferme de Monsieur … reste non seulement à l’état de simple allégation, mais encore et surtout, même si pareils forages devaient exister, cela ne saurait affecter le bien-fondé de la décision de refus opposé au demandeur sur base des circonstances et spécificités de l’espèce.

La demande en réformation est dès lors à abjuger comme étant non-fondée.

Enfin, si le volet de la décision ministérielle litigieuse ordonnant l’enlèvement de la colonne de captage déjà installée dans le forage et le colmatage du trou de foration par un remplissage d’un coulis de ciment-bentonite, le tout à faire par une firme spécialisée à choisir en accord avec les services du ministère de l’Intérieur, s’analyse certes en une mesure que le juge pénal pourrait ordonner dans le cadre d’une remise dans le pristin état, sur base de l’article 26 de la loi précitée du 29 juillet 1993, cela n’empêche cependant pas que le ministre de l’Intérieur, sans empiéter sur les compétences et pouvoirs de la juridiction répressive, ne puisse pas rendre pareille décision en tant que mesure préventive et curative urgente requise, tel que ce pouvoir lui est conféré par l’article 25 de ladite loi, tel étant indubitablement le cas en l’espèce, la décision revêtant le caractère d’une mesure de protection en vue de la sauvegarde des eaux souterraines. – Admettre le contraire impliquerait que la protection des eaux souterraines soit conditionnée par les éventuelles poursuites, jugées opportunes par les autorités pénales, et leur accomplissement.

Le moyen d’annulation afférent est partant également non justifié et à écarter.

Il suit l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties , reçoit le recours principal en réformation , au fond, le déclare cependant non justifié et en déboute , déclare le recours en annulation irrecevable , condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 2 octobre 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15978
Date de la décision : 02/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-02;15978 ?

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