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01/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16950

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 octobre 2003, 16950


Tribunal administratif N° 16950 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 septembre 2003 Audience publique du 1er octobre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16950 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no

m de Monsieur …, né le… , de nationalité croate, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à...

Tribunal administratif N° 16950 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 septembre 2003 Audience publique du 1er octobre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16950 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le… , de nationalité croate, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 juin 2003, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision du 4 août 2003 confirmant sur recours gracieux la décision initiale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 septembre 2003 par Maître François MOYSE au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Joram MOYAL, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 septembre 2003.

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En date du 5 juin 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du 6 juin 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 11 juin 2003, lui notifiée par courrier recommandé expédié le 17 juin 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande a été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’elle ne répondrait à aucun des critères de fond tels que définis par l’article 1er, section A.2 de la Convention de Genève. Le ministre a en effet retenu que les lenteurs administratives invoquées ne seraient pas l’apanage de la Croatie, que la visite alléguée de la police à la suite du décès du père de Monsieur … ne serait pas constitutive d’un harcèlement, mais ferait partie de la routine policière et que le fait d’avoir été frappé par un Croate ne saurait pas non plus constituer une persécution au sens de la Convention de Genève, de même que la Croatie ne saurait être considérée comme un pays où des persécutions sont à craindre.

Le recours gracieux introduit auprès du ministre de la Justice par courrier du 18 juillet 2003, dirigé contre la décision ministérielle prévisée du 11 juin 2003, a été rejeté par une décision confirmative dudit ministre du 4 août 2003.

Par requête déposée le 2 septembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles prévisées du ministre de la Justice des 11 juin et 4 août 2003.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée disposant expressément qu’en matière d’asile déclarée manifestement infondée au sens de son article 9, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … expose faire partie du groupe minoritaire des Serbes en Croatie et que son village d’origine … serait entouré par des villages croates et connu pour les « nettoyages ethniques » commis par la population croate. Il signale que la vie journalière de la population serbe y serait marquée par des discriminations permanentes de la part de la population croate qui, en outre, fournirait tous les employés des administrations publiques et des forces de l’ordre et que, depuis la guerre, il aurait été la cible de discriminations et de persécutions. Il relève plus particulièrement à cet égard avoir été battu et frappé par des manifestants croates en raison de sa nationalité serbe lors d’une manifestation et qu’à cette occasion il se serait retrouvé avec le nez cassé. Concernant cet incident il relève en outre que la police, qui en aurait été témoin, ne serait pas venue à son secours, mais l’aurait emmené et l’aurait également frappé et maltraité. Le demandeur fait en outre état du fait qu’il se serait vu refuser l’obtention d’un passeport croate auquel il aurait cependant droit en tant que citoyen, mais que par référence à ses origines serbes on le lui aurait constamment refusé au motif qu’il ne serait pas digne de la nationalité croate. Concernant son départ de son pays d’origine, il expose avoir survécu le temps d’après guerre dans son village d’origine uniquement parce qu’il aurait été obligé d’y soigner son père qui y serait mort le 10 mars 2003. Dans la mesure où quelques jours après la mort de son père des agents de police seraient venus le voir et l’aurait harcelé en déclarant qu’enfin il y en avait « un de moins », il aurait décidé de fuir les humiliations constantes afin de ne pas risquer d’être tué ou maltraité par des nationalistes croates.

Le demandeur reproche aux décisions litigieuses de ne pas être motivées à suffisance de droit, ainsi que de ne pas reposer sur une analyse suffisamment détaillée de sa situation.

Estimant que les événements par lui relatés relèveraient d’une persécution nationaliste massive l’ayant empêché de mener une vie tranquille en paix, le demandeur soutient que le statut de réfugié aurait dû lui être accordé, sinon que le fond de son affaire aurait dû pour le moins être analysé plus en avant.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

En l’espèce, il est certes constant à partir des déclarations du demandeur telles que renseignées au procès-verbal d’audition du 6 juin 2003 qu’il ne poursuivait personnellement aucune activité politique dans son pays d’origine et qu’il fait par ailleurs état d’événements susceptibles d’être qualifiés de simples tracasseries administratives sans rapport avec un quelconque motif de persécution au sens de la Convention de Genève. Force est cependant de relever qu’il a également précisé lors de son audition avoir été provoqué et agressé physiquement en raison de ses origines serbes et qu’il a apporté des précisions complémentaires à cet égard en indiquant que la police ne serait pas intervenue au sujet de cet incident, mais qu’elle l’aurait en plus emmené et frappé.

Il appert de l’examen de l’ensemble des faits et motifs ainsi invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile qu’il fait état avant tout d’une crainte de persécution du fait de son appartenance à la minorité serbe et d’événements concrets vécus, ayant provoqué une criante pour sa propre vie et qu’il allègue partant des faits et raisons personnels suffisamment précis pour tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à tort que le ministre de la Justice a déclaré la demande introduite par Monsieur … comme étant manifestement infondée. Il y a partant lieu d’annuler les décisions ministérielles déférées et de renvoyer le dossier au ministre de la Justice afin qu’il puisse procéder à une instruction de la demande de Monsieur … quant au fond.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule les décisions ministérielles déférées des 11 juin et 4 août 2003 et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er octobre 2003 par:

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16950
Date de la décision : 01/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-01;16950 ?

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