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29/09/2003 | LUXEMBOURG | N°16160

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2003, 16160


Numéro 16160 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2003 Audience publique du 29 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16160 du rôle, déposée le 21 mars 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité ...

Numéro 16160 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2003 Audience publique du 29 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16160 du rôle, déposée le 21 mars 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à … , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 2 décembre 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 24 février 2003 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2003;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2003 par Maître François MOYSE pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joram MOYAL, en remplacement de Maître François MOYSE, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 septembre 2003.

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Le 8 juillet 2002, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 23 juillet 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 2 décembre 2002, notifiée par courrier recommandé du 6 décembre 2002, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 31 décembre 2002 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 24 février 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 2 décembre 2002 et confirmative du 24 février 2003 par requête déposée le 21 mars 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire de la ville monténégrine de Rozaje, expose qu’il serait issu d’un mariage mixte, sa mère étant serbe et son père musulman, et qu’il ne serait accepté ni par les Serbes, ni par les Musulmans. Il ajoute qu’il serait une vedette du kick-boxing dans son pays d’origine, ayant gagné plusieurs championnats régionaux et participé au championnat national des amateurs, qu’il aurait été régulièrement menacé et agressé par des groupes extrémistes afin d’empêcher sa participation à des tournois en raison de sa religion musulmane et qu’il aurait même été battu après un match victorieux par plusieurs personnes et blessé grièvement. Il reproche ainsi au ministre d’avoir retenu à tort qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution et il fait valoir que sa crainte serait celle de se faire agresser continuellement par des Serbes pour des raisons touchant à son appartenance en tant que vedette sportive au groupe minoritaire des musulmans et que ces agressions auraient atteint une intensité telle qu’il aurait dû quitter son pays d’origine. Il relève encore que plusieurs autres vedettes sportives de religion musulmane auraient été tuées par des groupes extrémistes du seul fait de leur origine musulmane et en conclut que les menaces et actes à son encontre ne sauraient être considérés comme de simples délits de droit commun, mais s’inséreraient dans le cadre d’une persécution systématique des minorités au Monténégro. Le demandeur soutient que les autorités étatiques ne seraient pas capables d’empêcher les actes de persécution commis à son égard par des personnes privées, puisque les forces de l’ordre auxquelles il se serait adressé auraient refusé de le protéger contre les attaques extrémistes. Il conteste enfin l’existence d’une possibilité de fuite interne dans son chef, telle qu’alléguée par le ministre, vu que les capacités internes des autres parties de l’ex-

Yougoslavie seraient déjà dépassées par le grand nombre de réfugiés y établis, que la fuite interne n’améliorerait pas sa situation et qu’il risquerait d’être persécuté par les Serbes en Serbie et par les Musulmans du Kosovo en raison de sa langue maternelle serbo-croate.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Le demandeur fait répliquer en insistant sur le fait qu’il aurait porté plainte contre les agressions par lui subies et ainsi recherché la protection des autorités compétentes, lesquelles lui auraient cependant refusé toute assistance en raison de son appartenance à la minorité musulmane. Il soutient que l’affirmation du ministre quant à l’évolution favorable de la situation politique dans son pays d’origine suite à la signature d’un accord serbo-monténégrin ne serait pas de nature à annihiler ses craintes de persécution au vu de certains événements récents lors de manifestations sportives.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 23 juillet 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre par des extrémistes serbes en raison de sa qualité de sportif de haut niveau et de son appartenance à la minorité musulmane et estime que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique au vu de la situation non sécurisée au Monténégro.

Force est dès lors de constater que le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

En l’espèce, le demandeur a simplement affirmé sa qualité de sportif professionnel, l’existence de menaces et de violences commises contre lui, les dépôts de plaintes contre leurs auteurs et le défaut de protection de la part des autorités compétentes, mais est resté en défaut de soumettre un indice concret de nature à étayer la réalité de son activité sportive, des menaces et violences commises et des démarches par lui accomplies. Il en résulte que le demandeur n’a pas dûment établi les persécutions par lui invoquées et l’incapacité des autorités en place de lui assurer une protection adéquate, laquelle constitue cependant une prémisse nécessaire pour la reconnaissance du statut de réfugié.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 septembre 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16160
Date de la décision : 29/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-29;16160 ?

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