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29/09/2003 | LUXEMBOURG | N°15058

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2003, 15058


Numéro 15058 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2003 Audience publique du 29 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15058 du rôle, déposée le 28 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardav

an FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,...

Numéro 15058 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2003 Audience publique du 29 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15058 du rôle, déposée le 28 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité yougoslave, demeurant à L-… , tendant à l’annulation d’une décision du 29 juillet 2003 cosignée par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 juin 2003;

Vu la rupture du délibéré prononcée le 25 juin 2003;

Vu les pièces complémentaires déposées par le délégué du Gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 11 juillet 2003;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 septembre 2003.

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En date du 22 mai 2001, Monsieur …, préqualifié, déposa au service commun des ministères du Travail et de l'Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse une demande en obtention d'une autorisation de séjour dans le cadre de la campagne dite de régularisation de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

Par courrier du 29 juillet 2002, les ministres de la Justice et du Travail et de l'Emploi informèrent Monsieur … de ce que « suite à l’examen de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que vous avez déposée en date du 22 mai 2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Comme il a été constaté sur base de votre dossier administratif que cette disposition est applicable dans votre cas, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Vous êtes invité de quitter le Luxembourg endéans le délai d’un mois. A défaut de départ volontaire, la police sera chargée de vous éloigner du territoire luxembourgeois.

Nous vous prions … ».

Le recours gracieux formé par courrier du 20 novembre 2002 du mandataire de Monsieur … fut rencontré par une décision des mêmes ministres du 26 novembre 2002 portant confirmation de la décision négative initiale du 29 juillet 2002.

Par requête déposée le 28 février 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de ladite décision initiale du 29 juillet 2002.

Dans la mesure où ni la loi prévisée du 28 mars 1972, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur soutient que, dans la mesure où il aurait déposé sa demande en cause auprès d’un service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice, de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, l’autorité décisionnelle ne saurait être autrement composée que par les trois ministres dont les services respectifs font partie dudit service commun et qu’aucun ministre, pris individuellement, ne pourrait valablement engager l’autorité collégiale. Il en conclut que la décision attaquée, signée par les seuls ministres du Travail et de l’Emploi et de la Justice, devrait encourir l’annulation de ce chef, étant donné qu’à défaut de signature de la part de la ministre de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, l’autorité collégiale saisie par sa demande en obtention d’une autorisation de séjour ne se serait pas valablement exprimée.

Force est de constater qu’en l’état actuel de la législation, une décision relative à l’entrée et au séjour d’un étranger au Grand-Duché au sens de la loi prévisée du 28 mars 1972 relève de la seule compétence du ministre de la Justice, ceci conformément aux dispositions de l’article 11 de ladite loi et sous les restrictions y énoncées tenant notamment au fait que les décisions afférentes sont prises sur proposition du ministre de la Santé lorsqu’elles sont motivées par des raisons de santé publique.

Il s’ensuit qu’en dépit du fait que la demande en obtention d’une autorisation de séjour du demandeur a été introduite auprès d’un service commun regroupant des représentants des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et que cette demande a par ailleurs été traitée dans le cadre de la régularisation de certaines catégories d’étrangers en situation irrégulière ainsi désignée, seul le ministre de la Justice est légalement investi de la compétence pour statuer en la matière.

Ainsi, le défaut de signature du ministre de la Famille, face à la compétence exclusive du ministre de la Justice en la présente matière, n’est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée, cette conclusion n’étant pas ébranlée par le fait que l’instruction du dossier a été faite, en tout ou partie, par un service commun regroupant des représentants de plusieurs ministères.

Le demandeur affirme ensuite que, la procédure de régularisation étant une « régularisation par le travail » « en ce sens que le ministre du Travail est appelé dans ladite procédure à se prononcer sur ce point », la décision devrait encourir l’annulation, au motif que la commission instituée par l’article 7 bis du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas été entendue en son avis.

Il échet de constater que, contrairement aux affirmations du demandeur qui prétend remplir les conditions des catégories A, B et G et contrairement à l’affirmation du délégué du Gouvernement que le demandeur aurait coché la case C du formulaire par lui soumis, il ressort des éléments du dossier administratif que le demandeur a déclaré sur le formulaire de la demande de régularisation qu’il prétendait à la régularisation par la seule application de la catégorie G visant les personnes résidant au Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 au moins et étant le descendant ou l’ascendant direct d’un(e) citoyen(ne) luxembourgeois(e).

Il s’ensuit que ce moyen est à écarter, étant donné que le demandeur n’a pas placé sa demande dans le cadre de la régularisation par le travail couverte par les deux cas de figure impliquant et requérant entre autres un travail au Luxembourg (cases A et B de la brochure), et que la décision litigieuse ne se prononce pas sur un refus d’un permis de travail, alors qu’elle a exclusivement trait à un refus d’un permis de séjour et que la légalité de pareille décision n’est pas conditionnée par une saisine préalable de ladite commission.

Le demandeur fait valoir que, si la procédure dite de régularisation ne reposait certes sur aucun texte légal, les principes d’égalité des citoyens devant la loi et de confiance légitime devraient amener l’administration à respecter les engagements pris à travers la brochure concernant ladite procédure de régularisation. Il estime qu’il ne saurait être légalement procédé à la régularisation de quelques 1.250 personnes tandis que la régularisation lui serait refusée alors même qu’il se trouverait dans une situation administrative identique.

Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir usé de sa liberté d’appréciation lui conférée par l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 d’une manière conforme aux exigences d’une conduite raisonnable, en ce qu’il n’aurait pas tenu compte de sa situation spécifique. Il se prévaut à cet égard de son séjour au pays depuis l’année 1967 ayant impliqué sa scolarisation au Luxembourg, à la présence au pays de l’ensemble de sa famille, dont certains auraient acquis la nationalité luxembourgeoise, et à sa qualité de « concubin notoire de plusieurs années d’une résidante légalement établie au Grand-Duché de Luxembourg » avec laquelle il aurait par ailleurs contracté mariage en janvier 2003. Le demandeur ajoute que si les infractions par lui commises seraient d’une gravité certaine, il n’en resterait pas moins que ces faits remonteraient à l’année 1994, qu’il aurait purgé la peine d’emprisonnement y relative et qu’il n’aurait plus récidivé depuis lors, de sorte qu’il ne pourrait plus être considéré comme susceptible de troubler encore actuellement l’ordre public.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : – qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

La décision attaquée du 29 juillet 2002 est fondée expressément sur le motif tiré de la susceptibilité du demandeur de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

A cet égard, le rapport émis le 25 mars 2002 par la section police des Etrangers et des Jeux du service de police judiciaire de la police grand-ducale, diligenté dans le cadre de la demande de régularisation soumise par le demandeur, renseigne un nombre élevé de procès-

verbaux et de rapports concernant le demandeur lesquels se rapportent essentiellement aux faits suivants :

 vol avec effraction commis le 8 mars 1972,  accident de la circulation mortel causé le 10 décembre 1980,  enquête concernant un trafic de drogues durant les années 1981 et 1982 impliquant le demandeur,  exécution d’une commission rogatoire des autorités belges du chef de corruption de fonctionnaires,  détention d’une arme prohibée (1984),  enquête concernant un trafic de drogues impliquant le demandeur (1994).

Il résulte en outre des éléments du dossier que le demandeur a été condamné au Luxembourg à une peine d’emprisonnement de 6 mois du chef du vol avec effraction commis le 8 mars 1972 et en Belgique, par arrêt du 7 octobre 1985, à une peine d’emprisonnement d’un an avec un sursis de 5 ans du chef de corruption active ou contrainte par violences ou menaces d’une personne chargée d’un service public. Il a en outre été arrêté le 12 mai 1994 à Liège en détenant 2,125 kg d’héroïne qui faisaient partie d’un lot de 10 kg qu’il offrait en vente et il fut condamné de ce chef notamment à une peine de 6 ans d’emprisonnement par jugement sur opposition du Tribunal correctionnel de Liège du 19 octobre 1995, suite auquel l’enquête parallèle diligentée par les autorités luxembourgeoises fit l’objet d’une ordonnance de non-lieu de la chambre du conseil du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 1er décembre 1998.

D’après les éléments du dossier, le demandeur a purgé la peine d’emprisonnement lui infligée par le jugement prévisé du 19 octobre 1995 du 12 mai 1994 jusqu’au mois de septembre 1996, date à laquelle il fut libéré anticipativement, et est retourné résider au Luxembourg le 26 septembre 1996. Depuis son retour, le demandeur a fait l’objet d’un seul procès-verbal du 19 février 1999 constatant en substance dans son chef un non-respect de la limitation de vitesse sur la voie publique et le défaut d’avoir apposé les plaques spéciales requises sur le véhicule par lui conduit.

Force est ainsi de constater que l’ensemble des infractions constatées dans le chef du demandeur, hormis le procès-verbal du 19 février 1999, se rapportent à la période antérieure à son emprisonnement en date du 12 mai 1994. D’un autre côté, le dossier tel que soumis au tribunal ne renseigne aucun indice d’une infraction grave commise par le demandeur depuis sa libération de prison en septembre 1996 jusqu’à la date de la décision attaquée, les faits relevés par le procès-verbal prévisé du 19 février 1999 ne pouvant pas être considérés comme étant d’une gravité suffisante pour énerver cette conclusion.

Il y a en outre lieu de relever que le demandeur séjourne, abstraction faite de quelques périodes de séjours à l’étranger, au pays depuis l’année 1967, sans que les autorités n’aient pris suite à son retour au pays en septembre 1996 après avoir purgé sa peine d’emprisonnement des mesures pour lui interdire le séjour sur le territoire luxembourgeois, et que ses parents et ses frères et sœurs résident également au Luxembourg.

Eu égard au laps de temps de six années ainsi écoulé durant lequel il n’est pas établi que le demandeur serait à nouveau gravement entré en conflit avec la loi, à la durée de son séjour et à l’existence d’attaches réelles au Luxembourg, abstraction même faite de son mariage en date du 14 janvier 2003 avec une résidente du Grand-Duché, circonstances qui compensent la gravité indéniable des infractions antérieurement commises par le demandeur, le tribunal est amené à conclure qu’il n’est pas établi à suffisance de droit que ce dernier aurait encore été, à la date de la décision attaquée du 29 juillet 2002, susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité l’ordre ou la santé publics. Il s’ensuit que le motif afférent énoncé dans la décision litigieuse du 29 juillet n’est pas de nature à la justifier légalement.

Le délégué du Gouvernement avance à travers son mémoire en réponse le motif complémentaire de refus tiré du défaut de la preuve par le demandeur de l’existence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour au pays en ce qu’il ne se dégagerait pas des éléments du dossier que le demandeur disposerait de moyens personnels propres suffisants, preuve qui aurait dû être rapportée à travers un permis de travail certifiant que le demandeur pourrait légalement s’adonner à un travail au pays.

Comme néanmoins l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée se limite à énoncer le défaut de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de séjour au Luxembourg en tant que motif de refus facultatif, de manière à opérer uniquement une restriction au niveau des possibilités accordées au ministre de la Justice pour refuser une autorisation de séjour, sans pour autant se prononcer sur l’étendue du pouvoir du ministre de la Justice en matière d’octroi d’une autorisation de séjour, le ministre de la Justice, en ce qu’il a participé à l’élaboration de certaines lignes de conduite destinées à limiter et à préciser le contenu du cadre légal tracé en matière d’octroi d’une autorisation de séjour pendant une durée déterminée à l’avance à travers des critères publiquement énoncés dans la brochure dite de régularisation, n’a pas motivé à suffisance de droit et de fait la décision litigieuse par la seule référence à la condition de la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour inscrite à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée (cf. Cour adm. 12.11.2002, n° 15102C du rôle et 25.3.2003, n° 15902C du rôle, non encore publiés). En effet, le demandeur a déclaré sur le formulaire de la demande de régularisation déposé le 22 mai 2001 qu’il entendait rentrer exclusivement, eu égard plus particulièrement à la nationalité luxembourgeoise de son père Petar … telle qu’elle résulte des éléments du dossier, dans la catégorie G visant les personnes résidant au Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 au moins et étant le descendant ou l’ascendant direct d’un(e) citoyen(ne) luxembourgeois(e).

Or, ni la décision litigieuse du 29 juillet 2002 ni le mémoire du délégué du Gouvernement ne comportant une motivation tendant à justifier la non-applicabilité en l’espèce des critères de la catégorie G pour obtenir une autorisation de séjour dans la cadre de la campagne de régularisation, la décision attaquée du 29 juillet 2002 encourt l’annulation pour défaut de motivation valable.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, annule la décision attaquée du 29 juillet 2003 cosignée par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi, renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 septembre 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15058
Date de la décision : 29/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-29;15058 ?

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