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25/09/2003 | LUXEMBOURG | N°16928

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2003, 16928


Numéro 16928 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2003 Audience publique du 25 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16928 du rôle et déposée le 25 août 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Cermjan (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de

nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation et subsidiair...

Numéro 16928 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2003 Audience publique du 25 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16928 du rôle et déposée le 25 août 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Cermjan (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 août 2003, lui notifiée le 12 août 2003, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2003 par Maître François MOYSE au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 27 juin 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève », après avoir sollicité dans un premier temps l’« asile humanitaire » afin de pouvoir faire soigner au Luxembourg son épouse gravement malade, restée au Kosovo.

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut en outre entendu en date du 16 juillet 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 8 août 2003, notifiée par lettre recommandée le 11 août 2003, le ministre de la Justice, ci-après dénommé « le ministre », l’informa que sa demande a été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire au motif qu’elle ne répondrait à aucun des critères de fond définis par l’article 1er, section A.2 de la Convention de Genève. Le ministre a en effet retenu que Monsieur … aurait basé sa demande d’asile sur des motifs d’« ordre purement personnel et médical », sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 8 août 2003.

L’article 10 (3) de la loi précitée du 3 avril 1996 disposant expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait vécu pendant plusieurs années en Allemagne avec sa femme et ses enfants, que son épouse aurait subi un traumatisme en 1998 suite à l’annonce par téléphone de la mort de ses parents et qu’elle serait en traitement psychiatrique depuis cette date pour troubles psychologiques graves. A leur retour au Kosovo au courant du mois d’août 2002, la maladie de son épouse se serait aggravée, de sorte qu’il se serait résigné à quitter son pays d’origine pour le Luxembourg afin d’y trouver de l’aide médicale pour son épouse. Le demandeur expose plus particulièrement en relation avec sa venue au Luxembourg qu’il se serait présenté en date du 27 juin 2003 au bureau d’accueil pour qu’on lui accorde l’ « asile humanitaire », mais que les autorités lui auraient expliqué que pareil statut n’existerait pas et qu’à défaut de solliciter l’asile politique il risquerait l’expulsion immédiate du pays.

Sur base de ces faits, le demandeur estime que la décision du ministre du 8 août 2003 serait entachée d’illégalité, alors que ledit ministre aurait refusé à tort de statuer sur sa demande d’« asile humanitaire » en déclarant sa demande manifestement infondée. Ce serait plus particulièrement à tort que les fonctionnaires du bureau des réfugiés lui auraient fait savoir que l’« asile humanitaire » n’existerait pas, étant donné qu’aucun texte légal luxembourgeois ne stipule cela, d’autant plus qu’en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme « nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants », et qu’en lui refusant la possibilité de présenter une demande d’« asile humanitaire » sous prétexte que pareille procédure n’existerait pas, le ministre aurait méconnu la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’en suivrait que la décision attaquée serait entachée d’illégalité pour défaut de base légale et l’attitude du ministre serait encore constitutive d’un excès et d’un abus de pouvoir et violerait la loi, alors qu’il aurait été obligé de solliciter le statut de réfugié politique après avoir uniquement demandé à un premier stade de l’aide médicale. Partant, il aurait appartenu audit ministre de motiver sa décision par rapport à cette demande d’« asile humanitaire » et non pas le renvoyer vers le statut unique de demandeur d’asile au sens de la Convention de Genève.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement estime que Monsieur … ne serait pas en droit de solliciter un statut qui n’existerait pas, de sorte que ce serait à bon droit que le ministre aurait traité cette demande comme demande d’asile conformément à la Convention de Genève. Comme aucun texte légal ne prévoit l’« asile humanitaire », le ministre ne saurait accorder quelque chose qui n’est pas prévu par le législateur sous peine de violer la loi. Selon le délégué du gouvernement, le demandeur aurait dû demander une autorisation de séjour sur base de l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, et non pas présenter une demande d’asile conformément à la Convention de Genève. Pour le surplus, aucune violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ne serait donnée en l’espèce, étant donné que c’est l’épouse du demandeur qui serait gravement malade, de sorte qu’en cas de rapatriement vers le Kosovo, le demandeur ne risquerait nullement un traitement inhumain et dégradant. Etant donné que la demande d’asile serait basée sur des motifs d’ordre purement personnel et médical, elle ne répondrait à aucun des critères de fond tels que prévus par la Convention de Genève, de sorte que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.

Au vu des pièces du dossier administratif, il est constant en cause que Monsieur … s’est présenté en date du 27 juin 2003 devant les autorités compétentes, non pas pour solliciter l’asile politique, mais avant tout pour obtenir le droit de séjourner au Luxembourg afin d’y faire venir et soigner son épouse qui serait gravement malade.

En effet, il ressort clairement du rapport n° 6/1285/03 du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du 27 juin 2003 que le demandeur « n’invoque pas l’asile politique mais demande seulement qu’on lui vienne en aide afin de remédier à la maladie dont souffre son épouse ». Pour le surplus, lors de son audition devant l’agent du ministère de la Justice en date du 16 juillet 2003, Monsieur … est en aveu de ne pas avoir subi de persécutions personnelles et demande uniquement « de pouvoir amener mon épouse ici et de la soigner ». Finalement, dans un courrier de son mandataire du 7 juillet 2003 à l’adresse du ministre, Monsieur … explique encore une fois être venu au Luxembourg pour y demander l’« asile humanitaire » pour lui et sa famille et qu’il aurait été contraint de demander par la suite l’asile politique alors qu’il risquait de se voir expulser du pays. Dans ledit courrier, le mandataire de Monsieur … insiste encore sur le fait que malgré l’absence de texte concernant l’« asile humanitaire », « tout Etat peut tout de même reconnaître et accepter un réfugié pour des motivations humanitaires ».

Il convient de rappeler qu’en vertu de l’obligation de collaboration de l’administration, toute autorité administrative est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie. Il appartient en effet à l’administration de dégager les règles applicables et de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable (cf. trib. adm. 13 décembre 2000, n° 12093 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 10).

Il s’ensuit que même en l’absence de spécification de la disposition légale pouvant s’appliquer pour obtenir un titre de séjour au Luxembourg, tel que sollicité par le demandeur, l’autorité administrative compétente était tenue d’appliquer d’office le droit applicable, c’est à dire de déterminer le cadre légal dans lequel la demande s’inscrivait et de se prononcer sur son bien-fondé ou mal-fondé.

Or, si c’est certes à juste titre, au vu des faits relatés ci-avant, que le ministre a rejeté la demande d’asile politique présentée dans un deuxième temps par Monsieur …, ce dernier ne pouvant effectivement pas faire valoir de motifs de persécution rentrant dans le cadre de la Convention de Genève, c’est cependant à tort que le ministre n’a pas pris position quant à la demande en obtention d’un titre de séjour pour raison humanitaires formulée à titre principal par le demandeur au moment de sa venue au Luxembourg.

Il s’ensuit que la décision ministérielle déférée encourt l’annulation pour défaut d’existence de motifs par rapport à la demande en obtention d’un titre de séjour pour raisons humanitaires présentée par Monsieur ….

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare partiellement justifié ;

partant annule la décision ministérielle déférée dans la mesure où elle n’a pas statué sur la demande en obtention d’un titre de séjour pour raisons humanitaires et renvoie l’affaire en prosécution de cause devant le ministre de la Justice.

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 25 septembre 2003 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16928
Date de la décision : 25/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-25;16928 ?

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