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25/09/2003 | LUXEMBOURG | N°16050

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2003, 16050


Tribunal administratif N° 16050 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2003 Audience publique du 25 septembre 2003 Recours formé par Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16050 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 février 2003 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Madame …, née le …, de nationalité cap-

verdienne, demeurant actuellement à L-…, tenda...

Tribunal administratif N° 16050 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2003 Audience publique du 25 septembre 2003 Recours formé par Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16050 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 février 2003 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité cap-

verdienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 décembre 2002 confirmant, sur recours gracieux, une décision du même ministre du 24 octobre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2003 ;

Vu le mémoire en réplique, qualifié de « mémoire en réponse », déposé au nom de la demanderesse au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Zohra BELESGAA, en remplacement de Maître Jeannot BIVER, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Par lettre du 11 septembre 2001, parvenue au ministère de la Justice le lendemain, Monsieur D., demeurant à L-…, sollicita la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de Madame …, au motif qu’il souhaiterait « vivre avec elle et envisager le mariage ».

A la suite d’un échange de courrier et d’une déclaration de prise en charge « du futur conjoint étranger », signée en date du 16 février 2002 par Monsieur D. en faveur de Madame …, le ministre de la Justice délivra, en date du 25 mars 2002, une autorisation de séjour en faveur de Madame … avec une durée de validité limitée au 15 septembre 2002, en indiquant que celle-ci était « uniquement prorogeable sur production d’une copie certifiée conforme de [son] acte de mariage ».

Par une déclaration d’engagement signée en date du 15 juillet 2002, Madame …, ainsi que son employeur, la société anonyme P. S.A., sollicitèrent, sur base d’un contrat de travail signé en date du 18 mai 2002, prévoyant une prise d’effets en date du 13 mai 2002, la délivrance d’un permis de travail qui fut toutefois refusé par une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en date du 7 octobre 2002, notamment au motif qu’elle était occupée de manière irrégulière depuis le 13 mai 2002 et que le poste de travail n’avait pas été déclaré vacant par l’employeur.

Par une décision prise en date du 24 octobre 2002, le ministre de la Justice refusa à Madame … la prolongation de son autorisation de séjour venue à expiration le 15 septembre 2002, au motif qu’un acte de mariage ne lui serait pas parvenu, et que pour le surplus, elle ne disposerait pas de moyens d’existence légalement acquis lui permettant d’assurer ses frais de séjour au Luxembourg, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

A la suite d’un recours gracieux introduit par le mandataire de Madame … contre la décision précitée du 24 octobre 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale en date du 4 décembre 2002, au motif que des éléments pertinents nouveaux ne lui auraient pas été soumis.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 février 2003, Madame … a fait déposer un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation des décisions ministérielles précitées des 24 octobre et 4 décembre 2002.

Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande subsidiaire en réformation des décisions critiquées.

Partant, seul un recours en annulation, recours de droit commun, a pu être introduit contre les décisions sous examen.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La demanderesse conteste tout d’abord l’existence de motifs à la base des décisions critiquées, en soutenant plus particulièrement que le ministre de la Justice aurait omis d’analyser sa situation au regard de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 et de prendre en considération, dans le cadre de l’analyse quant à l’existence de moyens personnels suffisants dans son chef, l’autorisation de travail dont elle aurait bénéficié pour travailler auprès de la société anonyme P. S.A., ledit employeur ayant par ailleurs été satisfait de son travail et serait prêt à l’engager définitivement.

Contrairement aux allégations de la demanderesse, il échet de constater que dans sa décision ministérielle du 24 octobre 2002, telle que confirmée intégralement par la décision du 4 décembre 2002, le ministre de la Justice a énuméré les motifs se trouvant à la base des décisions litigieuses, en relevant notamment que la demanderesse était en défaut de disposer de moyens personnels suffisants lui permettant d’assurer ses frais de séjour au Luxembourg.

C’est partant à tort que la demanderesse reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir vérifié si elle disposait, au moment des décisions litigieuses, de tels moyens.

Au-delà de la vérification quant à l’existence de motifs se trouvant à la base des décisions sous examen, il échet encore d’analyser le bien-fondé de ceux-ci, et plus particulièrement celui ayant trait au défaut de moyens d’existence personnels suffisants, étant rappelé que pour que les décisions sous analyse soient légalement justifiées, il suffit que l’un des motifs se trouvant à leur base soit donné, abstraction faite de la légalité des autres moyens invoqués par le ministre à leur appui. Il échet partant d’analyser en premier lieu le motif tiré du défaut de moyens d’existence personnels suffisants, d’autant plus que la demanderesse soutient dans son recours disposer de tels moyens sur base notamment d’une autorisation de travail dont elle bénéficierait.

A ce titre, il y a lieu de relever qu’au vœu de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il s’en dégage qu’une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, II.

Autorisation de séjour – Expulsion, n° 121, p. 205 et autres références y citées).

La seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l’intéressé d’assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante ; il faut encore que les revenus soient légalement perçus. Ne remplissent pas cette condition les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi, alors qu’il n’est pas en possession d’un permis de travail et qu’il n’est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et toucher des revenus provenant de cet emploi (trib. adm. 15 avril 1998 et 30 avril 1998, Pas.

adm. 2002, V° Etrangers, II. Autorisation de séjour – Expulsion, n° 125, p. 206 et autres références y citées).

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

En l’espèce, il ressort du dossier soumis au tribunal qu’en vertu d’une décision du 7 octobre 2002 prise par le ministre du Travail et de l’Emploi, un permis de travail a été refusé à Madame … afin de prendre emploi auprès de la société anonyme P. S.A., de sorte que contrairement aux allégations figurant dans la requête introductive d’instance, la demanderesse ne bénéficiait pas d’une autorisation de travail au moment de la prise des décisions litigieuses afin de travailler auprès de la société P. S.A., aucun autre document n’ayant d’ailleurs été produit par elle en vue d’établir l’existence d’une telle autorisation. Le simple fait d’avoir conclu avec ladite société un contrat de travail à durée déterminée en date du 18 mai 2002, avec effet au 13 mai de la même année, ne saurait établir l’existence de moyens légalement perçus dans le chef de la demanderesse. Pour le surplus, la demanderesse n’a pas fait état d’autres moyens personnels dont elle aurait pu bénéficier légalement au moment de la prise des décisions, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a valablement pu se baser sur le défaut de moyens personnels propres légaux au moment des décisions critiquées pour refuser la délivrance d’une autorisation de séjour à la demanderesse, étant entendu que la prise en charge, même par un éventuel futur conjoint de la demanderesse, ne saurait être considérée comme constituant des moyens personnels.

La demanderesse reproche encore au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur quant à la réalité matérielle des faits, en soutenant que la première autorisation de séjour qui lui fut délivrée par le ministre en date du 25 mars 2002 se serait basée sur son futur mariage avec Monsieur D. et qu’à cette époque, le ministre aurait eu connaissance du fait que son futur conjoint aurait été en instance de divorce et qu’une telle procédure serait nécessairement longue et pourrait parfois prendre plusieurs années. Ainsi, au moment des décisions litigieuses, la procédure de divorce aurait toujours été en cours et ce ne serait qu’en date du 28 janvier 2003 que l’affaire aurait été prise en délibéré par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg et malgré le fait que le prononcé du jugement aurait été fixé au 13 février 2003, elle n’aurait pas été en possession d’une copie dudit jugement à la date de l’introduction du présent recours. Elle se base sur ces faits pour expliquer qu’au moment des décisions litigieuses, elle n’aurait pas été en mesure d’épouser Monsieur D., malgré leur volonté commune « de le faire au plus tôt ».

Abstraction faite de la légalité de la procédure suivie par le ministre de la Justice en matière de délivrance d’autorisations de séjour à de futurs conjoints étrangers souhaitant se marier avec un résident légalement établi au Grand-Duché de Luxembourg, il échet de constater qu’en l’espèce, une erreur quant à la matérialité des faits ne saurait être reprochée au ministre de la Justice qui a valablement pu constater qu’au moment des décisions litigieuses, la demanderesse se trouvait être établie irrégulièrement sur le territoire luxembourgeois et qu’à ces dates, elle n’était pas en mesure de lui remettre la pièce exigée par lui en vue de la délivrance d’une prorogation de sa première autorisation de séjour ayant expiré le 15 septembre 2002, peu importe les raisons qui ont pu motiver les difficultés pour obtenir le document en question.

La demanderesse reproche encore au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur de droit, dans la mesure où il aurait émis deux décisions différentes par rapport à une même situation de fait, étant donné que tant la décision initiale du 25 mars 2002, lui accordant une autorisation de séjour temporaire que les décisions actuellement sous examen des 24 octobre et 4 décembre 2002, lui refusant une telle autorisation, se seraient basées sur une situation de fait identique, à savoir son projet d’épouser Monsieur D..

Ce moyen doit également être rejeté pour ne pas être fondé, étant donné qu’abstraction faite de la légalité de la décision précitée du 25 mars 2002, le ministre de la Justice pouvait légalement refuser la délivrance d’une autorisation de séjour à la demanderesse sur base du seul motif ci-avant analysé et tiré de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Il y a également lieu de rejeter le moyen basé sur une erreur manifeste d’appréciation des faits invoqué par la demanderesse en précisant qu’elle aurait vécu avec Monsieur D. dans une relation « stable et continue » à la même adresse située à L-…, ensemble avec l’un des enfants de Monsieur D., âgé de 14 ans, avec lequel elle aurait eu « de très bonnes relations », étant donné que ce fait n’est pas de nature à énerver la légalité des décisions sous examen, valablement délivrées sur base de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Enfin, la demanderesse soutient que les décisions critiquées seraient contraires à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce qu’elle vivrait dans une relation « stable et régulière au Luxembourg, ensemble avec Monsieur D. » et qu’elle aurait l’intention de l’épouser. Elle ajoute qu’elle s’occuperait quotidiennement de l’enfant de son futur époux et qu’elle ne constituerait en aucune mesure un danger pour l’ordre public.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement estime que le droit à la vie familiale tel que réglementé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne couvrirait pas la situation de concubinage de la demanderesse avec Monsieur D.

pendant une période pendant laquelle il était marié avec une autre personne. En termes de plaidoiries, le représentant étatique conteste en outre qu’en l’espèce la preuve d’une vie familiale aurait été rapportée par la demanderesse.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état la demanderesse pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il échet tout d’abord de relever qu’il n’est pas allégué ni établi qu’une vie familiale effective ait existé entre la demanderesse et Monsieur D. antérieurement à l’immigration de la demanderesse au Grand-Duché de Luxembourg.

En ce qui concerne la possibilité de l’existence d’une vie familiale entre la demanderesse et Monsieur D. au cours du séjour de la demanderesse au Luxembourg, il échet de constater que la demanderesse n’a pas établi l’existence de relations familiales effectives et portant sur une certaine durée, susceptible de bénéficier de la protection prévue par l’article 8, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, le certificat de résidence produit par la demanderesse, suivant lequel elle aurait habité depuis le 19 avril 2002 à …, délivré le 6 février 2003 par le « Bierger-Center » de la Ville de Luxembourg n’étant pas de nature à entraîner à lui seul la conviction du tribunal, en l’absence de tout autre élément susceptible d’établir une telle vie familiale.

Il s’ensuit qu’en l’absence de preuve permettant de conclure à l’existence d’une vie familiale durable, la demanderesse ne tombe pas sous le champ d’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, de sorte que son moyen doit être rejeté pour n’être pas fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé et partant la demanderesse est à en débouter.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 25 septembre 2003 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16050
Date de la décision : 25/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-25;16050 ?

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