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25/09/2003 | LUXEMBOURG | N°15694

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2003, 15694


Tribunal administratif N° 15694 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 décembre 2002 Audience publique du 25 septembre 2003

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Recours formé par … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15694 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2002 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tablea

u de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de …, née le … à Kinshasa (République Démocratique du C...

Tribunal administratif N° 15694 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 décembre 2002 Audience publique du 25 septembre 2003

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Recours formé par … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15694 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2002 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de …, née le … à Kinshasa (République Démocratique du Congo), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son fils mineur …, né le … à Luxembourg, tous les deux de nationalité congolaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er août 2002, notifiée le 3 septembre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux par ledit ministre le 7 novembre 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

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Le 24 novembre 1999, … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date du 27 janvier 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 1er août 2002, notifiée le 3 septembre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« Vous exposez avoir été membre du parti politique PDSC depuis 1998. Vous précisez que votre père serait le président du PDSC à Limba-Kinshasa. Vous n’auriez pas eu de problèmes à cause de votre adhésion audit parti.

Vous expliquez que votre fiancé aurait fait partie d’un groupe de rebelles qui aurait soutenu Mobutu et combattu Kabila. Il aurait été informateur. Vous précisez que ce groupe rebelle n’aurait pas de nom. Vous auriez été arrêtée en date du 26 septembre 1999 par des soldats de Kabila alors que vous vous trouviez chez un ami informateur de votre fiancé. Ces derniers auraient également été arrêtés. Vous auriez tous été libérés après deux semaines, faute de preuves. Votre domicile n’aurait pas été fouillé parce que vous auriez donné l’adresse de vos parents aux soldats. Vous auriez été frappée et violée en prison.

Les soldats seraient revenus le 20 octobre 1999 et ils auraient trouvé les appareils de communication de votre ami. Vous auriez été emprisonnée jusqu’au 30 octobre 1999 au « camp Tchatch ». Un commandant qui aurait appartenu à votre tribu aurait décidé de vous aider. Vous précisez que le commandant vous aurait violée auparavant à plusieurs reprises.

Des soldats seraient venus dans votre cellule et vous auraient donné une tenue militaire. Ils vous auraient ensuite conduite à un hôtel. Votre père aurait par la suite organisé votre fuite.

Votre ami aurait par ailleurs été tué.

Vous auriez maintenant peur d’être de nouveau emprisonnée. Cette peur s’expliquerait par le fait que vous auriez été accusée d’être la complice d’un rebelle.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué.

Ainsi, il est peu crédible que les soldats n’aient pas fait de recherches chez vos parents ou chez votre fiancé, mais qu’ils se seraient bornés à leur poser des questions et qu’ils auraient dû vous libérer faute de preuves pour vous emprisonner de nouveau quelques jours plus tard.

Il est tout aussi peu convaincant que vous ayez oublié le numéro de téléphone de votre sœur.

Par ailleurs, il est difficilement concevable que le commandant qui vous aurait violée à plusieurs reprises vous aurait aidée à vous enfuir de prison lorsqu’il aurait appris que vous appartiendriez à la même tribu que lui.

La simple appartenance à un parti politique n’est pas suffisante pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique.

D’ailleurs, vous expliquez vous même ne pas avoir eu de problèmes à cause de votre adhésion au parti PDSC.

Même à supposer les emprisonnements que vous relevez établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécutée dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, §2 de la Convention de Genève.

En effet, vous auriez été simple membre du parti PDSC et vous pensez avoir été emprisonnée du fait que votre ami aurait appartenu à un groupe rebelle. Vous ne fournissez pas d’autres explications concernant les motifs de vos emprisonnements. A défaut d’un quelconque élément objectif de preuve, il n’est pas établi que vos prétendus emprisonnements seraient dus à un des motifs énoncés à la Convention de Genève. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Concernant les violences que vous auriez subies, même à les supposer établies, rien ne permet de conclure qu’elles constituent l’expression d’une persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation politique en République démocratique du Congo, on assiste à un réel effort de la part du pouvoir en place de rétablir la paix et de former un gouvernement démocratique à représentation géographique et ethnique. Ainsi, à l’issu de l’accord intervenu le 19 avril 2002 dans le cadre du Dialogue Intercongolais de Sun City, Jean-Pierre Bemba, chef du mouvement MLC ancré en Equateur a été désigné comme Premier ministre de transition. L’accord prévoit également la tenue d’élections et l’instauration de plusieurs institutions nouvelles comme une Assemblée nationale, un Sénat et un Conseil Supérieur de la Défense. Une persécution systématique envers les équatoriens est également à exclure. A cela s’ajoute, qu’en date du 30 juillet 2002 les présidents Joseph Kabila et Paul Kagame ont signé un accord de paix destiné à mettre fin au conflit qui déchire la RDC et le Rwanda. L’accord oblige la RDC à désarmer et démanteler les miliciens Hutu Interahamwe et les ex-FAR et ceci en collaboration avec la MONUC. Pour sa part, le Rwanda s’est engagé à retirer ses troupes de la RDC.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre région ou province de la République démocratique du Congo, en l’espèce plus particulièrement dans votre province d’origine l’Equateur, pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 1er août 2002, Madame … fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire du 2 octobre 2002. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 7 novembre 2002, elle a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 1er août et 7 novembre 2002 par requête déposée en date du 5 décembre 2002.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme la demanderesse a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, la demanderesse fait exposer que sa fuite de son pays d’origine serait motivée par le fait que son fiancé, qui serait par ailleurs le père de ses deux enfants, aurait été un informateur travaillant pour un groupe de rebelles proche du « mouvement populaire de la révolution » ayant servi les intérêts de l’ancien président Mobutu contre son successeur, le président Kabila, qu’à ce titre, elle aurait été arrêtée ensemble avec son fiancé, en date du 26 septembre 1999, par des soldats du président Kabila et emprisonnée à la prison de Makala pendant une période de deux semaines, à la suite de laquelle ils auraient été relâchés, « faute de preuves ». Par la suite, et plus précisément pendant la nuit du 20 octobre 1999, des soldats du président Kabila se seraient rendus à leur domicile et y auraient trouvé « des appareils de communication » appartenant à son fiancé, de sorte qu’elle aurait été arrêtée « sur le champ » et transférée au camp « Tchat » à Kinshasa jusqu’au 30 octobre 1999, période au cours de laquelle elle aurait été violée à plusieurs reprises par l’un des soldats qui, par la suite, l’aurait aidé à s’échapper de la prison, en raison de son appartenance à la même tribu que celle à laquelle il appartenait lui-même.

Elle estime que sa vie serait actuellement en danger au Congo en raison du fait que le fiancé et père de ses deux enfants, aurait exercé des activités politiques soutenant l’ancien président Mobutu et qu’en cette qualité, il aurait été tué par des soldats de Kabila. Elle ajoute qu’elle aurait elle-même subi des sévices de la part des soldats du régime actuellement en place, en raison du fait qu’elle aurait hébergé un « informateur » d’un parti d’opposition et que ce fait serait perçu par les autorités congolaises actuellement en place comme étant un acte d’opposition et l’expression d’une conviction politique dirigée contre le pouvoir en place.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement constate que le récit de la demanderesse serait peu crédible, qu’elle n’aurait apporté aucun élément de preuve tangible pour corroborer les faits allégués par elle et que pour le surplus, lesdits faits, alors même qu’ils devaient être considérés comme étant dommageables dans le chef de la demanderesse, ne sauraient être considérés comme susceptibles de justifier la reconnaissance du statut de réfugié, de sorte qu’il conclut que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition du 27 janvier 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite des contradictions relevées par le ministre de la Justice, il échet de retenir que la demanderesse fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part du gouvernement actuellement en place dans son pays d’origine en raison de l’activité politique exercée par son fiancé et père de ses deux enfants, mais elle reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place se livrent encore actuellement à des actes de violence à l’encontre d’opposants politiques, étant entendu qu’il n’est pas établi que les seuls faits concrets dont la demanderesse fait état, à savoir ses deux emprisonnements ainsi que les viols subis, à les supposer établis, aient été motivés par le rôle prétendument joué par son fiancé dans le cadre d’un groupe de rebelles proche de l’ancien régime de Monsieur Mobutu, par ses opinions politiques propres, voire par d’autres considérations politiques, de sorte qu’ils ne sont pas de nature à justifier à l’heure actuelle la reconnaissance du statut de réfugié. - Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte que les informations fournies par la demanderesse en vue d’étayer ses craintes de persécutions sont vagues et insuffisantes et qu’elles ne sont pas confortées par le moindre élément de preuve tangible.

Pour le surplus, elle n’indique pas de raison qui l’empêcherait de profiter d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine afin d’échapper aux persécutions dont elle fait état.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 25 septembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15694
Date de la décision : 25/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-25;15694 ?

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