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25/09/2003 | LUXEMBOURG | N°15654

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2003, 15654


Tribunal administratif N° 15654 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 25 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15654 du rôle, déposée le 25 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Isabelle HOMO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégr

o), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une...

Tribunal administratif N° 15654 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 25 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15654 du rôle, déposée le 25 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Isabelle HOMO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 août 2002, notifiée le 3 septembre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 23 octobre 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Isabelle HOMO et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 juillet 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 5 août 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 8 août 2002, notifiée le 3 septembre 2002, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous exposez que vous avez commencé votre service militaire en juillet 1998 mais que vous avez déserté dès le début des bombardements de la guerre du Kosovo, donc que vous n’avez effectué que neuf mois de service militaire. Vous auriez été convoqué, il y a trois mois, pour terminer votre service militaire. Vous dites que vous y avez suffisamment souffert en 1998 – vous auriez été envoyé souvent en déplacement – et que, pour cette raison, vous refusez de vous y rendre. Vous risqueriez donc une condamnation par un Tribunal Militaire.

Pour le surplus, vous n’avez pas été affilié à un parti politique et vous n’avez jamais participé à des manifestations politiques.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je constate que les seules persécutions dont vous faites état datent de votre service militaire et consisteraient en des envois fréquents en déplacement, dont vous prétendez qu’ils seraient dus à votre appartenance à la religion musulmane. Vos assertions, même après demande de précisions, restent très floues et ne sauraient en aucun cas fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Quant au fait d’avoir à terminer votre service militaire, il constitue une obligation normale et ne saurait constituer une persécution. En effet, la situation actuelle au Monténégro n’implique pas la participation à des opérations de guerre que des motifs de conscience valables pourraient réprouver.

Je prends acte aussi que la menace d’une condamnation par un Tribunal Militaire ne constitue qu’une part de l’alternative qui vous est offerte dans la convocation dont vous faites état : soit terminer le service militaire, soit risquer une condamnation. Il n’y a pas, là non plus, matière à persécution au sens de la prédite Convention.

En conséquence, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 25 septembre 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 8 août 2002.

Par décision du 23 octobre 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

A l’encontre des deux décisions ministérielles précitées des 8 août et 23 octobre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, par requête déposée le 25 novembre 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur expose qu’il serait originaire du Monténégro, qu’il appartiendrait à la minorité bochniaque et qu’il aurait dû quitter son pays d’origine en raison de sa désertion de l’armée fédérale yougoslave au courant du mois de juillet 1998, dès le début des bombardements ayant eu lieu pendant la guerre du Kosovo, et en raison d’une nouvelle convocation du mois de mai 2002 « pour terminer son service militaire », à laquelle il aurait refusé de répondre en craignant de subir de mauvais traitements similaires à ceux qu’il a dû supporter au cours de son service militaire pendant l’année 1998. Il précise encore qu’il aurait été menacé, vers la fin du mois de juin 2002 et au début de mois de juillet 2002 par un groupe d’hommes armés qui se seraient rendus à son domicile privé pour le menacer de mort, en ajoutant que plusieurs membres de sa famille et de son entourage auraient déjà été tués « devant ses yeux ». Enfin, il soutient que sa vie et sa liberté seraient gravement menacées dans son pays d’origine en raison de son appartenance à la population musulmane.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière d’un demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que la situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. trib. adm. 13 novembre 1997, n°s 9407 et 9806 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35 et autres références y citées).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 5 août 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur la désertion de Monsieur … au cours de l’année 1998, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle dans l’Etat de Serbie et Monténégro et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

En ce qui concerne en outre son insoumission, consistant dans le refus de répondre à une convocation reçue au mois de mai 2002 afin de « terminer son service militaire », il échet de constater que ladite convocation lui a été adressée à une époque à laquelle la guerre en ex-

Yougoslavie est terminée depuis longtemps et qu’à ce moment, il n’avait plus de raison de craindre de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquent actuellement de lui être infligés ou que la condamnation qu’il risque d’encourir de ce fait soit disproportionnée à l’infraction ainsi commise ou qu’elle soit motivée pour l’une des raisons visées par la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité « bochniaque » du Monténégro, il est vrai que la situation générale des membres de cette minorité est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

En ce qui concerne pour le surplus les menaces proférées à l’égard du demandeur, de la part d’un groupe d’hommes armés, même à les supposer établies, elles ne sauraient être qualifiées d’actes de persécution à connotation politique au sens de la Convention de Genève.

Il ne se dégage en effet pas à suffisance du récit fourni par le demandeur que ces menaces soient des actes d’intimidation politique plutôt que des infractions de droit commun et il n’en ressort pas non plus qu’elles aient émané du pouvoir en place, voire que ce dernier les auraient cautionnées.

Le tribunal constate au contraire que le demandeur base sa crainte de persécution en substance sur la situation d’insécurité générale existant toujours dans son pays d’origine, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de sa situation, sans expliquer ni surtout d’établir à suffisance les raisons pour lesquelles il ne pourrait pas rechercher la protection des autorités en place dans son pays d’origine, et sans faire référence à des éléments de fait permettant d’établir que ces autorités ne seraient pas en mesure ou n’auraient pas la volonté de poursuivre de tels actes.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance, reçoit le recours en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 25 septembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15654
Date de la décision : 25/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-25;15654 ?

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