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22/09/2003 | LUXEMBOURG | N°15982

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 septembre 2003, 15982


Tribunal administratif N° 15982 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2003 Audience publique du 22 septembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15982 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2003 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au

nom de Monsieur …, né le … à Gora (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son ép...

Tribunal administratif N° 15982 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2003 Audience publique du 22 septembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15982 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2003 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Gora (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Prizren (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 novembre 2002, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Pol URBANY et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 16 septembre 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 12 novembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 27 novembre 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1983/1984 au Monténégro. Pendant la guerre, en avril 1999, vous auriez été mobilisé et caserné à Dragas jusqu’à la fin du conflit, en juin ou en juillet 1999.

Vous auriez été membre du parti JUR depuis 1998. Après la guerre, des Albanais vous auraient fait des remarques désobligeantes à cause de votre adhésion à ce parti.

Vous dites que, depuis la fin de la guerre, les non-Albanais ont été tués et persécutés au Kosovo. En tant que Goranais, on vous aurait pris pour des Serbes. On vous aurait interdit de parler votre langue. On aurait cassé les vitres du magasin de chaussures dont vous étiez le gérant. Par la suite, en 1999, la chaîne de distribution aurait fermé votre magasin, alors qu’il était rentable et ceci sans explication. Vous auriez dû alors pointer au chômage. A l’occasion de l’un de ces pointages, en 2000, vous auriez été battu sur le chemin du retour.

En juillet 2000, vous auriez décidé de quitter Dragas pour Pec. Vous auriez vécu chez vos beaux-parents, et vous auriez aidé votre beau-père dans son kiosque de friandises. Vous auriez alors constaté que des Albanais venaient constamment frapper à la porte de sa maison et que même certains enfants étaient armés. Vous seriez alors reparti à Dragas.

A votre retour à Dragas, vous auriez eu encore des problèmes avec les Albanais qui vous auraient reproché de ne pas parler leur langue. Vous ajoutez que les Albanais jettent des bombes ou posent des mines, comme par exemple, à la fête goranaise du 6 mai 2001.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous dites que vous auriez été mal reçue au Centre Médical avec vos enfants, car vous ne parliez pas albanais.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que les faits que vous alléguez, à les supposer établis, ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier une crainte de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève. Ils traduisent, en effet, davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

En effet, en ce qui concerne le Kosovo, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’y est installée et qu’une administration civile, placée également sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne la situation plus précise des Goranais, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Finalement, les Albanais ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er, A., 2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de leur mandataire du 23 décembre 2002, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 27 novembre 2002.

Le 15 janvier 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … ont fait déposer un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 27 novembre 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer être originaire du Kosovo et faire partie de la minorité ethnique des Goranais, que la situation des membres de ladite minorité serait « très difficile » au Kosovo, dans la mesure où ils feraient l’objet de discriminations importantes et ne seraient acceptés ni par les Albanais, ni par les Serbes, qu’ils feraient l’objet de nombreux mauvais traitements, de violences, ainsi que d’intimidations, de sorte que leur sécurité quotidienne ne serait absolument pas garantie au Kosovo. En ce qui concerne leur situation particulière, ils font état de ce qu’à la suite de le mise au chômage de Monsieur …, à la suite de la confiscation, en août 1999, des marchandises se trouvant dans le magasin dont il était le gérant, il aurait été agressé et battu par quatre Albanais en allant à la station de bus afin de se rendre à Gora pour y pointer sa carte de chômeur et que ces personnes l’auraient menacé de mort. Ils font encore état du fait que dès leur arrivée chez les parents de Madame …, le kiosque de ceux-ci aurait été cambriolé et le père de Madame … aurait été agressé par des jeunes Albanais munis de pistolets.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives du 12 novembre 2002, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de subir des persécutions de la part d’Albanais du Kosovo en raison de leur appartenance à la minorité des « goranais ».

Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « goranais », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle en l’espèce, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, à l’exception de certaines zones de tension locales, la situation de sécurité générale des « goranais » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse, ceci spécialement dans les alentours de la ville de provenance des demandeurs (« Concerning the Goranis, with the exception of Gjilan/Gnjilane region, in particular Ferizaj/Urosevac, their security situation can likewise [par référence à la situation générale des bochniaques] be considered relatively stable particularly in the rural communities of Dragash municipality which has a high concentration of Gorani »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « goranais » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Force est de constater que les craintes exprimées par les demandeurs s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que les demandeurs n’ont pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 septembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15982
Date de la décision : 22/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-22;15982 ?

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