La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/09/2003 | LUXEMBOURG | N°15635

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 septembre 2003, 15635


Tribunal administratif N° 15635 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 novembre 2002 Audience publique du 22 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15635 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2002 par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas (Kosovo/ Etat de Serbie et Monténégro),

de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une ...

Tribunal administratif N° 15635 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 novembre 2002 Audience publique du 22 septembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15635 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2002 par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas (Kosovo/ Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 septembre 2002, notifiée par lettre recommandée le 23 octobre 2002, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François MOYSE, en remplacement de Maître Christian GAILLOT, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 21 décembre 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 16 janvier 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 septembre 2002, notifiée par lettre recommandée le 23 octobre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo en septembre 2000.

Vous précisez ne pas pouvoir circuler librement au Kosovo. Vous ajoutez qu’il n’aurait pas de prospérité au Kosovo. Votre famille y aurait une mauvaise réputation parce que vos frères auraient été mobilisés auprès de l’armée serbe. Vous auriez peur parce que vous appartenez à une minorité.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique, vous précisez seulement avoir été sympathisant d’un parti serbe d’opposition en 1992. Vous auriez été mal vu par la police à cette époque, mais vous n’auriez pas eu de problème.

Concernant la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Ainsi, le fait que vous ne pourriez pas circuler librement et que votre famille aurait une mauvaise réputation ne sont pas d’une gravité telle qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

Le simple fait d’avoir été sympathisant d’un parti politique en 1992 ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique particulièrement exposée.

Force est de constater que les motifs que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, les groupements d’Albanais ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention.

En outre, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer au Monténégro ou en Serbie pour ainsi profiter d’une possibilité d’une fuite interne.

Enfin, il faut souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vues attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 20 septembre 2002.

Au cours de l’audience à laquelle l’affaire a été fixée pour les plaidoiries, le tribunal a soulevé la question de savoir si le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur en date du 20 mars 2003 avait été déposé dans les délais tels que fixés par la loi, ce moyen ayant trait à l’ordre public et doit en tant que tel être soulevé d’office par le tribunal.

Lors des plaidoiries, le mandataire du demandeur s’est rapporté à la sagesse du tribunal afin de savoir si son mémoire en réplique doit être écarté des débats.

L’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prévoit en ses paragraphes (5) et (6) que :

« (5) Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse, la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois.

(6) Les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus à peine de forclusion. Ils ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre ».

Il convient encore de relever qu’aucune prorogation de délai n’a été demandée au président du tribunal conformément à l’article 5, paragraphe (7) de la loi précitée du 21 juin 1999 ni, par la force des choses, accordée par ce dernier.

Il se dégage de l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999, que la question de la communication des mémoires dans les délais prévus par la loi est à considérer comme étant d’ordre public pour toucher à l’organisation juridictionnelle, étant donné que le législateur a prévu les délais émargés sous peine de forclusion.

Dans la mesure où l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a déposé son mémoire en réponse au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2003, le dépôt du mémoire en réplique a dû intervenir pour le 28 février 2003 au plus tard. Or, dans la mesure où le mémoire en réplique n’a été déposé qu’en date du 20 mars 2003, à savoir après l’expiration du délai légal dans lequel ledit mémoire en réplique aurait dû être déposé au greffe, il est à écarter des débats.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Kosovo et qu’il appartient à la minorité ethnique des goranais, que sa sécurité n’aurait nullement été assurée dans son pays d’origine, étant donné qu’il existerait toujours des « actions violentes isolées à l’encontre des goranis », que ni l’armée, ni la police n’arriveraient à garantir aux habitants du Kosovo et plus particulièrement à la minorité ethnique des goranais une sécurité totale, de sorte qu’il craindrait pour sa vie en cas de retour dans son pays d’origine. Il ajoute qu’au cours de l’année 1992, il aurait été arbitrairement arrêté par la police serbe qui l’aurait frappé et insulté à cette occasion.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 16 janvier 2002, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient tout d’abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il suit de ce qui précède qu’en ce qui concerne les prétendues persécutions que le demandeur a invoquées et ayant trait à des faits qui se seraient passés au cours de l’année 1992, il échet de constater que dans la mesure où il n’existe plus au Kosovo des forces de police serbes, le demandeur n’a, à l’heure actuelle, plus de raison de craindre des persécutions de leur part.

En outre, en ce qui concerne les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de subir des persécutions de la part d’Albanais du Kosovo en raison de son appartenance à la minorité des « goranais ». Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « goranais », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, à l’exception de certaines zones de tension locales, la situation de sécurité générale des « goranais » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse, ceci spécialement dans les alentours de la ville de provenance du demandeur (« Concerning the Goranis, with the exception of Gjilan/Gnjilane region, in particular Ferizaj/Urosevac, their security situation can likewise [par référence à la situation générale des bochniaques] be considered relatively stable particularly in the rural communities of Dragash municipality which has a high concentration of Gorani »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « goranais » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

Force est de constater que les craintes exprimées par le demandeur s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, écarte le mémoire en réplique des débats ;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 septembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15635
Date de la décision : 22/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-22;15635 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award