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22/09/2003 | LUXEMBOURG | N°15622

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 septembre 2003, 15622


Tribunal administratif N° 15622 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2002 Audience publique du 22 septembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15622 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ€

™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Crhalj/Bijelo Polje (Monténégro/Etat...

Tribunal administratif N° 15622 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2002 Audience publique du 22 septembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15622 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Crhalj/Bijelo Polje (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 mai 2002, notifiée en date du 17 juin 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision implicite de rejet du recours gracieux dirigé par courrier du mandataire de Monsieur … du 19 juillet 2002 à l’encontre de la décision initiale de rejet du 24 mai 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise du 24 mai 2002 ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 29 novembre 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 14 décembre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 24 mai 2002, notifiée le 17 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations qu’en novembre 2001 vous auriez reçu une convocation pour faire votre service militaire. Vous devriez vous présenter au mois de décembre 2001, mais vous auriez quitté votre pays d’origine avant, pour éviter d’aller à l’armée yougoslave. Selon vos dires votre oncle, … ., aurait été commandant au MUP de Bijelo Polje. Lors de la guerre de Bosnie ce dernier aurait quitté le MUP pour joindre les rangs de l’armée bosniaque. A l’époque cet acte aurait causé des problèmes à votre oncle qui actuellement se trouverait en Bosnie. Vous indiquez maintenant ne pas vouloir joindre cette armée yougoslave que votre oncle aurait quitté. Vous craindriez avoir des problèmes à cause de votre lien de parenté avec … ..

Vous précisez ne pas avoir eu de problèmes à cause de votre refus d’aller à l’armée.

La police militaire ne serait pas à votre recherche.

Vous ajoutez aussi que les problèmes que votre oncle aurait eu à l’époque se seraient teint sur toute votre famille. Ainsi vous déclarez avoir subi des provocations. On vous aurait refusé des candidatures d’emploi. Votre maison aurait également été détruite sans que vous ne donniez d’autres explications.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane au Monténégro, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission, à la supposer établie dans votre cas, est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée yougoslave imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Le motif invoqué pour votre refus d’aller à l’armée, à savoir la crainte d’avoir des problèmes à cause de votre lien de parenté avec … . traduit plutôt un sentiment d’insécurité et ne justifie pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que vous n’êtes pas en mesure de prouver votre lien de parenté avec … ..

Les autres motifs que vous invoquez vaguement (provocations, refus de travail), à les supposer établis, ne sont pas d’une gravité telle qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin et surtout, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE. De plus, l’ancien Président Milosevic a été extradé et traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement.

A cela s’ajoute que le 15 mars 2002 un accord serbo-monténégrin a été signé par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. La République fédérale de Yougoslavie cessera d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 18 novembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 24 mai 2002, ainsi que de la décision implicite de rejet du recours gracieux dirigé contre celle-ci, resté sans réponse de la part du ministre de la Justice pendant un délai de plus de trois mois.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur, originaire du Monténégro et de confession musulmane, conclut à la réformation des décisions entreprises au motif que le ministre aurait fait une appréciation erronée des faits, alors qu’il s’en dégagerait qu’il remplit les conditions légales pour être admis au statut de réfugié prévu par la Convention de Genève.

Dans cet ordre d’idées, il expose avoir quitté son pays d’origine en raison des problèmes qu’il risquerait d’y avoir du fait que son oncle, Monsieur . …, qui aurait été le commandant, à savoir le « bras droit du ministre des Affaires intérieures, OMUP de Bijelo Polje », aurait quitté le « MUP » pendant la guerre de Bosnie, afin qu’il puisse rejoindre l’armée bosniaque. De ce fait, il craindrait de rejoindre l’arme yougoslave, en ajoutant qu’il aurait quitté son pays d’origine au moment de la réception d’une convocation à l’armée. Il craindrait actuellement d’être traduit devant le tribunal militaire et d’être condamné. Pour le surplus, il ajoute avoir quitté son pays d’origine en partie en raison de son appartenance à la communauté des musulmans et des difficultés de coexistence entre les communautés musulmane et orthodoxe.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Selon l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 14 décembre 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant la crainte du demandeur de rejoindre l’armée fédérale yougoslave, il échet de constater qu’il a reçu la convocation à l’armée au cours du mois de novembre 2001, à savoir à une date à laquelle les guerres ayant eu lieu en ex-Yougoslavie au cours des dernières années étaient terminées depuis longtemps. De ce fait, le demandeur n’avait à cette date plus de raison de craindre de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et religieuse, risquaient ou risquent de lui être infligés au sein de l’armée yougoslave après le changement du régime politique, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Les autres craintes vagues exprimées par le demandeur en raison tant de sa confession musulmane et des problèmes de coexistence entre les communautés religieuses au Monténégro que du fait que son oncle aurait servi dans l’armée bosniaque après avoir quitté le « MUP » constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités dans son pays d’origine ne seraient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 septembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15622
Date de la décision : 22/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-22;15622 ?

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