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22/09/2003 | LUXEMBOURG | N°15609

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 septembre 2003, 15609


Tribunal administratif N° 15609 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 novembre 2002 Audience publique du 22 septembre 2003 Recours formé par Monsieur ., … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15609 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2002 par Maître Claudie PISANA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ., né le … à Burrel (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant

actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justic...

Tribunal administratif N° 15609 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 novembre 2002 Audience publique du 22 septembre 2003 Recours formé par Monsieur ., … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15609 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2002 par Maître Claudie PISANA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ., né le … à Burrel (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2002, notifiée par lettre recommandée le 23 octobre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 14 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Claudie PISANA, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

En date du 1er juillet 2002, Monsieur . introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur . fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 18 juillet 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 23 septembre 2002, notifiée par lettre recommandée le 23 octobre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous exposez avoir travaillé comme président du Forum de Jeunesse du parti « Legaliteti ». Vous auriez été membre de ce parti depuis avril 2000.

Vous indiquez qu’il y aurait eu deux attentats contre votre personne. Le premier attentat aurait eu lieu le 10 juillet 2001 et le deuxième le 27 mai 2002. La raison de ces attentats aurait été que vous auriez été observateur dans un bureau de vote lors des élections législatives du 24 juin 2001. Les observateurs du parti socialiste auraient essayé de manipuler ces élections mais vous vous y seriez opposé.

Vous estimez que la sûreté de l’Etat ou bien le parti socialiste serait derrière ces attentats.

Force est cependant de constater que la situation politique s’est considérablement stabilisée en Albanie depuis l’année 1999. Ainsi les observateurs internationaux présents en Albanie lors des élections législatives de juin 2001 n’ont pas pu constater des manipulations des élections telles que décrites par vous. On peut dire que les élections législatives de juin 2001 se sont déroulées dans le calme et sans manipulations.

Il n’est d’ailleurs aucunement prouvé que ces élections auraient été manipulées par le parti socialiste.

Le fait que vous auriez été observateur de votre parti lors des élections et président du Forum de Jeunesse ne signifie pas forcément que vous auriez été dans une position particulièrement exposée.

En ce qui concerne les évènements des 10 juillet 2001 et 27 mai 2002 – même à les supposer établis – vous restez en défaut de prouver que ces attaques aient été des actes avec un arrière-fond politique. Vous n’avez même pas vu vos agresseurs ; d’où votre affirmation que l’Etat ou le parti socialiste seraient derrière ces actes équivaut à une simple supposition.

De même, les membres du parti socialiste ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 14 novembre 2002, Monsieur . a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 septembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur . expose qu’il aurait été le président du Forum de Jeunesse du parti « Legaliteti » de la section de Burrel, qu’il aurait été membre dudit parti politique et qu’à ce titre, il aurait participé à la campagne électorale des élections législatives de l’année 2001, lors desquelles il aurait été « impliqué dans le contrôle des opérations de dépouillement des votes », au cours desquelles il y aurait eu des manipulations de proches ou même de membres du parti socialiste afin que celui-ci puisse gagner les élections. Plus particulièrement, il fait état de ce qu’en sa qualité d’« observateur dans un bureau de vote » dans le cadre desdites élections parlementaires, il aurait été victime de deux attentats dirigés contre lui, notamment une attaque par deux personnes masquées qui l’auraient blessé au coude et qu’il aurait réussi à faire partir, ainsi qu’un tir d’une arme automatique à travers la fenêtre de son bureau, en date du 27 mai 2002. Il admet dans son recours contentieux qu’il ne serait pas en mesure de rapporter la preuve de l’identité des auteurs de ces attaques, mais qu’il suppose que ces attaques ne pourraient être que le fait de « socialistes », cette supposition se basant sur le contexte dans lequel ces attaques ont eu lieu. Elles seraient par ailleurs motivées par ses opinions et ses activités politiques.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 18 juillet 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même si les déclarations de Monsieur . relatives à son engagement politique, à son rôle joué au sein du parti politique « Legaliteti », et aux attaques et attentats dont il déclare avoir été la victime, peuvent être considérées comme étant crédibles, le tribunal est néanmoins amené à constater que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur paraissent essentiellement émaner de personnes privées étrangères aux autorités publiques, à savoir plus particulièrement de certains milieux politiques, de même qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

En outre, s’il est vrai que le demandeur met en cause également la disposition des forces de l’ordre à mener les investigations requises pour identifier les auteurs de ces attaques, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution de la part d’une personne quelle soit ou non au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de telles personnes.

Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demander d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carier : Qu’est qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants).

S’il est en l’espèce certes crédible que la motivation des personnes ayant commis les actes de persécutions allégués est susceptible d’avoir trait à l’activité politique de Monsieur ., les éléments du dossier ne permettent cependant pas de retenir que le demandeur a établi un défaut de volonté ou l’incapacité des autorités en place dans son pays d’origine pour lui assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à son encontre. Dans ce contexte, il y a lieu de relever que le demandeur a admis lui-même au cours de son audition qu’après les tirs d’armes automatiques, la police se serait rendue sur les lieux de l’attentat après seulement vingt minutes et que les agents de police auraient rédigé un procès-verbal sur l’incident en question, en déclarant toutefois ignorer l’identité des auteurs de cet attentat.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié de Monsieur .

comme n’étant pas fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 septembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15609
Date de la décision : 22/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-22;15609 ?

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