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22/09/2003 | LUXEMBOURG | N°15597

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 septembre 2003, 15597


Tribunal administratif N° 15597 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 novembre 2002 Audience publique du 22 septembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15597 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2002 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Bamena (Cameroun), de nationalité camerounais...

Tribunal administratif N° 15597 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 novembre 2002 Audience publique du 22 septembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15597 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2002 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Bamena (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er août 2002, notifiée le 6 septembre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 30 octobre 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sarah TURK, en remplacement de Maître François GENGLER, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 18 décembre 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu les 13 et 26 mars 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 1er août 2002, notifiée le 6 septembre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Vous déclarez avoir été simple membre du parti politique d’opposition SDF depuis 1985. Vous auriez ainsi assisté à des réunions et préparé la campagne électorale de 1992. Le 9 décembre 2001 vous auriez participé à une grande marche organisée par le SDF pour protester contre le gouvernement parce qu’il aurait « pillé les banques et volé la victoire électorale au SDF en 1992 ». Le soir en rentrant de la marche, des personnes en civil seraient venues à votre domicile et vous auraient débarqué dans un car. Vous ajoutez qu’une centaine d’autres personnes auraient également été arrêtées. On vous aurait emmené à la prison de « Codengui ». Vous précisez qu’il s’agirait de la prison des prisonniers politiques. Vous y seriez resté du 9-12 décembre.

Le 12 décembre 2001, un militaire que vous ne connaissez pas, vous ignorez son nom et vous ne l’auriez jamais vu auparavant, serait venu vous libérer. Vous ne connaissez pas les motivations qui auraient poussé cette personne à vous faire sortir de prison. Vous ajoutez même ne pas avoir dû la payer pour ce service. Vous seriez sorti de prison sans problèmes.

Ce militaire vous aurait emmené à l’aéroport encore le même jour. Vous dites qu’il aurait parlé avec des pilotes de la compagnie aérienne « Camair » et que vous les auriez suivi par une « porte secrète ». Vous auriez pris l’avion le 13 décembre 2001 au matin. Vous ajoutez avoir voyagé sans passeport et sans billet d’avion. Vous n’auriez par ailleurs jamais été contrôlé tout au long de votre voyage par la police ou la douane. A Bruxelles vous auriez vu une foule, vous vous y seriez mélangé et vous auriez ainsi pu vous soustraire à tout contrôle.

A part votre arrestation du 9 décembre 2001, vous précisez ne pas avoir eu d’autres problèmes avec le gouvernement camerounais.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les invraisemblances et contradictions dans votre récit laissent planer des doutes quant au motif de fuite invoqué et à la véracité de votre récit.

Ainsi, vous indiquez auprès de la Police Judiciaire être marié et avoir deux enfants.

Auprès de l’agent du Ministère de la Justice vous déclarez pourtant ne pas être marié et ne pas avoir d’enfants, mais que vous auriez une concubine qui s’appellerait Nana Marie. Par la suite vous prétendez que votre mère s’appellerait également Nana Marie, alors que lors de votre arrivée au bureau d’accueil des demandeurs d’asile vous avez noté que votre mère s’appellerait Nganda Julienne. Ces contradictions laissent planer des doutes sérieux quant à la crédibilité de vos déclarations.

A cela s’ajoute, qu’il est peu convaincant et crédible que vous auriez voyagé sans passeport et sans billet d’avion et que vous seriez entré par une « porte secrète » dans l’avion. Il est encore moins concevable que vous vous seriez soustrait à tout contrôle douanier et ceci surtout à Bruxelles, alors que la vigilance a été nettement augmentée à la suite des événements du 11 septembre 2001.

Il est tout aussi difficilement concevable qu’un militaire que vous ne connaissez même pas, dont vous ignorez le nom et les motivations personnelles, vous aurait fait sortir de prison et sans avoir demandé une contrepartie pécuniaire organiser votre voyage en Europe.

Même si les activités dans un parti politique d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, il n’en résulte pas automatiquement que tout membre actif d’un parti d’opposition risque des persécutions de la part du pouvoir en place. Force est de constater que vous restez en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif concernant votre rôle et vos activités au sein du parti SDF. A cela s’ajoute que vous prétendez être membre du SDF depuis 1985, alors que ce dernier n’a été créé qu’en 1990. Vous ne connaissez également ni le nom du secrétaire général du SDF, ni le sigle et le slogan du parti. A cela s’ajoute que vous ignorez que des élections présidentielles ont eu lieu en octobre 1997, élections que le SDF a par ailleurs appelé à boycotter.

En outre, votre emprisonnement, même à le supposer établi, ne saurait, à lui seul, fonder une crainte justifiée de persécution. En effet, vous auriez été emprisonné en raison de votre participation à une manifestation organisée le 9 décembre 2001 par le SDF. Une centaine d’autres personnes auraient également été arrêtées. Or, ni la presse nationale ou internationale et ni le SDF lui même ne font état d’une telle arrestation massive. Vous n’invoquez pas d’autre raison pour votre emprisonnement. Il n’est par conséquent pas établi que l’emprisonnement serait dû à une persécution dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un certain groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, §2 de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 3 octobre 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 1er août 2002.

Par décision du 30 octobre 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 11 novembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 1er août et 30 octobre 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

En premier lieu, le demandeur reproche au ministre de la Justice que la décision litigieuse du 1er août 2002 ne serait pas suffisamment motivée en fait et en droit et que du moins elle ne contiendrait pas des motifs suffisamment clairs et précis. Le moyen ainsi libellé par le demandeur dans sa requête introductive d’instance tend en substance à voir annuler les décisions entreprises pour violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Ledit moyen est cependant à rejeter, étant donné qu’il manque en fait. En effet, la décision du ministre de la Justice du 1er août 2002, à laquelle s’est référée la décision confirmative du 30 octobre 2002, à défaut d’éléments pertinents nouveaux soumis au ministre de la Justice dans le cadre du recours gracieux qui lui a été soumis, est suffisamment motivée et les faits résumés dans la décision correspondent aux faits sousjacents de la demande d’asile du demandeur et les motifs de refus, tant en droit qu’en fait, ont été indiqués de manière détaillée et circonstanciée et ont ainsi été portés à suffisance de droit à la connaissance du demandeur.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans ce contexte, il expose être originaire du Cameroun et de nationalité camerounaise, qu’il aurait été un membre actif du parti politique d’opposition SDF depuis 1985, qu’en cette qualité, il aurait assisté à des réunions « secrètes et interdites », qu’il aurait également participé à la préparation de la campagne électorale de 1992 en apposant des affiches pour ledit parti politique, qu’il aurait participé en date du 9 décembre 2001 à une « marche de protestation » contre le pouvoir en place , au cours de laquelle il aurait été arrêté par des « personnes en civil » et emprisonné dans la prison de Codengui pendant trois jours, avant d’être libéré « par un militaire qui l’a aidé à s’enfuir à Bruxelles ». Il craint actuellement d’être tué lors de son retour au Cameroun, en sa qualité d’« opposant déclaré au pouvoir en place », d’autant plus qu’il s’est enfui de la prison.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9 et autres références y citées, p. 519).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de ses auditions en date des 13 et 26 mars 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il convient en premier lieu de retenir que le ministre de la Justice a relevé au sujet du récit du demandeur un certain nombre de contradictions et d’invraisemblances, telles qu’inventoriées notamment dans sa décision du 1er août 2002 ci-avant libellée, qui ébranlent la crédibilité du récit du demandeur.

Par ailleurs, même en faisant abstraction des contradictions relevées par le ministre dans sa décision de refus, il y a lieu de relever que les affirmations du demandeur restent à l’état de simples allégations faute par lui de produire le moindre élément de preuve objectif les concernant et le récit du demandeur est assez invraisemblable, de sorte que le tribunal arrive à la conclusion que le demandeur n’a pas établi à suffisance de droit d’avoir fait l’objet de persécutions pour un des motifs énoncés à l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève.

Ceci dit, et même à supposer les faits à la base de sa demande d’asile établis, il y a lieu de retenir que le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de se voir tuer par des représentants du gouvernement actuellement en place au Cameroun, mais il reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place se livrent encore actuellement à des actes de violence à l’encontre « d’opposants politiques », étant entendu que les seuls faits concrets dont le demandeur fait état, à savoir son appartenance au parti politique SDF et sa participation à la marche de protestation contre le pouvoir en place en date du 9 décembre 2001, qui aurait justifié son incarcération, à supposer ces faits établis, ne sont pas de nature à justifier à l’heure actuelle la reconnaissance du statut de réfugié.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 septembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15597
Date de la décision : 22/09/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-09-22;15597 ?

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