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28/08/2003 | LUXEMBOURG | N°16841

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 août 2003, 16841


Tribunal administratif N° 16841 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2003 Audience publique du 28 août 2003

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Recours formé par Monsieur … … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16841 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2003 par Maître Sandra VION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie

ur … …, né le … à Shkoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’...

Tribunal administratif N° 16841 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2003 Audience publique du 28 août 2003

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Recours formé par Monsieur … … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16841 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2003 par Maître Sandra VION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Shkoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 juin 2003, notifiée par lettre recommandée le 17 juin 2003, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée irrecevable ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 août 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Monique BEYAERT, en remplacement de Maître Sandra VION, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 9 septembre 2002, Monsieur … …, alias … …, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Suite à une audition en date du 29 octobre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, Monsieur… fit l’objet d’une décision de rejet prise par le ministre de la Justice le 29 octobre 2002. La décision ministérielle de rejet est en substance motivée par le fait que Monsieur… n’aurait pas fait état d’une crainte légitime de persécutions au sens de la Convention de Genève, en ce que ses explications traduiraient tout au plus un sentiment général d’insécurité, de sorte que sa demande a été refusée comme étant manifestement infondée. Cette première décision fut confirmée par ledit ministre le 13 décembre 2002, suite à un recours gracieux du demandeur introduit par lettre de son mandataire en date du 3 décembre 2002.

Un recours contentieux introduit le 9 janvier 2003 à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 29 octobre et 13 décembre 2002 a été rejeté par un jugement du tribunal administratif du 10 février 2003 comme n’étant pas justifié.

A la suite de l’introduction d’un acte d’appel en date du 18 avril 2003 à l’encontre du jugement précité du tribunal du 10 février 2003, la Cour administrative a confirmé, par son arrêt du 15 mai 2003, le jugement précité du 10 février 2003.

Par courriers de son mandataire des 2 et 3 juin 2003, adressés au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile, Monsieur… a fait introduire une nouvelle demande d’asile, en se basant sur de prétendus « nouveaux faits » qui se seraient produits « récemment », en versant des convocations pour se présenter devant le tribunal de Shkoder, un jugement dudit tribunal du 21 mai 2003 le condamnant, en vertu du « règlement militaire », à une peine d’emprisonnement de 7 ans et une déclaration du « Parti Démocratique, lieu de Shkodra-

Albanie » relatant certains faits qui se seraient passés le 24 avril 2003 dans la maison de Monsieur… à Shkoder et en vertu de laquelle la vie de ce dernier serait en danger et son frère aurait été arrêté.

Il fit l’objet d’une nouvelle audition en date du 4 juin 2003, lors de laquelle il a déclaré ne pas être retourné dans son pays d’origine depuis la date de l’arrêt précité de la Cour administrative du 15 mai 2003 et de s’être procuré les nouvelles pièces par le biais de sa famille résidant en Albanie, qui les lui aurait envoyées par courrier. Interrogé sur ses craintes de persécution, il fait état de sa qualité de membre du parti démocratique, au sein duquel il aurait participé à des réunions. Il ajoute qu’il serait recherché par le parti socialiste du fait de sa participation à des manifestations au cours des années 1991, 1996, 1998 et 2000 et que de ce fait il aurait été condamné à 7 ans de prison. Il a déclaré toutefois ignorer l’identité des auteurs ayant enlevé son frère, en précisant que d’après sa mère, ceux qui auraient tué son père auraient également « pris » son frère. Il a encore fait état de ce qu’en l’an 2000, il aurait été emprisonné pendant 2 mois, sans toutefois avoir été condamné et qu’il n’aurait été libéré qu’à condition de «trouver les leaders du P.D. [parti démocratique] » dans un délai de 10 jours à défaut de quoi il serait « tué », ces faits ayant motivé sa fuite de son pays d’origine. Enfin, il a souligné qu’il n’y aurait pas de possibilité d’interjeter recours contre le jugement précité du tribunal de Shkoder du 21 mai 2003 « parce que c’est les Socialistes ».

Par décision du 11 juin 2003, notifiée par lettre recommandée le 17 juin 2003, le ministre de la Justice déclara la nouvelle demande en reconnaissance du statut de réfugié irrecevable aux motifs suivants : « (…) Vous aviez déposé une première demande en obtention du statut de réfugié le 9 septembre 2002.

Avant d’analyser les faits gisant à l’appui de votre seconde demande, il convient de rappeler brièvement les faits que vous aviez invoqué lors de votre première demande.

Vous aviez affirmé que les communistes détesteraient les démocrates et qu’il les frapperaient et que la réciproque serait vraie.

Vous aviez également précisé ne pas faire partie d’un parti politique et ne pas vous intéresser à la politique. En ce qui concernait les persécutions que vous auriez subies, vous aviez dit n’en avoir pas subi car « ça fait dix ans qu’il y a la démocratie » ; vous auriez cependant été frappé avec un fer sur la cheville par la police, ceci, selon vous « pour que je devienne démocrate ».

Dans votre audition au Ministère de la Justice le 4 juin 2003, vous invoquez, à l’appui de votre seconde demande, votre appartenance au Parti Démocratique. Vous y auriez été inscrit depuis 1998, vous auriez participé aux élections et aux réunions du parti. Vous dites avoir participé à des manifestations contre le Parti Socialiste en 1991, en 1996, en 1998 et en 2000.

Vous ajoutez que vous seriez recherché par la police et que vous auriez été condamné à une peine de sept ans de prison en raison de vos activités politiques. Vous versez, pour étayer cette assertion, trois convocations au Tribunal, un jugement de condamnation, une déclaration émanant du Parti Démocratique et un article de journal.

Vous précisez que votre mère vous aurait avoué que votre père aurait été tué. Vous ajoutez que votre frère, qui ne faisait pas de politique, aurait été emmené comme otage en attendant votre retour en Albanie et que votre famille serait sans nouvelle de lui.

Il ressort de la comparaison entre vos déclarations du 29 octobre 2002 (première demande) et celles du 4 juin 2003 (seconde demande) de flagrantes contradictions. Votre non-

affiliation à un parti politique et votre désintérêt pour la politique se sont transformés en huit mois, en une affiliation au parti Démocratique datant de 1998 et la participation, depuis 1991 (quand vous aviez 13 ans) à des manifestations contre le Parti Socialiste.

Vous invoquez maintenant une arrestation de deux mois en l’an 2000 avec des tortures à l’électricité et des brûlures au fer rouge, alors que dans l’audition d’octobre 2002, vous aviez dit n’avoir subi aucune persécution.

En ce qui concerne les pièces que vous versez maintenant à l’appui de votre demande, je constate que leur authenticité est douteuse. En effet, il est fort peu vraisemblable que figure dans un jugement vous condamnant la reconnaissance des tortures qu’on vous aurait fait subir lors de votre détention préventive. En effet, le Tribunal de Shkodra, auteur du jugement, précise « Avec toutes ces souffrances qu’il a subies en prison, il n’est toujours pas convaincu pour ces crimes contre l’Etat ».

Il convient également d’ajouter que la mise en page du jugement versé, les termes peu juridiques utilisés (indépendamment de la traduction) ainsi que l’absence de la mention du délai d’appel ou d’opposition, présente cependant dans tous les jugements, ajoutent encore aux doutes quant à l’authenticité des pièces.

Force est donc de constater que toutes vos déclarations sont sujettes à caution.

Il résulte de ce qui précède que vous ne faites pas état de nouveaux éléments crédibles d’après lesquels il existerait de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, d’après l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « le ministre de la Justice considérera comme irrecevable la nouvelle demande d’une personne à laquelle le statut de réfugié a été définitivement refusé, à moins que cette personne ne fournisse de nouveaux éléments d’après lesquels il existe, en ce qui la concerne, de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent votre demande est irrecevable au sens de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 ».

Suite à un recours gracieux, introduit par le mandataire du demandeur par courrier du 15 juillet 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision d’irrecevabilité le 7 août 2003.

Par requête déposée le 6 août 2003, Monsieur… a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 11 juin 2003.

L’Etat se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours, en constatant que la décision de rejet du recours gracieux est postérieure au dépôt du recours contentieux auprès du tribunal administratif.

Ce moyen d’irrecevabilité est toutefois à déclarer non fondé, dans la mesure où même à défaut par le ministre de la Justice d’avoir répondu au recours gracieux avant l’introduction du recours contentieux, le demandeur se trouvait dans le délai légal pour introduire un recours contentieux contre la décision ministérielle litigieuse du 11 juin 2003, de sorte que le simple fait par le ministre d’avoir rendu la décision confirmative après le dépôt du recours contentieux n’est pas de nature à rendre irrecevable le recours contentieux dirigé contre la décision initiale.

Le recours est pour le surplus recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur conclut à l’annulation de la décision querellée « pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits ».

A l’appui de son recours, il soutient que sa mère l’aurait informé au courant du mois de mai 2003 que la police serait venue arrêter son frère, qu’il serait lui-même activement recherché par les membres du parti socialiste et que la vie de son frère ainsi que la sienne seraient menacées. Il ajoute encore que depuis la première décision ministérielle par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée manifestement infondée, de « nombreux faits nouveaux » se seraient produits, tels que relatés à l’appui de sa nouvelle demande d’asile. Il reproche dans ce contexte au ministre de la Justice de remettre en question la véracité des faits par lui invoqués ainsi que l’authenticité des pièces nouvelles, en estimant que ceux-ci auraient dû être analysés au fond, afin de vérifier le bien-fondé de sa demande d’asile.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait à bon droit déclaré la demande de Monsieur… irrecevable, faute d’éléments nouveaux postérieurs à la première décision du ministre de la Justice, en relevant de nombreuses contradictions entre le récit produit par le demandeur à l’appui de sa première demande d’asile et celui présenté dans le cadre de sa nouvelle audition, ainsi que le défaut d’authenticité du jugement précité du tribunal de Shkoder.

L’article 15 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose dans son paragraphe 1er que « le ministre de la Justice considérera comme irrecevable la nouvelle demande d’une personne à laquelle le statut de réfugié a été définitivement refusé, à moins que cette personne ne fournisse de nouveaux éléments d’après lesquels il existe, en ce qui la concerne, de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ces nouveaux éléments doivent avoir trait à des faits ou des situations qui se sont produits après une décision négative prise au titre des articles 10 et 11 qui précèdent ».

En ce qui concerne l’un des prétendus faits nouveaux qui se serait produit après la décision négative prise à la suite de la première demande d’asile, à savoir le jugement précité du tribunal de Shkoder du 21 mai 2003, il échet de constater qu’à défaut par le demandeur d’avoir établi l’authenticité de ladite décision juridictionnelle, le tribunal est amené à conclure que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a mis en doute l’authenticité dudit document, en raison non seulement de la forme mais également du contenu de celui-ci.

En ce qui concerne le deuxième fait nouveau, à savoir l’enlèvement de son frère par les mêmes personnes que celles qui auraient tué son père, c’est-à-dire, d’après les allusions faites par le demandeur au cours de son audition précitée du 4 juin 2003, des membres du parti socialiste, il échet de remettre ces faits dans leur contexte, à savoir celui des contradictions flagrantes existant entre le récit présenté par le demandeur à l’appui de sa première demande d’asile, au cours duquel il a déclaré ne pas s’intéresser à la politique et ne pas être membre d’un parti politique et celui présenté à l’appui de la deuxième demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié. En effet, au cours de la deuxième audition du 4 juin 2003, il a déclaré être membre du parti démocratique et avoir assisté non seulement à des réunions de celui-ci mais également à des manifestations organisées au cours des années 1991, 1996, 1998 et 2000. Des contradictions aussi flagrantes enlèvent toute crédibilité au récit présenté par le demandeur à l’appui de sa deuxième demande d’asile, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a retenu que le demandeur n’a pas présenté de nouveaux éléments d’après lesquels il existe de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. En plus, ces éléments n’ont pas trait à des faits ou situations qui se sont produits après la première décision négative. Ainsi, c’est à bon droit qu’en application de l’article 15 de la loi précitée du 3 avril 1996, la deuxième demande d’asile a été déclarée irrecevable, de sorte que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Thomé, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 28 août 2003, par le vice-président, en présence de M. May, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.

May Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 16841
Date de la décision : 28/08/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-08-28;16841 ?

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