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21/08/2003 | LUXEMBOURG | N°16895

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 août 2003, 16895


Tribunal administratif Numéro 16895 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2003 Audience publique du 21 août 2003

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Recours formé par Monsieur … … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16895 du rôle et déposée le 13 août 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …

, né en … à Tiflet (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement détenu au Centre de séjour provi...

Tribunal administratif Numéro 16895 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2003 Audience publique du 21 août 2003

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Recours formé par Monsieur … … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16895 du rôle et déposée le 13 août 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né en … à Tiflet (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement détenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 juillet 2003 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 août 2003.

Par lettre conjointe des ministres du Travail et de l’Emploi et de la Justice du 5 mars 2002, Monsieur … … s’est vu refuser la délivrance d’une autorisation de séjour, au motif qu’il n’aurait pas été en possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis lui permettant de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir. Par la même lettre, il avait également été invité à quitter le Luxembourg dans un délai d’un mois.

Suite à l’introduction d’un recours gracieux en date du 2 avril 2002, et après réexamen du dossier, le ministre de la Justice informa le mandataire de Monsieur… , par courrier du 20 mars 2003, qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, il ne pouvait que confirmer sa décision antérieure, précitée, du 5 mars 2002, en lui rappelant que son mandant n’avait toujours pas quitté le pays.

1Le 22 juillet 2003, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur … … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que l’intéressé a été invité à quitter le pays en date du 5 mars 2002 par lettre du Service commun après que sa demande de régularisation avait été refusée ;

- que malgré ce refus l’intéressé a continué à séjourner au pays ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par transmis du 28 juillet 2003, le ministre de la Justice pria le service de police judiciaire, service des étrangers, de la police grand-ducale, d’organiser le départ de Monsieur… .

Par lettre du 1er août 2003, parvenue au secrétariat du ministère de la Justice le 5 août 2003, Monsieur… sollicita du ministre de la Justice la reconnaissance du statut de réfugié, ladite demande ayant été suivie d’une audition par un agent du ministère de la Justice au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière en date du 6 août 2003, au cours de laquelle il avait indiqué à l’agent enquêteur, qui l’avait interrogé sur les raisons l’ayant amené à quitter son pays d’origine, que son pays ne lui plaisait pas, qu’il n’y avait pas de travail, qu’il y aurait fait du sport et qu’il aurait décidé de venir gagner sa vie en Europe en faisant du sport.

A la suite de cette audition, le ministre de la Justice décida, en date du 7 août 2003, de déclarer manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, la demande d’asile précitée de Monsieur… , en raison de ce que les motifs ayant justifié son départ de son pays d’origine seraient purement économiques et qu’il n’alléguerait aucune crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par requête déposée le 13 août 2003 au greffe du tribunal administratif, Monsieur… a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision préindiquée du ministre de la Justice du 22 juillet 2003.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que la décision litigieuse se heurterait au principe de non-refoulement tel que prévu par l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953 et du Protocole 2relatif au statut de réfugiés, fait à New-York le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». Il conclut partant à l’annulation de la décision litigieuse pour violation de la loi en faisant valoir qu’il ne pourrait à l’heure actuelle être refoulé vers son pays d’origine, de sorte qu’aucune mesure de placement ne pourrait être prise à son encontre, étant donné que pareille mesure aurait précisément pour objet l’éloignement des étrangers en situation irrégulière.

Le demandeur conteste ensuite la réunion, en l’espèce, des conditions pour prendre une décision de placement, étant donné que le ministre de la Justice aurait omis de relever et de constater qu’il existe un danger réel qu’il essaie de se soustraire à une mesure de rapatriement ultérieure, un tel danger ne pouvant pour le surplus être dégagé du dossier administratif, alors qu’au contraire il aurait des attaches stables au Luxembourg, du fait d’y vivre depuis 1998 et qu’il vivrait actuellement « en concubinage notoire avec Madame S.E.R., de nationalité luxembourgeoise ». Enfin, il soutient que son placement constituerait une mesure disproportionnée au regard des dispositions légales et de sa situation personnelle. Dans ce contexte, il soutient que le Centre de séjour provisoire serait inadéquat pour héberger des étrangers en séjour irrégulier, étant donné que le régime de détention serait identique à celui applicable aux détenus de droit commun, à l’exception « du droit limité à la correspondance et la dispense de l’obligation de travail » et qu’il ne constituerait pas un établissement approprié au sens de l’article 15 (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.

Le délégué du gouvernement rétorque que selon l’article 33 de la Convention de Genève, l’Etat contractant ne peut expulser ou refouler un réfugié « sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée » pour conclure au caractère non pertinent de cette disposition en l’espèce, étant donné que le statut de réfugié a été refusé au demandeur et que partant, contrairement aux affirmations de ce dernier, il ne revêtirait plus la qualité de demandeur d’asile, mais tout au plus celle d’un demandeur d’asile débouté. Il précise encore que l’effet suspensif serait uniquement attaché au recours contre une décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié et non pas au seul délai du recours contentieux susceptible d’être introduit contre une telle décision administrative.

Le représentant étatique estime encore que les conditions légales autorisant le ministre de la Justice à ordonner une mesure de placement auraient été remplies en l’espèce, au vu de l’irrégularité du séjour du demandeur au pays et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans son chef qui présenterait « par essence » un risque de fuite justifiant sa rétention dans un Centre de séjour spécial.

Enfin, le délégué du gouvernement sollicite l’octroi d’une indemnité de procédure de 1000 € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, en estimant qu’il serait inéquitable de laisser à charge de l’Etat les sommes exposées par lui, au motif que les moyens de droit avancés dans le recours auraient été toisés et rejetés à de nombreuses reprises par le tribunal administratif suivant une jurisprudence constante.

Il est constant en cause qu’à la date de l’introduction du présent recours, le demandeur revêtait non plus la qualité de demandeur d’asile, mais celle de demandeur d’asile débouté, sa demande en obtention du statut de réfugié ayant été rejetée comme étant manifestement infondée par décision du ministre de la Justice du 7 août 2003.

3Conformément aux dispositions de l’article 10 (3) de la loi précitée du 3 avril 1996, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif contre les décisions de refus de faire droit à une demande d’asile intervenue sur base de l’article 9 de la même loi, lequel doit être introduit dans un délai d’un mois à partir de la notification de la décision de refus.

Conformément à la même disposition légale, le recours en question a un effet suspensif, de sorte que pendant le cours de la procédure contentieuse un demandeur d’asile débouté, par extension du principe de non-refoulement découlant directement de la Convention de Genève, ne saurait être refoulé vers son pays d’origine.

Force est cependant de constater que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement a indiqué dans son mémoire en réponse que c’est le recours contre une décision de refus qui a un effet suspensif et non pas le délai du recours contentieux, étant entendu qu’une décision administrative est en principe exécutoire sauf les exceptions prévues par la loi qui sont, par voie de conséquence, d’interprétation stricte. Il s’ensuit que l’effet suspensif attaché au recours en la matière ne saurait être étendu au-delà des termes de la loi au délai du recours contentieux.

Cette conclusion ne saurait être énervée par la référence au principe général de non-

refoulement découlant de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur dispose, par l’effet de la loi, de la possibilité d’introduire son recours dès la notification de la décision qu’il estime lui faire grief sans être tenu d’attendre l’expiration du délai de recours contentieux.

Dans ce contexte, il échet de relever qu’il ne ressort ni des éléments du dossier, ni des explications des parties, qu’au jour de la décision litigieuse ou à une date postérieure, le demandeur ait introduit un recours contentieux à l’encontre de la décision précitée du 7 août 2003.

En ce qui concerne le reproche basé sur le défaut par le demandeur de constituer un risque de se soustraire à une mesure de rapatriement ultérieure, il échet de relever qu’il subit une mesure de rétention administrative sur base de l’article 15 (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, et que dans la mesure où il constitue un étranger en situation irrégulière au pays, il rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus », telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en séjour irrégulier, de sorte que toute discussion sur l’existence d’un risque de fuite dans son chef s’avère désormais non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent, par essence, un risque de fuite, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un Centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise. Le simple fait qu’en l’espèce le demandeur se trouve en situation de « concubinage notoire » avec une ressortissante luxembourgeoise, relation d’ailleurs non autrement établie en l’espèce, ne saurait énerver les conclusions ci-avant tirées.

Le demandeur soutient encore que son placement constituerait une mesure disproportionnée au regard des dispositions légales et de sa situation personnelle. Dans ce contexte, il soutient que le Centre de séjour provisoire serait inadéquat pour héberger des étrangers en séjour irrégulier, étant donné que le régime de détention est identique à celui 4applicable aux détenus de droit commun, à l’exception « du droit limité à la correspondance et la dispense de l’obligation de travail » et qu’il ne constituerait pas un établissement approprié au sens de l’article 15 (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.

En vertu de l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi précitée du 28 mars 1972 « lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de la loi précitée du 28 mars 1972] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

Par le règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002 a été créée « au Centre pénitentiaire de Luxembourg une section spéciale pour les retenus appelée « Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière », où peuvent être placés les retenus, à savoir « tous les étrangers qui subissent une mesure privative de liberté sur base de l’article 15 de la loi [précitée] du 28 mars 1972 (…) ». A l’exception de certaines dérogations prévues par les articles 3 et 4 dudit règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, le régime de détention auquel sont soumis les retenus est celui prévu par le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires.

Il échet de constater que par le règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, le gouvernement a entendu créer, en application de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, un centre de séjour où peuvent être placées, sur ordre du ministre de la Justice, certaines catégories d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour lesquelles ledit centre de séjour provisoire est considéré comme un établissement approprié, conformément à l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi précitée du 28 mars 1972, en attendant leur éloignement du territoire luxembourgeois.

Force est encore de retenir que la création d’un tel Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’a pas pour conséquence qu’aucun autre établissement ne puisse être considéré comme approprié au sens de l’article 15 précité, au vu des éléments de chaque cas d’espèce, une telle volonté ne se dégageant ni de la disposition légale précitée, ni du règlement grand-ducal en question.

En l’espèce, le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, créé par le règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, est à considérer comme un établissement approprié, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre de la Justice sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement, qu’il a jusqu’à la date de la prise de la décision litigieuse, refusé de quitter le pays, malgré les invitations afférentes qui lui ont été faites à plusieurs reprises par le ministre de la Justice, à la suite des refus de délivrance d’autorisations de séjour au pays et qu’il n’a fait état d’aucun élément ou circonstance particulière justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire, de sorte que son moyen afférent est à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

Quant à l’indemnité de procédure sollicitée par l’Etat, il échet de constater qu’en l’espèce, les conditions d’application de l’article 33 de la loi précitée du 21 juin 1999 ne sont 5pas remplies, étant donné que le tribunal est amené à apprécier la légalité et le bien-fondé des décisions lui soumises au cas par cas par rapport aux dispositions légales applicables et que la sanction du caractère pertinent ou non des arguments de droit présentés, voire du caractère manifestement infondé d’un recours se résument en principe à l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure formulée par l’Etat ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Thomé, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 21 août 2003, par le vice-président, en présence de M. May, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.

May Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 16895
Date de la décision : 21/08/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-08-21;16895 ?

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