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23/07/2003 | LUXEMBOURG | N°16008

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 juillet 2003, 16008


Numéro 16008 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2003 Audience publique du 23 juillet 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16008 du rôle, déposée le 17 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le… , de nationalité ...

Numéro 16008 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2003 Audience publique du 23 juillet 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16008 du rôle, déposée le 17 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le… , de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…., tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 décembre 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 15 janvier 2003 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 juin 2003.

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Le 1er octobre 2002, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 19 novembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 2 décembre 2002, notifiée par courrier recommandé du 9 décembre suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 10 janvier 2003 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 15 janvier 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 2 décembre 2002 et confirmative du 15 janvier 2002 par requête déposée le 17 février 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire de la ville kosovare de Pec et appartenant à la minorité bochniaque, reproche au ministre une appréciation erronée des faits et de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées eu égard au risque de persécution auquel il se verrait exposé en cas de retour du fait de son appartenance à la minorité bochniaque. Il fait valoir que lui-même et ses frère et père auraient été à plusieurs reprises victimes d’agressions violentes et de menaces de la part d’Albanais en raison du service par lui accompli dans l’armée yougoslave durant la guerre au Kosovo et de son origine bochniaque. Il se prévaut de plaintes répétées déposées auprès des forces de la KFOR afin de voir les auteurs des agressions et menaces arrêtés pour affirmer qu’à défaut d’arrestations des auteurs alors même qu’ils auraient été identifiés, il ne pourrait, à l’instar des autres minorités du Kosovo, se prévaloir d’une protection adéquate pour faire obstacle aux agressions quotidiennes.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 19 novembre 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant la crainte de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre invoquée par la demandeur en raison de son appartenance à la minorité des Bochniaques, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bochniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue. Concernant plus particulièrement la région de Pec, le même rapport retient que les Bochniaques y établis n’ont pas fait état de craintes particulières concernant leur sécurité mis à part quelques incidents et qu’ils ont majoritairement rétabli leur liberté de mouvement d’avant la guerre (« Bosniaks in this region do not express concern about their physical safety, though some returnees have cited threats, verbal harassment, theft and stone throwing at their children. Most Bosniaks appear to have restored their pre-war range of movement »). Il s’ensuit que la situation générale des Bochniaques au Kosovo n’est pas à considérer à l’heure actuelle comme étant grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

En outre, il ressort des propres déclarations du demandeur que les éléments de persécution par lui invoqués se cristallisent autour de sa ville d’origine et qu’il a résidé après la fin de son service militaire durant plusieurs mois au Monténégro auprès de membres de sa famille. Il ne fait cependant point état de circonstances qui l’auraient empêché de profiter à plus longue échéance de cette possibilité de fuite interne, étant entendu que même si le Kosovo se trouve sous une administration distincte, il ne peut néanmoins pas être considéré comme étant entièrement distinct de l’Etat de Serbie-Monténégro concernant les possibilités de mouvement des ressortissants de l’ancienne Yougoslavie. Or, la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 40 et autres références y citées).

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 juillet 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16008
Date de la décision : 23/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-23;16008 ?

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