La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/07/2003 | LUXEMBOURG | N°16007

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 juillet 2003, 16007


Tribunal administratif Numéro 16007 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2003 Audience publique du 23 juillet 2003 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16007 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …(Fédération de Russie), de nationalité russe, demeuran

t actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice int...

Tribunal administratif Numéro 16007 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2003 Audience publique du 23 juillet 2003 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16007 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …(Fédération de Russie), de nationalité russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 20 novembre 2002, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 13 janvier 2003 suite à un recours gracieux de la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 22 mai 2002, Madame … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 7 juin, 26 juillet et 2 août 2002, elle fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 20 novembre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quittée l’Ukraine, où vous résidiez pour prendre place dans la voiture d’un passeur qui vous a emmenée au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre voyage.

Vous exposez que vous avez vécu en Russie jusqu’en septembre 2000, date à laquelle vous vous êtes installée en Ukraine, chez votre père.

Le 5 mars 2002, votre père aurait participé à un meeting politique du Parti Libéral Républicain. Des nationalistes ukrainiens auraient attaqué les organisateurs de ce meeting et votre père aurait été roué de coups. Il serait mort de ses blessures quatre jours plus tard.

Vous auriez alors porté plainte à la milice et, dès le dépôt de cette plainte, vous auriez reçu des menaces. Vous auriez même été victime d’un viol quelques jours plus tard. Suite à ce viol, vous auriez été hospitalisée. A votre sortie d’hôpital, vous seriez rentrée à la maison. Vous auriez trouvé vos trois violeurs installés chez vous et ils auraient cherché à vous faire signer un contrat de vente de votre appartement. Vous auriez alors mis le feu à l’appartement pour vous venger d’eux. D’après vos dires, les trois violeurs auraient été intoxiqués par les émanations de CO2 et l’un d’eux aurait perdu la vue.

Vous dites craindre les représailles des nationalistes ukrainiens dont vous pensez qu’ils chercheront à venger leurs camarades.

Vous prétendez que des plaintes déposées contre les nationalistes ukrainiens ne donnent aucun résultat.

Pour finir, vous dites n’avoir été membre d’aucun parti politique ni avoir eu d’activité politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord une très grande confusion dans votre récit ainsi que de nombreuses invraisemblances. En effet, le récit concernant le décès de votre père reste flou malgré les efforts de clarification entrepris par l’agent responsable de votre audition.

De plus, des événements survenus à un proche ne sauraient fonder automatiquement une persécution au sens de la Convention de Genève. Or, je constate que, contrairement à votre père, vous n’avez eu personnellement aucune activité politique qui pourrait vous placer dans une situation exposée.

Quant aux circonstances de l’incendie de votre appartement et à ses conséquences, elles sont également sujettes à caution, pour ne pas dire fantaisistes. En admettant même qu’on puisse leur accorder foi, le fait de risquer une peine pour un délit de droit commun, en l’occurrence des coups et blessures involontaires ayant entraîné une invalidité, ne saurait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève.

Finalement, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible [de] retourner en Fédération de Russie, pays dans lequel vous avez vécu de 1991 à 2000, dont vous possédez la nationalité et, selon toute vraisemblance, la citoyenneté.

Je constate donc qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 2 janvier 2003, Madame … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 13 janvier 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 17 février 2003, Madame … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 20 novembre 2002 et 13 janvier 2003.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose être de nationalité et de citoyenneté russe et d’avoir résidé en Ukraine. Elle soutient avoir quitté son pays en raison du fait que son père aurait été actif au sein du parti libéral républicain et assassiné au cours d’une manifestation par des nationalistes ukrainiens et qu’après avoir déposé plainte, elle aurait elle-

même reçu des menaces et même été violée, afin qu’elle retire sa plainte et que les agresseurs ne seraient pas punis par les autorités ukrainiennes, « notamment grâce au fait que la corruption s’est largement développée dans ce pays, sans épargner les autorités répressives ».

En substance, elle reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’elle a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte qu’elle serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite de certaines invraisemblances dans le récit de la demanderesse, force est de constater que même à admettre la véridicité des déclarations de la demanderesse en rapport avec ses craintes envers les nationalistes ukrainiens, il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, la demanderesse reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place en Ukraine tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des personnes proches du parti libéral républicain ou qu’elles ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de l’Ukraine, étant entendu qu’elle n’a pas établi un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Pour le surplus, les risques allégués par la demanderesse se limitent essentiellement à sa ville d’origine et elle reste en défaut d’établir qu’elle ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de l’Ukraine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 40 et autres références y citées), voire en Russie, dont, d’après la requête introductive d’instance, elle a la nationalité et la citoyenneté.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 23 juillet 2003, par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16007
Date de la décision : 23/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-23;16007 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award