La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/07/2003 | LUXEMBOURG | N°16594

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 2003, 16594


Tribunal administratif N° 16594 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2003 Audience publique du 16 juillet 2003 Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

--------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16594 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, sa

ns état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation ...

Tribunal administratif N° 16594 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2003 Audience publique du 16 juillet 2003 Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

--------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16594 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 mai 2003, notifiée par lettre recommandée le 21 mai 2003, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2003 par Maître François MOYSE au nom de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joram MOYAL, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 25 mars 2003, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue le 4 avril 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 14 mai 2003, notifiée par lettre recommandée le 21 mai 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’elle ne répondrait à aucun des critères de fond tels que définis par l’article 1er, section A.2 de la Convention de Genève. Le ministre a en effet retenu que Madame … reconnaissait n’avoir subi aucune persécution dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo, et qu’elle se bornait à faire état de la mauvaise situation économique au Kosovo et de l’insécurité, vague et peu convaincante, qu’elle y ressentirait.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2003, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 14 mai 2003.

Etant donné que l’article 10 (3) de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose expressément qu’en matière de demandes d’asiles déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation formulée à titre principal à travers la requête sous analyse.

Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré du fait que le ministre aurait utilisé des motifs flous et imprécis, qui ne tiendraient pas compte de la spécificité de sa situation réelle, en procédant à une analyse « très sommaire des faits », et sans analyser la situation concrète telle qu’elle se présenterait à la demanderesse lors d’un retour éventuel dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo.

En l’absence d’une prise de position quant à ce moyen par le délégué du gouvernement, force est néanmoins de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision déférée du 14 mai 2003 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance de la demanderesse. Pour le surplus, il échet de relever que l’appréciation de la réalité des motifs figurant dans la décision ministérielle litigieuse relève de l’examen au fond de ladite décision.

Quant au fond, la demanderesse soutient que la décision critiquée devrait être annulée en raison d’une appréciation manifestement erronée des faits.

Dans cet ordre d’idées, elle expose être originaire du Kosovo, de confession musulmane et appartenir à la population albanaise du Kosovo et qu’elle aurait dû fuir sa région d’origine en raison du fait qu’en tant que membre actif du parti politique LDK, elle aurait risqué de subir personnellement des persécutions à cause de son opinion politique et d’être mêlée à des conflits violents qui existeraient toujours au Kosovo et dont seraient victimes essentiellement les adhérents des partis politiques.

Elle fait ajouter à ce titre que toute sa famille aurait été « traditionnellement » membre du parti politique LDK, de sorte qu’elle serait connue « pour son orientation politique » depuis longtemps. Elle précise que son père aurait été torturé et assassiné « par des opposants du régime actuel en 1999 à cause de ses opinions politiques », et elle craindrait actuellement d’être recherchée et tuée par les assassins de son père, d’autant plus que d’autres membres de sa famille auraient été victimes d’attentats similaires, notamment l’un de ses cousins.

Elle expose en outre qu’il régnerait une situation d’insécurité au Kosovo, qui serait largement générée par des opposants au « régime actuel » et qu’elle aurait été le témoin « d’attaques violentes ayant eu lieu dans des cafés et lieux de rencontre de membres du parti », opposant des membres de différents partis politiques.

Enfin, elle fait valoir que bien que les Albanais musulmans, dont elle ferait partie, sont majoritaires au Kosovo, ils auraient néanmoins à craindre des règlements de compte, des « attitudes » d’épuration ethnique, ainsi que des actes de vengeance de la part d’autres groupes de la population du Kosovo.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement relève une contradiction entre les faits présentés par la demanderesse lors de son audition du 4 avril 2003 et ceux figurant dans la requête introductive d’instance, en soutenant qu’à aucun moment, il n’aurait été question, au cours de l’audition en question, de craintes de persécutions dans le chef de la demanderesse du fait de son adhésion au parti politique LDK, alors qu’au contraire elle aurait admise « ne pas avoir eu directement des problèmes » à cause de ladite adhésion. Il expose encore que la demanderesse, lors de ladite audition, aurait exclusivement invoqué des motifs ayant trait à la mauvaise situation économique du Kosovo ainsi qu’à l’insécurité y régnant, qui serait d’ailleurs commune à tous les habitants de cette région.

En ce qui concerne l’assassinat du père de la demanderesse en 1999, le représentant étatique fait valoir que même à supposer établi ledit assassinat, il ne saurait être pris en compte dans le cadre du présent recours, dans la mesure où la demanderesse admettrait elle-

même que cet assassinat a eu lieu en 1999, soit avant la guerre et à une période où le président Milosevic était encore au pouvoir au Kosovo, ce qui ne serait plus le cas à l’heure actuelle. Il ajoute qu’il serait invraisemblable que la demanderesse craint des persécutions en tant que membre du parti LDK, qui est le parti du président Rugova actuellement en place au Kosovo, en soulignant que les dangers qu’elle estime courir en tant que membre dudit parti ne seraient pas différents des autres habitants du Kosovo, de sorte que les craintes exposées par la demanderesse auraient exclusivement trait à son sentiment général d’insécurité qui règne actuellement au Kosovo, sans que ce sentiment ne soit en relation avec sa qualité de membre du LDK.

En matière de recours en annulation, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait ayant existé au jour où elle a été prise (trib. adm. 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en annulation, n° 12, p. 513 et autres références y citées).

En application de ce principe, il échet de ne vérifier la légalité de la décision critiquée que par rapport aux faits dont disposait le ministre au jour où la décision a été prise, en date du 14 mai 2003, à savoir ceux se dégageant du procès-verbal d’audition du 4 avril 2003, tel que signé le même jour par la demanderesse, à l’exclusion de ceux, contenus dans la requête introductive d’instance, qui n’ont pas été portés à la connaissance du ministre avant la prise de sa décision.

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement relève une contradiction entre les faits tels que déclarés à l’agent du ministère de la Justice au cours de l’audition du 4 avril 2003 et ceux figurant dans la requête introductive d’instance, étant donné que contrairement à ces derniers, la demanderesse avait simplement indiqué audit agent ne pas avoir de problèmes à cause de son adhésion au parti politique LDK, être venu au Luxembourg « à cause de l’insécurité » et en raison du fait qu’au Kosovo, elle ne disposait plus d’une « habitation », dans la mesure où leur maison aurait été brûlée. Elle a ajouté dans ce contexte qu’elle serait venue au Luxembourg à cause de la présence de son mari au pays et qu’elle ne serait pas arrivée à trouver du travail au Kosovo. Enfin, elle a déclaré ne pas avoir subi des agressions personnellement, en relevant toutefois qu’il serait difficile de circuler librement au Kosovo, dans la mesure où des inconnus « tirent sur les cafés et des gens innocents se font tuer ou sont blessés ».

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande. Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 93 et autres références y citées ;

trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 91 et autres références y citées).

Par ailleurs, il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte.

L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

En l’espèce, au regard des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile, tel qu’ils se dégagent du procès-verbal d’audition du 4 avril 2003, auxquels, comme il vient d’être relevé ci-avant, le tribunal peut seul avoir égard, force est de constater que la demanderesse n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine.-

En effet, il appert à l’examen du compte rendu de son audition, tel qu’il figure au dossier, que la demanderesse a en substance exprimé des motifs de convenance personnelle, un vague sentiment général d’insécurité par rapport à la situation existante actuellement au Kosovo, ainsi que des motifs économiques l’ayant incité à quitter son pays d’origine, sans apporter le moindre élément concret et individuel de persécution au sens de la Convention de Genève et sans préciser en quoi sa situation particulière ait été telle qu’elle pouvait avec raison craindre qu’elle risquerait de faire l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il s’ensuit que la demande d’asile sous examen ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande d’asile de la demanderesse comme étant manifestement infondée et que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 juillet 2003 par le vice-président en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16594
Date de la décision : 16/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-16;16594 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award