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16/07/2003 | LUXEMBOURG | N°16178

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 2003, 16178


Tribunal administratif N° 16178 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mars 2003 Audience publique du 16 juillet 2003

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16178 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mars 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Zenica (Bosnie-Herzégovine), demeuran...

Tribunal administratif N° 16178 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mars 2003 Audience publique du 16 juillet 2003

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16178 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mars 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Zenica (Bosnie-Herzégovine), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 janvier 2003, notifiée le 16 janvier 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 24 février 2003 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mai 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 10 juin 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 13 décembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 janvier 2003, notifiée le 16 janvier 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre domicile en Bosnie le 9 juin 2002 pour aller au Luxembourg. Votre épouse et votre enfant auraient dû vous suivre, mais ils ne seraient pas arrivés à quitter le pays. Vous ne pouvez donner aucune précision concernant votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 10 juin 2002.

Vous exposez que vous auriez participé à la guerre de Bosnie et qu’ensuite, vous seriez venu au Luxembourg où vous auriez déposé une première demande d’asile en 1995.

Vous seriez retourné en Bosnie en 1997. Vous y auriez été traité de déserteur, et vous n’auriez pas trouvé de travail. Le SDA aurait accordé des aides à la construction, mais vous n’auriez pas pu en bénéficier. Votre épouse, restée en Bosnie, ne serait que locataire de son domicile.

Vous dites aussi n’avoir été membre d’aucun parti politique.

Je vous signale que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord qu’il est fort curieux que, bénéficiant d’un visa pour un Etat de la Communauté Européenne, vous n’en ayez pas profité pour vous épargner ainsi la recherche et le prix d’un passeur.

Quoi qu’il en soit, le fait de n’avoir pas trouvé de travail dans votre village d’origine et de n’y être encore que locataire quand d’autres sont propriétaires ne saurait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève. Quant au fait d’avoir été traité de déserteur lors de votre retour en Bosnie, en avril 1997, il est irrelevant dans la mesure où vous n’êtes pas déserteur.

Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention précitée.

Pour le surplus, il convient de remarquer que vous ne rapportez pas la preuve de ce qu’il vous serait impossible de vous installer dans une autre partie de la Bosnie-Herzégovine pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 16 février 2003, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 6 janvier 2003.

Par décision du 24 février 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 25 mars 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles précitées du ministre de la Justice des 6 janvier et 24 février 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il serait originaire de la ville de Zenica en Bosnie et de confession musulmane. Il expose plus particulièrement avoir séjourné une première fois entre 1995 et 1997 au Luxembourg en tant que demandeur d’asile, mais qu’à son retour en Bosnie, on l’aurait traité de déserteur. Le demandeur expose encore qu’en sa qualité de membre dissident du parti majoritaire SDA en place, il serait privé de travail et d’aides sociales, de sorte qu’il ne pourrait pas y vivre normalement.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 13 décembre 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les allégations du demandeur relatives à son état de déserteur et au fait qu’il serait privé de travail et d’aides sociales sont très vagues et non autrement circonstanciées et elles ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible.

Il y a partant lieu de retenir que les considérations avancées par le demandeur se rapportent en substance à l’existence d’un climat général d’insécurité, situation qui n’établit pas un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait actuellement, à raison, intolérable dans son pays d’origine. A cela s’ajoute que le demandeur a encore précisé avoir quitté son pays d’origine surtout en raison des difficultés économiques, étant donné qu’il n’a pas pu trouver un travail. Or, des considérations d’ordre matériel et économique ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et ne constituent partant pas à elles seules un motif d’obtention du statut de réfugié.

Le tribunal se doit encore de relever spécialement qu’aucun fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place dans le pays d’origine du demandeur ne se dégage des éléments d’appréciation produits en cause, le demandeur n’alléguant même pas s’être adressé aux autorités chargées du maintien de l’ordre et de la sécurité publics.

Finalement, force est de constater que les difficultés dont le demandeur fait état se limitent essentiellement à la ville de Zenica et le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Bosnie-Herzégovine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquels un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 40 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 juillet 2003 par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16178
Date de la décision : 16/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-16;16178 ?

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