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16/07/2003 | LUXEMBOURG | N°16023

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 2003, 16023


Tribunal administratif Numéro 16023 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 février 2003 Audience publique du 16 juillet 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16023 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Shkup (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro),

demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision...

Tribunal administratif Numéro 16023 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 février 2003 Audience publique du 16 juillet 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16023 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Shkup (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 25 novembre 2002, notifiée le 6 décembre 2002, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 15 janvier 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2003 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joram MOYAL, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 18 septembre 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 21 octobre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 25 novembre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Pristina le 12 septembre 2002.

Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet, si ce n’est que vous êtes arrivé à Paris le 15 septembre 2002 et que, de là, vous avez pris le train jusqu’à Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 18 septembre 2002.

Vous exposez que vous n’avez jamais été convoqué au service militaire.

Vous exposez que vous subissiez, votre sœur et vous, des pressions de la part des Albanais qui savaient que vous étiez Goranais. Votre sœur aurait eu peur de se rendre à son travail et vous auriez été frappé et racketté pendant que vous vendiez des cigarettes. Vous ajoutez que vous n’auriez cependant émis aucune opinion politique, que vous auriez été placés, votre sœur et vous, dans un orphelinat dès votre plus jeune âge et que vous n’auriez appris que plus tard que vous aviez des origines goranaises. Vous auriez même changé votre nom original de MANDRAK en MANDRAKU pour lui donner une consonance albanaise.

Vous ajoutez que les gens de Dragas ont du mal à trouver du travail.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que le racket que vous invoquez constitue un délit de droit commun sans connotation politique particulière. Il en va de même des craintes que ressent votre sœur.

De toutes façons, les faits que vous alléguez, à les supposer établis, ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier une crainte de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève. Ils traduisent, en effet, davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

Enfin, en ce qui concerne le Kosovo, force est de constater qu’une armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’y est installée et qu’une administration civile, placée également sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne la situation plus précise des Goranais, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait plus être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, les Albanais ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de demander une protection particulière à l’UNMIK où votre sœur travaillait, ni de vous installer dans une autre partie de votre pays pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de son mandataire du 31 décembre 2002, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 25 novembre 2002.

Le 15 janvier 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale.

Monsieur … a fait déposer le 20 février 2003 un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles de refus prévisées.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur estime que la motivation ministérielle de refus serait inexacte et trop floue pour répondre aux exigences légales et réglementaires en matière de motivation.

Ledit moyen d’annulation, basé sur la violation notamment de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes est cependant à écarter, étant donné que, même à admettre que le reproche formulé soit justifié, il ne s’en dégagerait pas une cause d’annulation des décisions ministérielles litigieuses, l’omission de l’obligation d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. - Ceci étant, il convient d’ajouter qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de la décision ministérielle initiale du 25 novembre 2002 que le ministre a énoncé une motivation circonstanciée tant en droit qu’en fait et que, faute d’éléments nouveaux produits dans le cadre du recours gracieux, il a pu se référer dans sa décision confirmative à la décision initiale.

Le demandeur expose ensuite qu’il serait originaire du Kosovo, et, plus particulièrement, de la Ville de Dragas, qu’il appartiendrait à la minorité des « goranais » et qu’il aurait dû subir constamment des affronts de la part des Serbes et des insultes, menaces et attaques violentes de la part des Albanais. Dans ce contexte, le demandeur expose plus particulièrement qu’il serait traité par la majorité des Albanais comme un citoyen de deuxième classe, que plus particulièrement il aurait été racketté en vendant des cigarettes dans la rue et que sa sœur aurait constamment été la cible de menaces de la part d’un groupe d’Albanais.

Finalement, l’installation d’une force armée internationale agissant sous l’égide des Nations Unies n’empêcherait pas que les autorités sur place ne seraient pas encore capables d’empêcher les Albanais de persécuter les autres groupes kosovars minoritaires et une possibilité de fuite interne ne serait pas donnée, étant donné que les autres parties de l’ex-

Yougoslavie auraient déjà atteint leur capacité interne et refuseraient aux réfugiés internes tout soutien social et économique.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 21 octobre 2002, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de subir des persécutions de la part d’Albanais du Kosovo en raison de son appartenance à la minorité des « goranais ». Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « goranais », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle en l’espèce, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, à l’exception de certaines zones de tension locales, la situation de sécurité générale des « goranais » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse, ceci spécialement dans les alentours de la ville de provenance du demandeur (« Concerning the Goranis, with the exception of Gjilan/Gnjilane region, in particular Ferizaj/Urosevac, their security situation can likewise [par référence à la situation générale des bochniaques] be considered relatively stable particularly in the rural communities of Dragash municipality which has a high concentration of Gorani »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « goranais » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

Force est de constater que les craintes exprimées par le demandeur s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 juillet 2003, par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16023
Date de la décision : 16/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-16;16023 ?

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