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16/07/2003 | LUXEMBOURG | N°15862

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 2003, 15862


Tribunal administratif N° 15862 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2003 Audience publique du 16 juillet 2003

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Recours formé par Monsieur … et la société … s. à r. l.

contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15862 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2003 par Maître Carine

THIEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né ...

Tribunal administratif N° 15862 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2003 Audience publique du 16 juillet 2003

===============================

Recours formé par Monsieur … et la société … s. à r. l.

contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15862 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2003 par Maître Carine THIEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité bangladesh, demeurant à B. (Bangladesh), et de la société … s. à r. l., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 3 décembre 2002 refusant d’accorder à Monsieur …, préqualifié, un permis de travail pour un emploi de cuisinier auprès de la société … s. à r. l., préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Astrid BUGATTO, en remplacement de Maître Carine THIEL, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Par arrêté du 3 décembre 2002, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre », a refusé de faire droit à la demande en obtention d’un permis de travail présentée par Monsieur …, de nationalité bangladesh, pour un emploi auprès de la société … s. à r. l. en qualité de cuisinier « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 47 cuisiniers avec CATP et 379 aide-cuisiniers inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’administration de l’emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - recrutement à l’étranger non autorisé ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2003, Monsieur … et la société … ont fait déposer un recours contentieux tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel du 3 décembre 2002.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours introduit qui est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que la société … aurait été à la recherche d’un cuisinier dans le domaine de la cuisine du Bangladesh, que Monsieur … disposerait des qualifications professionnelles requises, étant donné qu’il aurait fait un stage comme cuisinier de 1992 à 1994 au Bangladesh et qu’il aurait travaillé comme chef de cuisine dans le restaurant « Lovely Hotel et Restaurant à Laksham Comilla » au Bangladesh entre 1995 et 2001, que la société … avait déclaré la vacance de poste à l’administration de l’Emploi, administration qui lui aurait conseillé d’insérer des annonces dans différents journaux au vu du fait qu’aucun demandeur d’emploi inscrit ne correspondait au profil requis.

Les demandeurs estiment partant que le ministre ne pourrait baser son refus sur l’argument tiré de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen, étant donné qu’aucun des cuisiniers inscrits comme demandeurs d’emploi n’aurait été qualifié pour le poste en question, de sorte que l’administration serait restée en défaut de rapporter la preuve de la présence d’une main-d’œuvre disponible et prioritaire.

Pour le surplus, en reprenant comme motifs de refus des formules générales et abstraites prévues par la loi, sans tenter de préciser concrètement les raisons de fait permettant de justifier la décision critiquée, l’administration aurait pêché par une absence de motivation mettant le juge administratif dans l’impossibilité de contrôle la légalité de l’acte attaqué.

Concernant ce dernier reproche, il échet de rappeler qu’une obligation de motivation expresse et exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972, concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal modifié d’exécution du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

En l’espèce, l’arrêté ministériel déféré du 3 décembre 2002 énonce 4 motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et suffit ainsi aux exigences de l’article 6 précité.

L’existence et l’indication des motifs ayant été vérifiées, il y a lieu d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier la décision déférée.

Quant au bien-fondé de la décision critiquée, le représentant étatique expose en premier lieu que Monsieur … aurait été recruté directement au Bangladesh ce qui équivaudrait à un recrutement à l’étranger non autorisé. En second lieu, le délégué du gouvernement estime que des demandeurs d’emploi appropriés bénéficiant de la priorité à l’embauche auraient été disponibles sur place au moment de la prise de décision. Pour le surplus, l’employeur n’aurait pas respecté son obligation de déclarer le poste vacant, étant donné que Monsieur … aurait été engagé moyennant contrat de travail du 15 juin 2002, c’est-à-dire avant l’entrée même à l’administration de l’Emploi de la déclaration d’engagement. Finalement, l’employeur n’aurait déclaré le poste vacant qu’en date du 16 décembre 2002, soit après la prise de la décision ministérielle du 3 décembre 2002 et que pareille déclaration de poste vacant effectuée postérieurement à l’intervention de la décision administrative ne saurait régulariser a posteriori la procédure d’octroi du permis de travail.

Concernant d’abord le motif de refus basé sur le recrutement non autorisé à l’étranger de Monsieur …, il y a lieu de constater que conformément aux dispositions de l’article 16 de la loi du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, le recrutement de travailleurs à l’étranger est de la compétence exclusive de l’administration de l’Emploi, sauf l’exception où un ou plusieurs employeurs, sur demande préalable, ont été autorisés par cette administration à procéder eux-mêmes à un tel recrutement « pour compléter et renforcer les moyens d’action de l’administration, notamment lorsque le déficit prononcé de main-d’œuvre se déclare » (doc. parl. n° 1682, commentaire des articles, ad. art. 16).

En l’espèce, il est constant que Monsieur … a été recruté au Bangladesh et qu’il n’a pas d’autorisation de séjour valable au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte qu’il est à considérer comme ayant été recruté à l’étranger au sens de la disposition légale précitée et que partant au vœu des dispositions de l’article 16.2 précité, l’employeur ayant eu l’intention d’engager Monsieur … aurait préalablement dû solliciter en premier lieu l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger.

Dans la mesure où aucun élément du dossier tel que présenté en cause ne permet d’établir que le recrutement à l’étranger de Monsieur … fut dûment autorisé, les faits à la base du motif de refus sous examen sont à considérer comme étant établis en cause.

La méconnaissance de l’obligation légale dans le chef de l’employeur de solliciter en premier lieu auprès de l’administration de l’Emploi l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger est susceptible de sanctions pénales expressément énoncées à l’article 41 de la loi du 21 février 1976, précitée, lequel dispose notamment qu’est puni d’une amende de 500 à 25.000 € toute personne qui exerce une activité de recrutement de travailleurs à l’étranger sans être en possession de l’autorisation préalable prévue à l’article 16 de la même loi ou qui n’observe pas les conditions imposées dans ladite autorisation.

Au-delà du fait qu’une sanction pénale est prévue par l’article 41 prévisé, il convient d’analyser si le non-respect de la formalité préalable à l’emploi d’un travailleur étranger inscrite à l’article 16 (2) précité est de nature à justifier une décision de refus du permis de travail.

A cet égard, il a été décidé par la Cour administrative que l’article 16 (1) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, fixe en principe pour l’administration de l’Emploi le monopole de procéder au recrutement de travailleurs à l’étranger et cela pour des raisons inhérentes à la surveillance du marché de l’emploi, ensuite pour des motifs concernant la santé publique, l’ordre public et la sécurité publique, enfin dans l’intérêt de la protection de l’emploi de la main-d’œuvre occupée dans le pays, la Cour s’étant référée à cet égard aux documents parlementaires n° 1682 entrevus plus particulièrement à partir de leur exposé des motifs, pour conclure au caractère impératif de la règle de procédure sous examen (cf. Cour adm. 22 octobre 2002, n°s 14539C et 14967C du rôle, non encore publiés).

Il s’ensuit que le motif de refus basé sur le recrutement à l’étranger non autorisé, au regard des considérations ci-avant fondées sur une jurisprudence constante de la Cour administrative, s’inscrit dans le cadre légal tracé par les dispositions de l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, en vertu desquelles seules « des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi », peuvent être invoquées pour motiver le refus du permis de travail, de sorte que le tribunal, statuant sur la légalité d’une décision de refus du permis de travail, est appelé à vérifier si les dispositions de l’article 16 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, ont été observées.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au-delà de toute question pouvant se poser en l’espèce au sujet de la disponibilité effective de ressortissants de l’Union Européenne ou de l’E.E.E. bénéficiant d’une priorité à l’emploi et susceptibles de pouvoir utilement occuper le poste de travail en question, l’arrêté ministériel litigieux est motivé à suffisance de droit et de fait par le seul constat du non-respect de la formalité inscrite à l’article 16 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres motifs de refus invoqués à son appui, ainsi que les moyens y afférents.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 juillet 2003, par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15862
Date de la décision : 16/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-16;15862 ?

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