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16/07/2003 | LUXEMBOURG | N°15845

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 2003, 15845


Tribunal administratif N° 15845 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2003 Audience publique du 16 juillet 2003 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15845 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 janvier 2003 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembo

urg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité ukrainienne, demeurant à L-…, tendant à ...

Tribunal administratif N° 15845 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2003 Audience publique du 16 juillet 2003 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15845 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 janvier 2003 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité ukrainienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 16 décembre 2002 intervenue sur recours gracieux et refusant de lui accorder le permis de travail pour un emploi en qualité de secrétaire auprès de la société S.I. s. à r.l. ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 avril 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2003 par Maître Lex THIELEN au nom de la demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 mai 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Cyril CHAPON, en remplacement de Maître Lex THIELEN, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Par arrêté du 21 octobre 2002, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre », a refusé de faire droit à la demande en obtention d’un permis de travail présentée par Madame …, de nationalité ukrainienne, pour un emploi auprès de la société S.I.

s.à r.l. en qualité de secrétaire « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place et 6 personnes appropriées ont été assignées à l’employeur - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - recrutement à l’étranger non autorisé ».

Le recours gracieux introduit par Madame … par courrier de son mandataire datant du 14 novembre 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 16 décembre 2002, elle a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2003, un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel du 16 décembre 2002.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le tribunal n’est pas compétent pour statuer en tant que juge du fond en l’espèce. Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer que tant la décision initiale du 21 octobre 2002 que celle confirmative du 16 décembre 2002 violeraient la loi en ce qu’elles seraient « dénuées de motivation », étant donné qu’elles se baseraient sur des affirmations sommaires non autrement circonstanciées en fait, ni motivées en droit, et en ce qu’elles ne contiendraient aucun élément qui permettrait de vérifier les motifs à sa base.

Une obligation de motivation expresse et exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal modifié d’exécution du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

En l’espèce, l’arrêté ministériel déféré du 21 octobre 2002 énonce 4 motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et suffit ainsi aux exigences de l’article 6 précité.

L’existence et l’indication des motifs ayant été vérifiées, il y a lieu d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier la décision déférée.

La demanderesse expose plus particulièrement qu’elle aurait dû occuper un poste de secrétaire auprès de la société S.I., société de fiducie, qui se serait chargée du paiement de sa rémunération, mais qu’il avait également été prévu qu’elle serait mise à la disposition du consulat de Moldavie et d’une société dénommée A., postes pour lesquels la maîtrise des langues russe, ukrainienne et moldave aurait été indispensable. Partant, le ministre n’aurait pas apprécié de manière pertinente sa situation professionnelle, ainsi que les besoins de son employeur. Etant donné qu’aucun des candidats assignés par l’administration de l’Emploi, suite à la demande afférente par courrier du 30 juillet 2001 de Monsieur I., consul de Moldavie et gérant de la société A., ne remplissait ces exigences linguistiques, elle aurait été proposée pour le poste en question par l’intermédiaire de l’Ambassade de Moldavie à Berlin, selon courrier du 27 mai 2002. Il s’ensuit que le motif de refus tiré de la présence sur le marché de l’emploi de 6 personnes appropriées et de la priorité à l’emploi de ressortissants de l’Espace Economique Européen, au vu de la spécificité du poste, ne serait pas donné.

Madame … estime ensuite que l’omission de la déclaration de vacance de poste ne serait pas donnée au vu de la déclaration effectuée par Monsieur I. en date du 30 juillet 2001 et étant donné qu’aucun candidat remplissant les conditions requises n’avait été assigné par l’administration de l’Emploi, son recrutement à l’étranger se serait révélé nécessaire.

Le représentant étatique expose en premier lieu que la délivrance d’un permis de travail était aussi inutile qu’impossible, au vu de l’article 10 (3) du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972, précité, étant donné que la demanderesse, après un séjour au Luxembourg en tant qu’artiste de cabaret, a fait l’objet en date du 28 mars 2001 d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour. En second lieu, le délégué du gouvernement estime que des demandeurs d’emploi appropriés bénéficiant de la priorité à l’embauche étaient disponibles sur place et que Monsieur I., en tant qu’employeur, aurait fixé des critères linguistiques exagérés lui permettant de refuser toute autre candidature. Pour le surplus, l’employeur n’aurait pas respecté son obligation de déclarer le poste vacant et la demanderesse serait de toute façon à considérer comme ayant été recruté à l’étranger « faute d’être en possession d’une autorisation de séjour ».

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse soutient encore que l’argumentation en relation avec l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 28 mars 2001 serait nouvelle et ne figurerait pas dans la décision critiquée, de sorte qu’elle ne saurait être invoquée utilement en l’espèce. Pour le surplus, les exigences linguistiques mises en avant par Monsieur I. seraient justifiées, étant donné que le poste proposé au consulat de Moldavie exigerait une maîtrise parfaite des langues russe, ukrainienne et moldave et que partant le motif de refus tiré de la disponibilité sur place de 6 personnes appropriées ne serait pas donné. Quant au reproche tiré du recrutement non autorisé à l’étranger, la demanderesse argumente que le règlement grand-

ducal modifié du 12 mai 1972, précité, obligerait uniquement l’employeur à une déclaration préalable de vacance de poste et non pas à une déclaration de son intention de faire un recrutement à l’étranger et que toute autre interprétation tirée de la loi du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’Administration de l’Emploi et portant création d’une Commission nationale pour l’Emploi « ajouterait des conditions et sanctions supplémentaires aux textes réglementant la matière », ce qui serait prohibé.

Concernant le motif de refus basé sur le recrutement à l’étranger non autorisé de Madame …, il y a lieu de constater que conformément aux dispositions de l’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976, le recrutement de travailleurs à l’étranger est de la compétence exclusive de l’administration de l’Emploi, sauf l’exception où un ou plusieurs employeurs, sur demande préalable, ont été autorisés par cette administration à procéder eux-mêmes à un tel recrutement « pour compléter et renforcer les moyens d’action de l’administration, notamment lorsque le déficit prononcé de main-d’œuvres se déclare » (doc. parl. n° 1682, commentaire des articles, ad. art. 16).

En l’espèce, il est constant que le ministre de la Justice avait émis en date du 28 mars 2001 un arrêté refusant l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg à la demanderesse. Partant celle-ci, n’ayant pas d’autorisation de séjour valable, est à considérer comme ayant été recrutée à l’étranger au sens de la disposition légale précitée et que partant, au voeu des dispositions de l’article 16 (2) précité, l’employeur ayant eu l’intention d’engager Madame …, aurait dû solliciter en premier lieu l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger.

Dans la mesure où aucun élément du dossier tel que présenté en cause ne permet d’établir que le recrutement à l’étranger de Madame … fut dûment autorisé, les faits à la base du motif de refus sous examen sont à considérer comme étant établis en cause.

La méconnaissance de l’obligation légale dans le chef de l’employeur de solliciter en premier lieu auprès de l’administration de l’Emploi l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger est susceptible de sanctions pénales expressément énoncées à l’article 41 de la loi du 21 février 1976 précitée, lequel dispose notamment qu’est puni d’une amende de 500 à 25.000 € toute personne qui exerce une activité de recrutement de travailleurs à l’étranger sans être en possession de l’autorisation préalable prévue à l’article 16 de la même loi ou qui n’observe pas les conditions imposées dans ladite autorisation.

Au-delà du fait qu’une sanction pénale est prévue par l’article 41 prévisé, il convient d’analyser si le non-respect de la formalité préalable à l’emploi d’un travailleur étranger inscrite à l’article 16 (2) précité est de nature à justifier une décision de refus du permis de travail.

A cet égard, il a été décidé par la Cour administrative que l’article 16 (1) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, fixe en principe pour l’administration de l’Emploi le monopole de procéder au recrutement de travailleurs à l’étranger et cela pour des raisons inhérentes à la surveillance du marché de l’emploi, ensuite pour des motifs concernant la santé publique, l’ordre public et la sécurité publique, enfin dans l’intérêt de la protection de l’emploi de la main-d’œuvre occupée dans le pays, la Cour s’étant référée à cet égard aux documents parlementaires n° 1682 entrevus plus particulièrement à partir de leur exposé des motifs, pour conclure au caractère impératif de la règle de procédure sous examen (cf. Cour adm. 22 octobre 2002, n°s 14539C et 14967C du rôle, non encore publiés).

Il s’ensuit que le motif de refus basé sur le recrutement à l’étranger non autorisé, au regard des considérations ci-avant fondées sur une jurisprudence constante de la Cour administrative, s’inscrit dans le cadre légal tracé par les dispositions de l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, en vertu desquelles seules « des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi », peuvent être invoquées pour motiver le refus du permis de travail, de sorte que le tribunal, statuant sur la légalité d’une décision de refus du permis de travail, est appelé à vérifier si les dispositions de l’article 16 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, ont été observées.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au-delà de toute question pouvant se poser en l’espèce au sujet de la disponibilité effective de ressortissants de l’Union Européenne ou de l’E.E.E. bénéficiant d’une priorité à l’emploi et susceptibles de pouvoir utilement occuper le poste de travail en question, l’arrêté ministériel litigieux est motivé à suffisance de droit et de fait par le seul constat du non-respect de la formalité inscrite à l’article 16 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres motifs de refus invoqués à son appui, ainsi que les moyens y afférents.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 juillet 2003, par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15845
Date de la décision : 16/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-16;15845 ?

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