La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/07/2003 | LUXEMBOURG | N°15707

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 2003, 15707


Tribunal administratif N° 15707 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2002 Audience publique du 16 juillet 2003

==============================

Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de refus d’entrée et de séjour

-----------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15707 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2002 par Maître Joao NUNO PEREIRA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’O

rdre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, manœuvre, né le … à Santa Catarina (Cap Vert), de ...

Tribunal administratif N° 15707 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2002 Audience publique du 16 juillet 2003

==============================

Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de refus d’entrée et de séjour

-----------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15707 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2002 par Maître Joao NUNO PEREIRA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, manœuvre, né le … à Santa Catarina (Cap Vert), de nationalité cap-verdienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Justice du 31 juillet 2002, par lequel ledit ministre lui a refusé l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Joao NUNO PEREIRA en ses plaidoiries.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par arrêté du 31 juillet 2002, le ministre de la Justice refusa à Monsieur … l’entrée et le séjour au Luxembourg, aux motifs qu’il aurait fait usage de pièces d’identité et de voyage falsifiées, qu’il serait en défaut de posséder des moyens d’existence personnels et qu’il constituerait par son comportement personnel un danger pour l’ordre public. Cette décision fut notifiée à Monsieur … en date du 20 septembre 2002 par les soins d’un commissaire du service de police judiciaire de la police grand-ducale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 31 juillet 2002.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision litigieuse.

Le recours en annulation introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Encore que l’Etat, qui s’est vu notifier le recours sous examen par la voie du greffe du tribunal administratif en date du 9 décembre 2002, n’a pas déposé de mémoire en réponse dans le délai légal, le tribunal est néanmoins amené à statuer à l’égard de toutes les parties par application des dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il résiderait au Luxembourg depuis le 10 avril 1995, qu’il serait employé en tant que manœuvre auprès de la société à responsabilité limitée C. et Cie. pour un salaire horaire brut de 9,63 €, qu’il vivrait maritalement avec Madame Maria Celeste FORTES GOMES, ainsi qu’avec leurs trois enfants communs qui seraient nés de leur union en date des 26 juin 1989, 7 juillet 1992 et 8 avril 2001.

Il reproche tout d’abord au ministre de la Justice d’avoir pris l’arrêté ministériel litigieux du 31 juillet 2002 en tant qu’autorité incompétente, étant donné que dans la motivation dudit arrêté, il se serait référé à l’« usage de pièces d’identité et de voyage falsifiées » ainsi qu’au « comportement personnel [constituant] un danger pour l’ordre public », partant à des infractions réprimées par le code pénal, de sorte qu’il se serait référé, pour fonder sa décision, sur des considérations relevant de la compétence d’une autre autorité, à savoir les juridictions pénales.

D’après l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : - qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis ; - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics ; - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Si c’est certes à juste titre que le demandeur fait exposer que les faits de faire usage de pièces d’identité et de voyage falsifiées et de constituer par son comportement personnel un danger pour l’ordre public sont susceptibles de constituer des infractions prévues par le code pénal, il n’en demeure cependant pas moins que le ministre de la Justice, appelé à apprécier dans le cadre de sa propre sphère de compétence le comportement global de l’étranger, sur base de l’article 2 précité, peut valablement se référer à des faits susceptibles de se trouver à la base d’une instruction pénale, ceci au titre d’éléments permettant d’apprécier son comportement global, étant donné qu’une telle décision ne porte pas sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, même si elle se fonde sur des faits qui sont susceptibles d’être poursuivis pénalement. Ainsi, lorsqu’un étranger a fait usage de pièces d’identité et de voyage falsifiées et si des faits suffisamment graves sont établis à suffisance de droit, le ministre de la Justice peut valablement considérer, dans le cadre et conformément aux conditions posées par la loi précitée du 28 mars 1972, que l’étranger en question est susceptible de constituer un risque pour la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics. Il s’ensuit que le moyen tiré de l’incompétence du ministre de la Justice n’est pas fondé.

Le demandeur conclut encore à un excès de pouvoir qui aurait été commis par le ministre de la Justice en prenant l’arrêté litigieux, sans toutefois tenter d’expliquer en quoi le ministre aurait commis un tel excès de pouvoir, mettant ainsi le juge administratif dans l’impossibilité de saisir la portée d’un moyen simplement énoncé sans aucune argumentation ni en droit ni en fait se trouvant à sa base, de sorte que le tribunal est dans l’impossibilité de prendre position par rapport à un tel moyen vague et abstrait et qu’il doit être rejeté, étant donné pour le surplus que le tribunal n’a pas constaté, au vu du maigre dossier contenant une seule pièce, à savoir l’arrêté litigieux, qui lui a été soumis, qu’un excès de pouvoir ait pu avoir été commis par le ministre de la Justice.

Etant donné que le demandeur soulève encore toute une série de moyens à l’appui de son recours, dont certains sont tirés de la violation de principes généraux du droit au cours de la phase administrative ayant abouti à la décision attaquée, d’autres sont tirés de la violation du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, qui se recoupent d’ailleurs avec les moyens tirés de la violation de principes généraux du droit, d’autres encore sont tirés de la violation de la loi précitée du 28 mars 1972, d’autres sont tirés de la violation d’un règlement grand-ducal pris en application de ladite loi et enfin d’autres sont tirés de la violation d’instruments juridiques internationaux, et que le tribunal n’est pas lié par l’ordre chronologique dans lequel sont présentés les moyens par le demandeur, il y a d’abord lieu d’analyser les moyens qui ont trait à la violation de certaines dispositions figurant dans le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, pour vérifier le respect des règles applicables au cours de la phase administrative préalable à la prise de la décision et la régularité externe de celle-ci, avant d’analyser le cas échéant les moyens ayant trait à la régularité interne, ainsi qu’à la justification de la décision au fond.

Dans cet ordre d’idées, il y a tout d’abord lieu d’analyser le moyen tiré de la violation de l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 ensemble avec les moyens tirés d’une violation du principe général du droit du respect des droits de la défense et d’une violation du principe général du droit au respect du principe du contradictoire, en ce que le demandeur estime que le ministre de la Justice lui aurait à tort révoqué le droit de séjour au Luxembourg dont il aurait joui, sans qu’il n’en soit informé à l’avance par une communication qui aurait dû lui être faite par lettre recommandée que le ministre de la Justice aurait dû lui envoyer en lui exposant son intention de prendre la décision litigieuse et en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’auraient amené à agir. De ce fait, il aurait été dans l’impossibilité de faire connaître sa position audit ministre et il n’aurait pas pu intervenir au cours de l’élaboration de la décision en question.

Lors de la procédure conduisant à une décision administrative individuelle, l’autorité administrative doit assurer la protection juridique de l’administré concerné, en lui donnant la possibilité d’intervenir dans l’élaboration de cette décision, ou, à tout le moins, d’en être informé. Le respect de cette règle s’impose à plus forte raison lorsque l’administration intervient d’office, sans qu’une décision ait été sollicitée par la personne concernée, et que la décision risque de porter gravement atteinte à sa situation individuelle (cf. trib. adm. 5 février 1997, n° 9170 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 48, p. 432).

A défaut de tout dossier administratif et de toute pièce à l’exception de l’arrêté litigieux, le tribunal est partant amené à retenir que le ministre de la Justice a pris l’acte litigieux en dehors de toute initiative de la part du demandeur, sans qu’il ne ressorte des éléments qui se trouvent à la disposition du tribunal, qu’il y ait eu péril en la demeure entraînant l’inapplicabilité de l’article 9 en question, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, du fait de ne pas avoir déposé de mémoire en réponse dans la présente instance, n’ayant pas été en mesure d’apporter un quelconque élément au tribunal quant à la situation de fait telle qu’elle pourrait le cas échéant se dégager à partir du dossier administratif qui devrait se trouver en sa possession.

Dans ces circonstances, et au vu des lacunes dans l’instruction du dossier sous analyse, le tribunal ne peut que constater que le ministre de la Justice a violé l’article 9, alinéa 1er du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, en ce qu’il n’a pas, préalablement à la prise de la décision litigieuse, informé de son intention le demandeur « en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir ».

Il y a encore lieu d’ajouter, au vu du moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, en ce que les motifs vagues et imprécis figurant dans la décision litigieuse, auraient mis le demandeur dans l’impossibilité d’exercer convenablement ses droits de la défense et rendraient impossible tout contrôle juridictionnel de ceux-ci, qu’il est vrai que la décision du 31 juillet 2002 sous analyse contient une indication insuffisante des motifs en ce qu’il n’y est notamment pas précisé en quoi le demandeur aurait fait usage de pièces d’identité et de voyage falsifiées et pour quelle raison le ministre a estimé qu’il constituerait par son comportement personnel un danger pour l’ordre public, ce défaut d’indication précise des motifs dans la décision litigieuse n’ayant pas pu être réparé au cours de la procédure contentieuse, à défaut par l’Etat d’avoir déposé un mémoire en réponse, de sorte que c’est à bon droit que le demandeur soutient qu’il n’a pas pu assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause, en ce qu’il a éventuellement pu se méprendre sur la portée de la décision ministérielle querellée et que, de toute façon, le tribunal administratif saisi, en sa qualité de juge de la légalité, d’un contrôle des motifs se trouvant à la base de la décision querellée, est dans l’impossibilité d’exercer le rôle qui lui a été dévolu par la loi.

Il suit de ces considérations, et sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres moyens développés par le demandeur dans sa requête introductive d’instance, que la décision litigieuse encourt l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule l’arrêté du ministre de la Justice du 31 juillet 2002 portant refus d’entrée et de séjour au pays dans le chef de Monsieur … ;

renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 16 juillet 2003 par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15707
Date de la décision : 16/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-16;15707 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award