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16/07/2003 | LUXEMBOURG | N°15651

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 2003, 15651


Tribunal administratif N° 15651 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 16 juillet 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15651 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2002 par Maître Edmond DAUPHIN, avo

cat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ...

Tribunal administratif N° 15651 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 16 juillet 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15651 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2002 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi le 12 juillet 2002, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour lui fut refusée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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A la suite d’une demande afférente présentée en date du 12 juillet 2001 par Monsieur …, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi prirent le 12 juillet 2002 une décision conjointe, portant refus de lui accorder une autorisation de séjour, au motif qu’il ne disposerait pas de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis lui permettant de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, «indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir » et que « [son] dossier tel qu’il a été remis au service commun [des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse] ne permet pas au Gouvernement de [lui] accorder la faveur d’une autorisation de séjour ».

Par requête déposée le 25 novembre 2002, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 12 juillet 2002.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose résider au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 26 juillet 1999, que sa demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève a été rejetée par le ministre de la Justice comme n’étant pas fondée et qu’un recours contentieux dirigé contre ladite décision ministérielle a été rejeté pour ne pas être fondé par un jugement du tribunal administratif du 14 janvier 2002, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 23 avril 2002.

Il reproche tout d’abord au ministre de la Justice de ne pas avoir fait application de l’article 4, alinéa 3, point 2) du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux formalités à remplir par les étrangers séjournant au pays, en ce que non seulement il serait parfaitement apte à occuper un emploi salarié au Luxembourg et qu’il ne demanderait « qu’à gagner sa vie par son travail » afin de subvenir lui-même à ses besoins, mais qu’en outre il disposerait déjà d’un contrat de travail sous la condition suspensive de l’obtention d’une autorisation de séjour et que pour le surplus, de « nombreuses personnes » lui auraient fait des propositions en vue de l’engager en tant que salarié.

En l’absence d’une prise de position quant à ce moyen par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, il échet de retenir que l’étranger qui, au moment de la prise de décision ministérielle, n’est pas en possession d’un permis de travail, ne justifie pas de la possibilité légale de toucher à l’avenir de pareils moyens d’existence personnels, la délivrance d’un permis de travail étant fonction notamment de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Luxembourg que des travailleurs déjà occupés au pays (cf. trib. adm. 14 octobre 1998, n° 10572 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Travail, n° 20 et autres références y citées).

En l’espèce, il ne ressort ni des pièces et éléments du dossier, ni des renseignements fournis par le demandeur que ce dernier est en possession d’un permis de travail l’autorisant à prendre un emploi au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que le moyen tiré de la violation de l’article 4, alinéa 3, point 2) du prédit règlement grand-ducal du 28 mars 1972 est à rejeter pour ne pas être fondé.

Le demandeur fait encore valoir que la décision déférée a été prise dans le cadre de la procédure dite de « régularisation » mise en place par le service commun des trois ministères concernés, à savoir celui du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, sur base de critères retenus par le gouvernement et renseignés dans une brochure intitulée « Informations pratiques pour personnes concernées – Régularisation du 15 mai au 13 juillet 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », ladite procédure de régularisation comprenant une réglementation que le gouvernement se serait donné dans le cadre de directives qu’il aurait pu fixer en application de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, de sorte qu’il devrait faire application des critères fixés par ladite réglementation dans le cadre d’une demande qui lui est adressée sur base de la brochure précitée. Le demandeur conteste que sa demande ait été analysée au regard de ladite brochure, en expliquant simplement qu’il avait adressé « une demande en obtention du permis de séjour sur un formulaire lui soumis », qu’il remplirait les critères fixés par la « rubrique A » de la brochure en question, qu’il disposerait pour le surplus de moyens personnels, étant donné qu’au cours de son séjour, il aurait rendu « service par ci, par là, en gardant des enfants, en nettoyant des jardins, en servant dans un café les jours de fête, en faisant à l’occasion des travaux de bureau ou en assumant le rôle d’interprète (…) sans en aucune façon avoir dû violer la loi » et qu’il disposerait pour le moins de la possibilité d’acquérir de manière légale des revenus au Luxembourg, étant donné qu’il n’aurait aucune difficulté à bénéficier d’un « salaire normal sur la base d’un contrat ».

Le délégué du gouvernement constate qu’à défaut par Monsieur … de disposer des moyens personnels propres suffisants au moment où la décision attaquée a été prise, il ne remplirait pas les conditions telles que fixées par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 en vue de la délivrance d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, dans la mesure notamment où il n’a pas rapporté la preuve de moyens personnels suffisants par la production d’un permis de travail certifiant qu’il est autorisé à s’adonner légalement à un travail au pays et où, pour le surplus, il ne remplirait pas les conditions telles que figurant à la rubrique A de la brochure précitée en vue de pouvoir bénéficier d’une « régularisation » en obtenant une autorisation de séjour à ce titre, en ce qu’il n’aurait pas pu rapporter la preuve d’une résidence et d’un travail ininterrompu au Luxembourg depuis le 1er janvier 2000, ainsi qu’une affiliation aux organismes de sécurité sociale au Luxembourg pour la même période.

Dans ce contexte, il estime qu’il ne pourrait pas être tenu compte du contrat de travail versé par le demandeur à l’appui de la requête sous analyse, au motif que celui-ci n’aurait été signé qu’en date du 6 février 2002.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, V° Etrangers 2. Autorisations de séjour – Expulsions, n° 121 et autres références y citées, p.205).

En l’espèce, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que le demandeur disposait de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis au moment où la décision attaquée fut prise.

Plus particulièrement, eu égard aux considérations ci-avant faites, Monsieur … a tort de soutenir que le contrat de travail signé en date du 6 février 2002, sous la condition suspensive de l’obtention d’un permis de séjour et d’un permis de travail par les autorités luxembourgeoises, qu’il a conclu avec une personne privée résidant au Luxembourg, pour un poste de secrétaire, ainsi que le fait d’avoir travaillé à des dates non autrement précisées pour différents employeurs, à titre occasionnel, sans être affilié à la sécurité sociale, établiraient l’existence de moyens personnels suffisants dans son chef, étant donné qu’il reste en défaut d’établir l’existence d’un permis de travail, légalement requis en application de l’article 26 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose qu’aucun étranger ne pourra être occupé sur le territoire du Grand-Duché sans permis de travail. En effet, le défaut d’un permis de travail fait obstacle à l’exécution légale et régulière du contrat de travail invoqué à l’appui de la demande en obtention d’une autorisation de séjour, de sorte que la rémunération y fixée ne saurait être considérée, au jour de la prise de la décision litigieuse, comme ayant été légalement acquise par le demandeur.

A défaut pour le demandeur d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels, le ministre de la Justice a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce motif.

C’est encore à tort que le demandeur estime que sa demande, figurant sur un formulaire délivré par les ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et tendant à l’« obtention d’une autorisation de séjour » n’aurait pas été analysée au regard de la brochure précitée, alors qu’il ressort au contraire de la décision sous analyse du 12 juillet 2002 que sa demande, réceptionnée par le service commun le 12 juillet 2001, a été analysée par ledit service commun au regard des critères figurant dans la brochure, en considération de ce que le demandeur a coché la case de la « rubrique A » de la page 7 du formulaire précité en déclarant qu’il aurait résidé et travaillé « de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 », en étant « affilié depuis cette date à la sécurité sociale luxembourgeoise » et en ayant touché et en touchant toujours « soit un salaire égal au salaire social minimum revenant à un travailleur non qualifié âgé de 18 ans (52.047.- LUF), soit un salaire égal au RMG auquel [il peut] prétendre compte tenu de [sa] situation familiale ».

La preuve que ladite demande a été analysée sur base de la brochure dite de « régularisation » se dégage pour le surplus de la motivation complémentaire apportée par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, dans la mesure où il y indique que le demandeur ne remplirait pas les conditions telles que prévues par la catégorie A telle que figurant à ladite brochure.

Au-delà des considérations tenant à l’application directe de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, le demandeur entend tirer argument du fait qu’à travers la brochure intitulée « Régularisation du 15.3 au 13.7. 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, le gouvernement aurait fixé des critères particuliers en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour, lesdits critères constituant des directives qui orienteraient l’exercice du pouvoir et auxquelles les autorités compétentes devraient se rapporter pour arrêter leur décision en matière de délivrance d’autorisations de séjour.

Abstraction faite de la question de savoir si les critères contenus dans la prédite brochure peuvent déroger à la loi précitée du 28 mars 1972, comme le soutient le demandeur, et de celle de la légalité et de l’applicabilité desdits critères, force est de retenir que le demandeur n’a pas établi concrètement qu’il remplirait le cas échéant les conditions édictées par la prédite brochure pour bénéficier de la régularisation. En effet, comme l’a remarqué à juste titre le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, le demandeur, contrairement à ses affirmations, ne tombe pas dans la première catégorie énoncée dans ladite brochure, à savoir la catégorie A, pour pouvoir être régularisé, c’est-à-dire pour obtenir le cas échéant une autorisation de séjour ou un permis de travail. En effet, contrairement aux conditions posées par ladite catégorie, il n’a pas établi qu’il a travaillé de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 et qu’il était affilié aux organismes de sécurité sociale luxembourgeois depuis cette même date.

Pour le surplus, il ne ressort pas non plus des informations se trouvant à la disposition du tribunal, que le demandeur remplisse les conditions de l’une quelconque des autres six catégories énumérées dans la brochure.

Force est donc de constater qu’il se dégage des éléments de fait qui précèdent, que le demandeur ne remplit pas les critères énoncés dans la brochure « régularisation », de sorte que le ministre pouvait à juste titre lui refuser la délivrance d’une autorisation de séjour.

Enfin, en ce qui concerne l’argumentation du demandeur suivant laquelle « l’interdiction pour certains étrangers de conclure un contrat de travail [serait] obsolète au regard de l’article 11, alinéa 4 de la Constitution », qui dispose que « la loi garantit le droit au travail et assure à chaque citoyen l’exercice de ce droit », il échet de rejeter ce moyen comme n’étant pas fondé, dans la mesure où, d’une part, le litige dont est saisi le tribunal administratif dans le cadre de la présente instance n’a pas trait à la délivrance d’un permis de travail, mais à une demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour, de sorte que même au cas où il devrait être fait droit à ce moyen, il ne saurait en résulter qu’une autorisation de séjour aurait dû être délivrée au demandeur de ce fait et où, d’autre part, même à supposer que le demandeur, en sa qualité d’étranger non ressortissant de l’Espace Economique Européen, puisse invoquer à son profit ladite disposition constitutionnelle, celle-

ci ne consacre pas un droit subjectif au travail tenant en échec la réglementation luxembourgeoise en matière de délivrance d’un permis de travail, sur base de la loi précitée du 28 mars 1972.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 juillet 2003, par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15651
Date de la décision : 16/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-16;15651 ?

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