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14/07/2003 | LUXEMBOURG | N°15956

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2003, 15956


Tribunal administratif Numéro 15956 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 février 2003 Audience publique du 14 juillet 2003 Recours formé par les époux … et … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15956 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 février 2003 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Starigrad/Belgrade (Serbie/Eta

t de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Dragas (Kosovo/Etat de Se...

Tribunal administratif Numéro 15956 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 février 2003 Audience publique du 14 juillet 2003 Recours formé par les époux … et … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15956 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 février 2003 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Starigrad/Belgrade (Serbie/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Dragas (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leur enfant mineur …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 27 novembre 2002, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 2 janvier 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par les demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en nom et pour compte des demandeurs le 10 juin 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Claude DERBAL et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 26 août 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 18 octobre 2002, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 27 novembre 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo le 20 août 2002. Vous avez trouvé un passeur qui vous a conduits au Luxembourg, via la Bosnie, la Croatie et la Slovénie. Vous ne pouvez donner aucune autre précision quant à votre trajet, si ce n’est que vous êtes arrivés à Luxembourg le 24 août 2002.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 26 août 2002.

Monsieur, vous exposez que vous avez vécu à Belgrade depuis votre naissance jusqu’en 2000, date à laquelle vous êtes parti vous installer, avec votre famille, au Kosovo dont est originaire votre femme.

Vous avez fait votre service militaire en 1987/1988 en Macédoine. Pendant la guerre, vous auriez été appelé à la réserve mais vous n’y seriez pas allé. Vous dites risquer une convocation au Tribunal Militaire et une sanction pour insoumission.

A votre arrivée au Kosovo, vous vous seriez inscrits tous les deux au parti SDA. Vous ne faites pas état de problèmes dus à cette adhésion.

Vous dites avoir été persécutés en Serbie car on vous prenait pour des Albanais et, au Kosovo, car on vous croyait des Serbes. Vous appartenez, en effet, à la minorité goranaise.

Plus particulièrement, en Serbie, vous auriez fait, Monsieur, l’objet de contrôles de police fréquents et vous auriez été battu. Au Kosovo, vous auriez également été battu, une fois, dans les champs, par des policiers. Vous auriez aussi eu des problèmes parce que vous ne parlez pas l’albanais.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous ajoutez que l’on vous reprocherait de n’avoir pas quitté la Serbie pendant la guerre.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif, Monsieur, au fait que l’insoumission ne saurait constituer un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. De même, la crainte de peines de ce chef ne constitue pas non plus une persécution au sens de la prédite Convention. Par ailleurs, le Parlement Fédéral Yougoslave a adopté en mars 2001 une loi d’amnistie dont vous ne prouvez pas qu’elle vous serait inapplicable.

Je constate que les faits que vous alléguez, à les supposer établis, ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier une crainte de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève. Ils traduisent, en effet, davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

En effet, en ce qui concerne le Kosovo, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’y est installée et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies a été mise en place. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne la situation plus précise des Goranais, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la Serbie, il faut constater que la situation politique a changé depuis l’année 2000. Un nouveau Président a été élu en automne 2000 et un nouveau Gouvernement a été formé. L’ancien Président MILOSEVIC et d’autres membres de l’ancien régime comparaissent devant le tribunal Pénal International. De plus, la Yougoslavie a ratifié en mai 2001 une Convention-cadre pour la protection des minorités nationales ; elle est entrée en vigueur en septembre 2001. Cette Convention a été conçue pour que les minorités puissent se développer librement. Une persécution de ce chef ne saurait donc être retenue.

Finalement, ni les Serbes ni les Albanais ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit le 20 décembre 2002 par le mandataire des consorts …-…, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 2 janvier 2003.

Le 7 février 2003, les consorts …-… ont fait déposer un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus prévisées.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer que Monsieur … serait originaire de Serbie, tandis que son épouse serait originaire du Kosovo, qu’ils auraient habité à Belgrade jusqu’en 2000, époque à laquelle ils seraient parti s’installer au Kosovo, parce qu’ils auraient été persécutés par les Serbes, notamment en raison de l’insoumission de Monsieur …. Ils précisent encore être de confession musulmane et appartenir à la minorité ethnique des « Goranais ». Sur ce, ils font valoir que leur départ du Kosovo aurait été motivé par le fait qu’en tant que membres de la minorité « goranaise » du Kosovo, ils auraient subi des discriminations voire même des actes de persécution de la part des Albanais du Kosovo et qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils risqueraient de nouveaux heurts avec les Albanais et que les forces internationales présentes au Kosovo ne seraient pas en mesure de garantir leur sécurité.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans ce contexte, il convient de relever que la situation des demandeurs est essentiellement à examiner par rapport à la situation existant actuellement dans la région du Kosovo, région dont Madame … est originaire et où la famille …-… était installée depuis 2000.

Ceci étant, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les craintes exprimées par les demandeurs en raison de leur appartenance à l’ethnie des « Goranais » et l’hostilité de la part d’Albanais du Kosovo à l’encontre des membres de cette minorité ethnique, ainsi que de la situation générale existant dans leur pays d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer leur protection, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Dans ce contexte, il y a lieu d’ajouter que s’il est toujours vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « Goranais », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle en l’espèce, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place et suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, à l’exception de certaines zones de tension locales, la situation de sécurité générale des « Goranais » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse, ceci spécialement dans les alentours de la ville de provenance du demandeur (« Concerning the Goranis, with the exception of Gjilan/Gnjilane region, in particular Ferizaj/Urosevac, their security situation can likewise [par référence à la situation générale des bochniaques] be considered relatively stable particularly in the rural communities of Dragash municipality which has a high concentration of Gorani »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « Goranais » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié.

Il convient encore d’ajouter que, même indépendamment de toute considération relative à l’applicabilité de la loi d’amnistie en Serbie et Monténégro, les prétendus risques de persécution de la part des autorités serbes en raison de l’insoumission de Monsieur … manquent de fondement dans la mesure où il se dégage des considérations qui précèdent qu’actuellement, le Kosovo ne se trouve pas sous leur autorité, mais sous l’autorité d’une force armée internationale et d’une administration civile, agissant sous l’égide des Nations Unies.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15956
Date de la décision : 14/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-14;15956 ?

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