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14/07/2003 | LUXEMBOURG | N°15442

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2003, 15442


Tribunal administratif N° 15442 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 octobre 2002 Audience publique du 14 juillet 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15442 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2002 par Maître Fara CHORFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Paucina/Rozaje (Monténégro/Etat de Serbie et M...

Tribunal administratif N° 15442 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 octobre 2002 Audience publique du 14 juillet 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15442 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2002 par Maître Fara CHORFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Paucina/Rozaje (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 juillet 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Canan CETIN, en remplacement de Maître Fara CHORFI, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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En réponse à une demande présentée par le mandataire de Monsieur … par courriers des 13 juillet et 20 octobre 1999, et adressée au ministre de la Justice, avec en annexe une déclaration de prise en charge signée par son conjoint de nationalité luxembourgeoise, Madame T., le ministre de la Justice émit en date du 17 décembre 1999 une autorisation de séjour en faveur de Monsieur … avec une durée de validité expirant le 30 novembre 2000.

A la suite d’une demande adressée par le mandataire de Monsieur … par courrier du 6 mai 2002 au ministre de la Justice en vue d’obtenir la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de son mandant, au motif que ce dernier s’est marié avec Madame T. à … en date du 10 juin 1999, avec l’indication qu’il serait en mesure d’obtenir un contrat de travail à durée indéterminée à conclure avec une société établie à Bascharage, le ministre de la Justice refusa à Monsieur … la délivrance d’une autorisation de séjour, par sa décision du 17 juillet 2002, aux motifs suivants :

« (…) des recherches de la part du ministère des Affaires étrangères ont révélé que le divorce allégué par l’intéressé dans son pays d’origine n’a jamais eu lieu. De même, il apparaît que le certificat présenté à l’administration communale de … est un faux. Ainsi, il est établi que l’intéressé a produit un faux en vue du mariage, et en outre, qu’il s’est trouvé en état de bigamie depuis son mariage avec Madame T. le 10 juin 1999.

En outre, l’autorisation de séjour est refusée à l’intéressé vu qu’il constitue par son comportement un danger pour l’ordre et la sécurité publics, conformément à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2002, Monsieur … a introduit un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 17 juillet 2002. La requête tend en outre à voir ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de la décision critiquée.

En ce qui concerne tout d’abord la demande tendant à voir suspendre la décision critiquée en ses effets, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître de ladite demande, celle-ci relevant de la compétence exclusive du président du tribunal administratif en vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande subsidiaire en réformation de la décision critiquée.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose que la décision critiquée lui causerait torts et griefs, étant donné qu’il résiderait depuis de nombreuses années au Luxembourg et se verrait, du fait de la décision en question, menacer d’expulsion. Il reproche au ministre de la Justice d’avoir procédé à une appréciation erronée des faits, alors que contrairement à ce qui a été retenu dans la décision sous analyse, il ne serait pas bigame, qu’il n’aurait pas fait usage d’un faux certificat soumis aux autorités communales ayant procédé à son mariage avec Madame T. à Mondorf-les-Bains le 10 juin 1999 et qu’il ne constituerait pas un danger pour l’ordre et la sécurité publics. Il se réfère dans ce contexte aux pièces versées en cause et notamment à des certificats émis par les autorités yougoslaves quant à sa nationalité et quant à la date de son divorce de sa première épouse, prononcé sur base d’un jugement yougoslave du 23 août 1993.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au bien-fondé de la décision ministérielle litigieuse, en faisant notamment état d’un rapport dressé par la police grand-ducale de Mondorf-les-Bains en date du 19 décembre 2000, dont il ressortirait que le demandeur serait parti en Allemagne et que son épouse, Madame T., aurait introduit une demande en divorce, d’une lettre du mandataire de Madame T. du 5 février 2001, suivant laquelle cette dernière aurait eu des doutes quant à l’état civil de son mari au moment du mariage, ainsi que d’une lettre de l’ambassade de Belgique à Belgrade du 6 février 2002, suivant laquelle le premier mariage conclu par le demandeur en Yougoslavie ne serait pas dissous.

Il soutient que dans la mesure où la bigamie serait interdite en droit luxembourgeois, elle constituerait une atteinte à l’ordre public, de sorte que l’autorisation de séjour aurait valablement pu être refusée au demandeur sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une violation des droits les plus élémentaires de l’individu, tels qu’inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné qu’il n’aurait pas eu la possibilité de prendre position sur les reproches qui auraient été retenus à son encontre par la décision litigieuse et qu’il aurait été déclaré coupable de faux en écriture et de bigamie, sans « la moindre procédure judiciaire ». Il relève en outre une erreur dans le document précité émis par l’ambassade de Belgique à Belgrade, dans la mesure où sa date de naissance y serait indiquée de manière incorrecte, de sorte à mettre en question la crédibilité dudit document, alors qu’il pourrait le cas échéant se référer à une autre personne et mettre ainsi en question l’intégralité de la motivation de la décision critiquée.

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, auquel renvoie l’article 5 de la même loi, « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics (…) ».

D’après la décision critiquée du 17 juillet 2002, le ministre de la Justice a estimé que le demandeur constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics, en ce qu’il aurait produit un faux en vue de la conclusion de son mariage au Luxembourg en date du 10 juin 1999 et qu’il se serait trouvé en état de bigamie depuis cette même date. D’après le ministre, ces faits justifieraient à eux seuls que la délivrance d’une autorisation de séjour soit refusée au demandeur.

Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif a le droit et l’obligation d’examiner notamment l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée (cf. Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en annulation, II. Pouvoirs du juge, n° 8, p. 511 et autres références y citées).

Pour conclure à la fausseté des documents soumis par le demandeur notamment à l’officier de l’état civil ayant procédé à son mariage à Mondorf-les-Bains le 10 juin 1999 et ultérieurement au ministère de la Justice, sur demande de celui-ci, le délégué du gouvernement se base sur une lettre de l’ambassade de Belgique à Belgrade datée du 6 février 2002, suivant laquelle le mariage de Monsieur « … né le 29 (sic).o8…. avec Madame H., conclu le 13.06.1988 n’est pas dissous par divorce » et dont il ressort encore qu’il n’existe pas « dans le tribunal de première instance de Rozaje, entre 1992 et 2001 (…) de données qu’une procédure de divorce aurait été entamée » et « le certificat de statut conjugal libre [versé par le demandeur] n’a pas été délivré par le Bureau local de Bisevo, il n’a pas été signé par la personne autorisée et le cachet n’est pas approprié », ladite lettre contenant la conclusion suivant laquelle « Monsieur … serait donc toujours marié avec H. ».

Pour soutenir son argumentation et établir le caractère erroné des informations dont fait état le délégué du gouvernement, le demandeur a versé au greffe du tribunal administratif un certificat émis par le secrétariat de la direction générale de la commune de Rozaje daté du 27 août 2002, suivant lequel il n’est pas marié, ledit certificat indiquant en outre qu’il a été établi « suivant les informations de l’extrait de l’acte de naissance pour la localité de Paucina » et un extrait de l’acte de naissance établi le 27 août 2002 par l’officier de l’état civil de la commune de Rozaje, chancellerie de Bisevo, suivant lequel il serait divorcé de son épouse H. par un jugement « en vigueur N° P 382/02 du 23.08.1993 », ces deux pièces ayant été versées dans une traduction française établie par un traducteur interprète auprès de la Cour supérieure de Justice du Grand-Duché de Luxembourg, dans une version certifiée conforme par le commissaire de police de Kayl avec l’indication qu’au verso de ces deux documents originaux figure une apostille établie suivant la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 certifiant l’origine et les signatures desdits documents.

Il suit des éléments et des documents qui précèdent que l’existence et l’exactitude matérielle des faits se trouvant à la base de la décision critiquée sont loin d’être établis avec toute la certitude requise, de sorte que la décision du ministre de la Justice du 17 juillet 2002 encourt l’annulation pour se fonder sur des faits incertains et hypothétiques, sérieusement mis en doute par les documents versés par le demandeur, d’autant plus que la fausseté desdits documents ne ressort d’aucune décision juridictionnelle et que le tribunal n’est pas en possession d’informations suivant lesquelles une instruction pénale soit actuellement en cours pour établir les infractions auxquelles le ministre de la Justice fait référence.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

se déclare incompétent pour connaître de la demande tendant à voir ordonner un effet suspensif à la décision critiquée du 17 juillet 2002 ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre de la Justice du 17 juillet 2002 par laquelle Monsieur … s’est vu refuser la délivrance d’une autorisation de séjour et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15442
Date de la décision : 14/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-14;15442 ?

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