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09/07/2003 | LUXEMBOURG | N°15822

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2003, 15822


Numéro 15822 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2003 Audience publique du 9 juillet 2003 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15822 du rôle, déposée le 2 janvier 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, né le …, de nationalité yougoslav...

Numéro 15822 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2003 Audience publique du 9 juillet 2003 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15822 du rôle, déposée le 2 janvier 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…., tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 mars 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le jugement du tribunal administratif du 2 décembre 2002 (n° 15079 du rôle) relevant Madame … de la forclusion résultant de l’expiration du délai de recours contentieux d’un mois et faisant recourir ce même délai à partir du jour du prononcé dudit jugement;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mai 2003.

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Le 9 janvier 2002, Madame …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame … fut entendue en date du 21 février 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame … par décision du 29 mars 2002, lui adressée par courrier recommandé du 17 mai 2002, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’elle n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Par jugement du 2 décembre 2002 (n° 15079 du rôle), le tribunal administratif releva Madame … de la forclusion résultant de l’expiration du délai de recours contentieux d’un mois et fit recourir ce même délai à partir du jour du prononcé dudit jugement.

Par requête déposée le 2 janvier 2003, Madame … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle du 29 mars 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse, originaire du Kosovo et appartenant à la minorité bochniaque, reproche au ministre une appréciation erronée des faits et de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées du fait des persécutions dont elle risquerait d’être victime en cas de retour au Kosovo. Elle expose qu’en raison de son appartenance à une minorité ethnique et faute par elle de parler la langue albanaise, elle-même et sa famille auraient subi des menaces et provocations, voire des agressions et des vols de biens afin de supprimer leurs moyens de subsistance et que ces actes émaneraient « plus que probablement » d’Albanais qui seraient opposés à la présence des Bochniaques au Kosovo.

Elle fait valoir qu’en cas de retour au Kosovo elle risquerait de subir à nouveau les exactions toujours commises par la majorité albanaise à l’encontre de la minorité bochniaque et que les forces internationales en place ne sauraient être reconnues comme constituant une garantie suffisante pour le peuple bochniaque dont la présence parsemée sur tout le territoire du Kosovo rendrait impossible une protection efficace, d’autant plus qu’une plainte de la part de sa famille auprès de la KFOR n’aurait pas connu de suites.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 21 février 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, étant donné que, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance de la demanderesse et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide de Nations Unies, s’est installée au Kosovo, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Concernant la crainte de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre en raison de son appartenance à la minorité bochniaque, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérée individuellement et concrètement, la demanderesse risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bochniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Bochniaques au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Concernant sa situation personnelle, la demanderesse se prévaut dans son recours contentieux de menaces et de provocations répétées de la part de voisins albanais, ainsi que du vol de la seule vache de la famille. Or, face à l’évolution favorable récente de la situation de la minorité bochniaque telle que tracée par le rapport prévisé de l’UNHCR, ces faits ne sont pas d’une gravité suffisante pour faire admettre que la vie serait actuellement encore impossible à la demanderesse dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que la demanderesse reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15822
Date de la décision : 09/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-09;15822 ?

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