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09/07/2003 | LUXEMBOURG | N°15668

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2003, 15668


Numéro 15668 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 novembre 2002 Audience publique du 9 juillet 2003 Recours formé par les époux … et … …-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15668 du rôle, déposée le 29 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah TURK, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né l...

Numéro 15668 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 novembre 2002 Audience publique du 9 juillet 2003 Recours formé par les époux … et … …-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15668 du rôle, déposée le 29 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 30 octobre 2002 confirmant sur recours gracieux sa décision antérieure du 15 juillet 2002 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Georges WEILAND, en remplacement de Maître Sarah TURK, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 avril 2003.

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Le 21 janvier 2002, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». Son épouse, Madame …, accompagnée des enfants communs mineurs … et …, également préqualifiés, introduisit une demande tendant aux mêmes fins le 11 juin 2002.

En date des mêmes jours respectifs, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Monsieur … fut entendu en date du 8 mars 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, tandis que l’audition correspondante de Madame … eut lieu les 26 juin et 5 juillet 2002.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par décision du 15 juillet 2002, leur notifiée le 6 septembre 2002, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les époux …-… à travers un courrier de leur mandataire du 3 octobre 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 30 octobre 2002, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décisions ministérielles confirmative du 30 octobre 2002 par requête déposée le 29 novembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, appartenant à la minorité des Goranais du Kosovo, font valoir que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) retiendrait dans un rapport d’avril 2002 concernant la situation des minorités au Kosovo que les personnes d’origine non-albanaise feraient toujours l’objet d’atteintes à leurs droits fondamentaux, qu’elles n’auraient qu’une liberté de mouvement réduite et qu’elles seraient encore exposées à des risques concernant leur sécurité et à des discriminations au niveau économique et social, pour en conclure que les minorités ethniques devraient continuer à bénéficier d’une protection internationale dans leurs pays d’asile respectifs et n’être en aucun cas forcés à retourner au Kosovo. La même institution ferait également remarquer qu’au vu des événements récents, la Serbie et le Monténégro ne seraient pas en mesure de fournir une alternative adéquate et raisonnable à la protection internationale des minorités ethniques du Kosovo. Les demandeurs se prévalent encore des faits que leur village d’origine aurait fait l’objet de nombreux bombardements et qu’un cousin de Monsieur … et un autre habitant de leur village auraient été victimes de meurtres, de manière que la menace pesant sur la sécurité du peuple goranais toucherait plus particulièrement Monsieur …, d’autant plus qu’il pourrait être facilement identifié comme Goranais à défaut de parler la langue albanaise. Les demandeurs exposent également que Madame … n’aurait pas été licenciée, comme indiqué erronément dans la décision ministérielle du 15 juillet 2002, de son emploi d’infirmière, mais que de jeunes Albanais auraient envahi l’hôpital et auraient forcé les infirmières de sortir tout en leur précisant qu’elles ne devraient plus revenir car des infirmières albanaises les remplaceraient et que cet acte démontrerait les discriminations et l’insécurité auxquelles les Goranais seraient toujours exposés.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

Concernant la crainte exprimée par les demandeurs d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité goranaise, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Goranais est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the overall security situation of Kosovo Gorani has remained stable with no direct attacks during the reviewing period »), même si la liberté de mouvement restait limitée à la région de Prizren à défaut de parler la langue albanaise, de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Goranais au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Concernant le sort allégué d’un cousin de Monsieur …, il y lieu de rappeler que des faits non personnels mais vécus par d’autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d’asile établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. A défaut par le demandeur d’asile d’avoir concrètement étayé un lien entre le traitement de membres de sa famille et d’éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution (trib. adm. 21 mars 2001, n° 12965). Les demandeurs restent cependant en défaut d’étayer que la cause de la mise à mort du cousin de Monsieur … réside dans son appartenance ethnique et n’ont ainsi pas établi un lien concret avec la situation de ce dernier.

Au vu de l’évolution récente de la situation des minorités au Kosovo ci-avant relatée, l’éviction de Madame … de son emploi d’infirmière au moment de la guerre au Kosovo ne peut plus être considérée comme une cause suffisante pour fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15668
Date de la décision : 09/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-09;15668 ?

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