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30/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15896

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 juin 2003, 15896


Tribunal administratif N° 15896 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 janvier 2003 Audience publique du 30 juin 2003

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15896 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2003 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …, de nationalité brésilienne, née ...

Tribunal administratif N° 15896 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 janvier 2003 Audience publique du 30 juin 2003

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15896 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2003 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …, de nationalité brésilienne, née le…, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 18 novembre 2002, refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 avril 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François GENGLER en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 juin 2003.

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Monsieur …, de nationalité portugaise et résidant au Luxembourg, s’adressa au ministre de la Justice par un courrier dont l’entrée fut accusée en date du 13 août 2001 pour solliciter une autorisation de séjour provisoire dans le chef de sa future épouse Madame …, de nationalité brésilienne.

Ladite demande fut couchée sur un formulaire préimprimé établi par le ministère de la Justice, service des étrangers, intitulé « autorisation de séjour provisoire en vue d’un mariage » et ayant la teneur suivante :

« En vue de l’octroi d’une autorisation de séjour provisoire d’une validité de six mois en vue d’un mariage, la personne résidante au Luxembourg (citoyen luxembourgeois ou respectivement ressortissant UE/EEE et étranger légalement établi au Luxembourg) … est invitée à produire les documents suivants :

- la preuve de ses moyens d’existence personnels légalement acquis (à joindre pièces à l’appui, p.ex. contrat de travail + bulletins de paie des trois derniers mois) ;

- la preuve d’un logement adéquat (à joindre pièces à l’appui, p.ex. contrat de bail + preuve du paiement du loyer) ;

- une déclaration de prise en charge, non limitée dans le temps, précisant qu’elle prendra en charge tous frais de rapatriement du conjoint, au cas où après respectivement un, deux et trois ans après la célébration du mariage, il n’y aurait plus communauté de vie et le conjoint ne disposerait pas de moyens personnels suffisants pour supporter ses frais de séjour ou de rapatriement ;

-une copie intégrale certifiée conforme du passeport du conjoint, soit la preuve que le futur conjoint est entré légalement sur le territoire luxembourgeois ;

- un certificat de célibat attestant que le futur conjoint est célibataire, veuf(ve) ou divorcé(e) ».

Ledit formulaire est pourvu en plus des indications suivantes :

« 1. Sur base de tous les documents requis, il est octroyé au futur conjoint une autorisation de séjour provisoire, limitée à une période de six mois, seulement prorogeable sur présentation d’un acte de mariage.

2. Cette autorisation est à solliciter -

auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire au Luxembourg, soit dans son pays d’origine, soit dans le pays où il est autorisé à résider, si le futur conjoint n’est pas encore entré sur le territoire luxembourgeois ;

-

auprès du ministère des Affaires étrangères, bureau des passeports, si le futur conjoint se trouve déjà légalement sur le territoire luxembourgeois ;

3. Sur production de l’acte de mariage, une autorisation de séjour provisoire limitée à une période d’un an est octroyée au conjoint non-ressortissant de l’UE ou de l’EEE. A l’issue de cette période, la situation du couple est contrôlée, notamment s’il y a existence ou non d’une communauté de vie.

4. Si la communauté de vie existe, une nouvelle autorisation de séjour d’une durée de validité d’un an est octroyée. Si la communauté de vie de toute évidence n’existe pas, l’autorisation de séjour n’est pas prorogée, et le conjoint est invité à quitter le territoire.

5. Le même contrôle est effectué après respectivement deux et trois ans de mariage.

6. Si après ce délai la communauté de vie perdure, une autorisation de résider donnant droit à la présentation d’une demande de carte d’identité d’étranger sera octroyée au conjoint. La déclaration de prise en charge pourra être annulée.

7. Au cas où lors de la présentation de la demande d’autorisation de séjour il serait constaté que respectivement le conjoint et le futur conjoint est entré illégalement au Luxembourg, ce dernier doit retourner dans son pays d’origine ou le pays où il était autorisé à résider pour y présenter auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire au Luxembourg une demande de visa permettant une entrée légale sur le territoire. Une régularisation sur place ne saura être accordée ».

La demande de Monsieur … fut complétée par différentes pièces suivant un courrier adressé en date du 21 octobre 2002 au ministère de la Justice par l’administration communale de ….

Par décision du 18 novembre 2002, le ministre de la Justice refusa l’autorisation de séjour à Madame … au motif qu’elle « est démunie de moyens d’existence personnels lui permettant d’assurer son séjour au pays, tel que prévu à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ».

Par la même décision, Madame … fut invitée à quitter le pays dans un délai d’un mois, au motif qu’elle se trouve en séjour irrégulier au pays.

Par requête déposée en date du 21 janvier 2003, Madame … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 18 novembre 2002.

A l’appui de son recours, elle fait valoir que l’autorisation de séjour fut sollicitée en vue de son mariage avec Monsieur … et que suite à l’engagement de mariage pris par ce dernier, il serait tenu de l’entretenir en vertu de cet engagement contractuel, de sorte qu’elle disposerait de revenus propres suffisants pour assurer ses frais de séjour.

Le délégué du Gouvernement rétorque que conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, une autorisation de séjour peut être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter ses frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers, de sorte qu’en l’espèce, faute de preuve rapportée de moyens personnels propres suffisants dans le chef de la demanderesse au moment où la décision attaquée fut prise, la décision ministérielle serait justifiée.

Le représentant étatique rappelle en outre que la preuve des moyens d’existence devrait être rapportée par la production d’un permis de travail certifiant que l’intéressée peut légalement s’adonner un travail au pays, mais que par décision du 3 janvier 2003, le permis de travail a été refusé à Madame ….

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Il est constant à partir des pièces versées au dossier que la demande en obtention d’une autorisation de séjour formulée par Monsieur … pour le compte de Madame … était présentée en vue de leur mariage, qui fut célébré entre-temps le 24 avril 2003 devant l’officier de l’état civil de la commune de ….

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise, de même qu’il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels se fondent l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de toute doute.

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, en disposant que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », énonce un motif de refus facultatif (cf. Cour adm. 25 mars 2003, n° 15902C du rôle, non encore publié), de manière à opérer une restriction au niveau des possibilités accordées au ministre de la Justice pour refuser l’entrée et le séjour au pays à un étranger, sans pour autant délimiter l’étendue de son pouvoir en matière d’octroi d’une autorisation de séjour.

Concernant plus particulièrement les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats ayant adhéré à l’Accord sur l’Espace économique européen, il y a lieu de se référer au règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, ainsi qu’au règlement CEE/1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968, lequel, d’essence supérieure à la législation nationale, est directement applicable au Grand-Duché de Luxembourg.

Dans la mesure où les possibilités de refuser l’entrée et le séjour à un étranger telles qu’inscrites à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 précitée se trouvent relativisées, voire mises en échec notamment par la réglementation communautaire ci-avant visée, il y a lieu d’examiner si en l’espèce, le ministre a valablement pu refuser l’entrée et le séjour à Madame … sans se heurter aux dispositions du règlement CEE 1612/68 du Conseil qui dispose dans son article 10, 1. qu’« ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un Etat membre employé sur le territoire d’un autre Etat membre, quelle que soit leur nationalité :

a) son conjoint et leurs descendants de moins de vingt et un ans ou à charge ;

b) (….) ».

S’il est certes vrai que Madame … peut se prévaloir à l’heure actuelle directement, en sa qualité de conjoint d’un travailleur communautaire résidant au Grand-Duché de Luxembourg, sur base de la disposition communautaire prérelatée, ainsi que sur base des dispositions de l’article 3 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 précité, d’un droit de séjour dérivé lui permettant de s’installer avec son époux au Grand-Duché de Luxembourg, cette conclusion n’a pas pour autant pu valoir directement au jour où la décision litigieuse fut prise, étant donné que Madame … n’était pas encore, à la date du 18 novembre 2002, le conjoint d’un ressortissant communautaire résidant au Luxembourg.

Au-delà du cadre légal ci-avant tracé comportant la faculté pour le ministre de la Justice de refuser l’entrée et le séjour à un étranger rentrant dans les prévisions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, il est encore constant, à partir des pièces versées au dossier, que le ministre a élaboré des lignes de conduite internes en matière d’octroi d’une autorisation de séjour à des étrangers en vue de leur mariage avec une personne résidante au Luxembourg, de manière à couvrir expressément l’hypothèse sous examen d’un ressortissant d’un pays tiers qui se propose d’entrer dans les liens du mariage avec un ressortissant de l’Union européenne résidant au Grand-Duché de Luxembourg, en déterminant notamment les garanties requises dans leur chef en vue d’assurer qu’ils puissent supporter les frais de voyage et de séjour au pays notamment pendant la période précédant la célébration du mariage, étant entendu qu’à partir du mariage la possibilité pour le ministre de refuser l’entrée et le séjour au motif d’un défaut de moyens d’existence suffisants ancré à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 se trouve en tout état de cause mise en échec par l’effet de la réglementation communautaire et nationale ci-avant examinée.

Au vu de la publicité conférée par le ministre de la Justice aux lignes de conduite applicables en matière d’autorisation de séjour en vue du mariage à travers l’établissement d’un formulaire afférent destiné aux personnes intéressées, ainsi que, tel le cas en l’espèce, par le commencement de l’instruction de la demande lui adressée conformément aux dites lignes de conduite, documenté par un courrier du ministre de la Justice adressé en date du 30 novembre 2001 à Monsieur … pour demander le dépôt au dossier d’un certificat attestant que l’intéressée est célibataire, veuve ou divorcée, il y a lieu de retenir que le ministre n’a pas pu valablement justifier la décision litigieuse dans son résultat par la seule référence à la faculté de refus lui accordée par les dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, en exigeant dans le chef de la demanderesse la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour sous la forme spécifique de la production d’un permis de travail certifiant qu’elle peut légalement s’adonner à un travail au pays, sous peine de méconnaître les lignes de conduite qu’il s’est lui même fixées en la matière et de ne pas respecter le principe de l’égalité de traitement de l’ensemble des personnes concernées.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’à défaut d’autres éléments de motivation fournis en cause, permettant de justifier le refus de prendre en charge, au titre de moyens personnels suffisants, la déclaration de prise en charge du futur époux au bénéfice de la demanderesse, voire de justifier à un autre titre la décision de refus litigieuse par rapport à son cadre spécifique, celle-ci encourt l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule la décision déférée du 18 novembre 2002 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 juin 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15896
Date de la décision : 30/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-30;15896 ?

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