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19/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15922

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juin 2003, 15922


Tribunal administratif N° 15922 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 janvier 2003 Audience publique du 19 juin 2003

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Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15922 du rôle et déposée le 30 janvier 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau d

e l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Veles (Macédoine), de nationalité ...

Tribunal administratif N° 15922 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 janvier 2003 Audience publique du 19 juin 2003

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Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15922 du rôle et déposée le 30 janvier 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Veles (Macédoine), de nationalité macédonienne, et de son épouse, Madame …, née le … à Skopje (Macédoine), de nationalité yougoslave, agissant pour eux mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 novembre 2002, notifiée le 8 novembre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre en date du 23 décembre 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 avril 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 13 août 2001, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant en leur nom personnel ainsi qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».Monsieur et Madame …-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 20 novembre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 4 novembre 2002, notifiée le 8 novembre 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en Macédoine en 1994/1995. Vous auriez été appelé à la réserve en 2000, mais vous ne vous y seriez pas présenté. Vous dites que, en tant que membre de la minorité bochniaque, vous seriez privé de tous les droits et que vous ne vouliez pas faire une réserve pour un pays où vous seriez mal vu. De plus, votre épouse n’aurait pas pu obtenir la nationalité macédonienne, bien qu’y étant née.

Vous n’auriez été recherché ni par la police ni par la police militaire. Vous seriez ensuite parti au Monténégro, où vous n’auriez eu aucun problème non plus. Vous ajoutez que le Monténégro n’accepterait cependant pas les réfugiés.

Vous ajoutez que votre fille Lejla avait besoin de se faire opérer aux yeux et que vous auriez été sans couverture sociale en Macédoine.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous confirmez aussi ne pas obtenir la nationalité macédonienne parce que votre famille serait originaire du Monténégro.

Vous dites craindre les Albanais et les Macédoniens.

Aucun de vous n’aurait été membre d’un parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il faut d’abord constater que, depuis votre départ, Monsieur, la situation politique a changé en Macédoine. Un accord est intervenu entre les forces macédoniennes et l’UCK albanaise. Les troupes de l’OTAN ont pacifié la région et les Albanais ont déposé les armes.

Les autorités macédoniennes ont élaboré en avril 2002 une loi d’amnistie et une réforme étatique pour mettre les différentes communautés ethniques sur un pied d’égalité.

Enfin, les autres faits invoqués ne sont pas d’une gravité telle qu’une persécution au sens de la Convention de Genève puisse être établie, car ils reflètent surtout un sentiment d’insécurité générale. Le fait de n’avoir pas de couverture sociale dans votre pays d’origine ne constitue pas non plus une persécution au sens de la prédite Convention. Il en va de même des discriminations dont vous faites état.

De plus, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer au Monténégro, où vous avez reconnu n’avoir pas de problèmes.

Eu égard à ces circonstances, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 9 décembre 2002, les consorts …-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 novembre 2002.

Par décision du 23 décembre 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 30 janvier 2003, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 4 novembre et 23 décembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent que le ministre de la Justice aurait fait une appréciation inexacte de la situation actuelle en Macédoine, ainsi que de leur situation personnelle. Dans ce contexte, ils font exposer qu’ils seraient de confession musulmane et qu’ils appartiendraient à la communauté bochniaque et qu’en raison de ladite appartenance, leurs droits les plus élémentaires se trouveraient bafoués. Ils estiment plus particulièrement qu’ils seraient considérés « comme des extra-terrestres là-bas » et qu’ils seraient privés de tous leurs droits, tant de la part des Macédoniens que de la part des Albanais. Dans cet ordre d’idées, ils exposent qu’ils ne pourraient obtenir des documents officiels qu’après des délais d’attente de plusieurs mois et que Madame …, dont la famille serait originaire du Monténégro, ne pourrait obtenir la nationalité macédonienne, malgré le fait qu’elle serait née dans ce pays. Finalement les demandeurs expliquent encore qu’ils auraient vainement essayé de faire opérer leur fille Lejla pour des problèmes oculaires, ce qui se serait cependant révélé impossible en raison de leur confession musulmane.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 5 avril 2001, n°12801C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35).

L’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant les craintes des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de leur appartenance à la minorité bochniaque, il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays.

Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par les demandeurs en raison de leur appartenance ethnique, des répercussions sur le défaut de soins allégué au profit de leur enfant Lejla, ainsi que de la situation générale existant dans leur pays d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, les demandeurs ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Macédoine, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place. - Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que la situation politique en Macédoine s’est considérablement modifiée (cessez-le-feu, pacification de l’UCK, accords d’Ohrid, loi d’amnistie) et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’ils ne puissent pas utilement se réclamer de la protection des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 juin 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15922
Date de la décision : 19/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-19;15922 ?

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