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19/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15880

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juin 2003, 15880


Tribunal administratif N° 15880 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2003 Audience publique du 19 juin 2003

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15880 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2003 par Maître Cathy ARENDT, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Bér...

Tribunal administratif N° 15880 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2003 Audience publique du 19 juin 2003

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15880 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2003 par Maître Cathy ARENDT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Bérane (Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Foca (Bosnie-

Herzégovine), agissant pour eux-mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision prise par le ministre de la Justice le 26 juillet 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour et d’une décision confirmative du 3 décembre 2002, rendue à la suite d’un recours gracieux introduit auprès dudit ministre par courrier du 25 octobre 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003 au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Guillaume MARY, en remplacement de Maître Cathy ARENDT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 3 juin 1999, les époux … … et …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971.

Par décision du 22 mars 2001, le ministre les informa que leur demande avait été rejetée.

Par jugement du 17 décembre 2001, le tribunal administratif les débouta de leur recours contentieux contre ladite décision de refus et par un arrêt du 30 mai 2002, la Cour administrative déclarait l’acte d’appel introduit le 15 janvier 2002 à l’encontre du susdit jugement non fondé.

Suivant courrier du 13 juin 2002, les consorts …-… sollicitèrent, par l’intermédiaire de leur mandataire, auprès du ministre de la Justice une autorisation de séjour pour « raisons humanitaires ».

Par lettre du 26 juillet 2002, le ministre de la Justice rejeta cette demande au motif que les consorts …-… ne disposeraient pas de moyens d’existence personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ;

2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et qu’ils n’auraient pas fait état de raisons humanitaires justifiant l’octroi d’une autorisation de séjour au Luxembourg.

A la suite d’un recours gracieux daté du 25 octobre 2002, le ministre de la Justice confirma son refus par lettre du 3 décembre 2002.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2003, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles des 26 juillet et 3 décembre 2002.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent en premier lieu au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur de droit, sinon une erreur de fait, sinon une erreur d’appréciation manifeste en ce qu’il leur reprocherait à tort de ne pas disposer de moyens d’existence personnels suffisants, au motif qu’il serait confronté à une demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour basée sur des considérations humanitaires et eu égard au fait qu’ils seraient disposés à exercer n’importe quel travail rémunéré disponible pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Dans ce contexte, les époux …-… signalent encore, pièces à l’appui, que des patrons seraient d’accord à les engager, mais qu’ils n’entendraient pas se placer dans une situation illégale, étant donné qu’ils ne disposeraient pas encore d’un permis de séjour.

Les demandeurs reprochent ensuite au ministre de la Justice d’avoir retenu à tort qu’ils ne feraient pas état de raisons humanitaires justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg. Dans ce contexte, ils signalent que leur fils … souffrirait de graves problèmes de santé et plus particulièrement d’un asthme allergique qui risquerait de s’aggraver en cas d’un retour au Monténégro, pays dans lequel d’ailleurs un traitement médical adéquat ne serait pas garanti. Dans ce contexte, les demandeurs produisent différents rapports médicaux du docteur J.-P. P., ainsi que du docteur C. T.-Z., desquels il résulterait qu’un retour de leur fils … au Monténégro lui serait préjudiciable d’un point de vue médical.

Le délégué du gouvernement estime que l’état de santé de l’enfant … correspondrait à une pathologie assez fréquente qui pourrait être soignée par un traitement médical standard international dans son pays d’origine. Dans ce contexte, le représentant étatique se base sur un rapport établi en date du 18 juillet 2002 par l’infirmière diplômée J. S. auprès du commissariat du gouvernement aux étrangers et sur l’avis du médecin du contrôle médical établi en date du 19 août 2002 dans le cadre d’une procédure de rapatriement, d’après lequel l’enfant … ne présenterait pas de pathologie médicale empêchant son retour dans son pays d’origine.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 121 et autres références y citées).

Une simple déclaration d’engagement formulée en vue de voir accorder à un étranger un permis de travail ne saurait être reconnue comme documentant dans le chef de ce dernier l’existence de moyens personnels suffisants, ceci faute de l’autoriser directement à exercer l’activité envisagée. – L’exigence que les moyens personnels du demandeur en autorisation soient légalement acquis en ce sens que l’occupation du travailleur étranger ait reçu l’aval légalement requis du ministre du Travail et de l’Emploi, est inhérente à la notion même de moyens personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, étant donné que la nécessaire précarité de revenus provenant le cas échéant d’une occupation irrégulière fait que par essence ces revenus ne sauraient être considérés comme suffisants au sens de la loi, faute de présenter une quelconque garantie au niveau de leur perception à l’avenir (cf. trib. adm. 27 mai 2002, n° 14294 du rôle, non encore publié).

En l’espèce, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que les demandeurs disposaient de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis au moment où les décisions attaquées furent prises, les promesses d’embauche produites n’étant pas suffisantes à cet égard.

A défaut pour les demandeurs d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels, le ministre de la Justice a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce motif.

Il convient ensuite d’analyser les motifs ayant amené le ministre à ne pas reconnaître l’existence de raisons humanitaires de nature à justifier la délivrance d’une autorisation de séjour.

Il ressort plus particulièrement d’un rapport médical du docteur J.-P. P. du 3 août 2002, qui suit l’état de santé de l’enfant … depuis juillet 1999, que depuis son arrivée au Luxembourg « son asthme s’est amélioré, en partie spontanément en raison du changement climatique, comme on le constate habituellement dans ces cas, mais aussi en raison d’une médication mieux adaptée ». Pour le surplus, ledit médecin certifie qu’ « actuellement … peut mener une vie d’enfant pratiquement normale, sans gène habituelle », pour conclure néanmoins que « je pense qu’ [un retour au Monténégro] pourrait nuire gravement à la santé de cet enfant. En effet, en plus du stress psychologique, le retour dans le climat sous lequel il avait réagi violemment, pourrait déclencher un asthme grave », tout en donnant à considérer que « les médicaments actuellement utilisés seraient difficilement accessibles à la famille, leur prix étant prohibitif dans les pays moins riches ».

Il ressort encore d’un rapport médical du 3 juillet 2002, du docteur C. T.-Z., psychothérapeute, que la perspective d’un retour d’… … dans son pays d’origine aggraverait son problème d’asthme.

D’un autre côté, il ressort du rapport précité du 18 juillet 2002 de Madame J. S., infirmière diplômée auprès du ministère de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, que « selon les informations du Dr. P. (voir certificats médicaux) … souffre de crises d’asthme qui peuvent être soignées par un traitement standard international » et que « le Dr. P. m’a informé aussi que la famille […] utilise le jeune … comme moyen de pression pour rester au Luxembourg ».

Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ainsi que de vérifier si les éléments de fait dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée.

En l’espèce, il échet de constater que les certificats du docteur J.-P. P. versés en cause par les demandeurs sont de nature à mettre en doute les conclusions tirées à partir de l’avis du contrôle médical établi dans le cadre d’une procédure de rapatriement, de même que celles tirées à partir du rapport de l’infirmière diplômée J. S., qui se base par ailleurs sur les mêmes certificats médicaux, de sorte que les faits à la base des décisions déférées ne se trouvent pas fixés à suffisance de droit en l’état actuel du dossier.

Le tribunal n’étant pas à même, à défaut de connaissances médicales adéquates, de procéder lui-même à ces évaluations, il échet de commettre, avant tout autre progrès en cause, un homme de l’art avec la mission plus amplement détaillée au dispositif du présent jugement, tous autres droits et moyens étant réservés.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, avant tout autre progrès en cause, tous autres droits et moyens des parties étant réservés, nomme expert :

Dr. Christiane LEHNERS-WEBER Centre Hospitalier de Luxembourg 4, rue Barblé L-1210 Luxembourg avec la mission de vérifier, dans un rapport écrit et motivé, l’état de santé de l’enfant … …, né le 7 décembre 1988, eu égard notamment aux problèmes d’asthme allergique mis en avant dans le dossier et de vérifier si un retour actuel d’… … au Monténégro est susceptible de nuire gravement à son état de santé ;

dit que l’expert pourra s’entourer de tierces personnes dans le cadre de sa mission ;

invite l’expert à remettre son rapport pour le 22 septembre 2003 au plus tard au greffe du tribunal administratif et à solliciter un report de cette date au cas où il n’arriverait pas à remettre son rapport dans le délai lui imparti ;

dit qu’en cas de refus ou d’impossibilité d’accepter la mission, l’expert désigné sera remplacé à la requête de la partie la plus diligente par ordonnance du président du tribunal, l’autre partie dûment informée ;

ordonne aux demandeurs de consigner dans le délai de quinze jours à partir de la notification du présent jugement la somme de 250 € à titre d’avance sur les frais et honoraires d’expert à la caisse des consignations et d’en justifier au tribunal ;

réserve les frais ;

fixe l’affaire au rôle général.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 juin 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15880
Date de la décision : 19/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-19;15880 ?

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