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18/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15626

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juin 2003, 15626


Numéro 15626 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 novembre 2002 Audience publique du 18 juin 2003 Recours formé par les époux … et … …-…, Weilerbach contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15626 du rôle, déposée le 19 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, a

vocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Numéro 15626 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 novembre 2002 Audience publique du 18 juin 2003 Recours formé par les époux … et … …-…, Weilerbach contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15626 du rôle, déposée le 19 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, et de son épouse, Madame …, née le… , de nationalité russe, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leur enfants mineurs … et …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 avril 2002 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicite de rejet de leur recours gracieux du 19 juillet 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 janvier 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 mars 2003.

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Le 21 juillet 1999, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». Son épouse, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte des enfants communs mineurs … et …, introduisit le 2 août 1999 une demande tendant aux mêmes fins.

En dates des mêmes jours respectifs, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Monsieur … fut entendu en date du 23 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, l’audition correspondante de Madame … ayant eu lieu le 3 août 1999.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par décision du 29 avril 2002, leur notifiée par courrier recommandé du 18 juin 2002, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les époux …-… à travers un courrier de leur mandataire du 19 août 2002 n’ayant pas fait l’objet d’une décision ministérielle, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle expresse du 29 avril 2002 et de la décision implicite de rejet de leur recours gracieux par requête déposée le 19 novembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre une appréciation erronée des faits et soutiennent qu’une appréciation plus juste des éléments par eux soumis aurait dû le conduire à admettre dans leur chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ils font valoir qu’il faudrait analyser si le comportement d’un demandeur d’asile est perçu par les autorités en place comme un acte d’opposition contre le pouvoir, de manière qu’une simple abstention pourrait être retenue comme étant de nature à fonder une crainte justifiée de persécution, le critère déterminant étant l’interprétation faite par les autorités de l’attitude du demandeur d’asile. Ils exposent que Monsieur …, de confession musulmane et appartenant à la minorité bochniaque, aurait été maltraité et discriminé au sein de l’armée yougoslave pendant l’accomplissement de la réserve militaire et qu’il risquerait du fait de ses origines ethniques une condamnation d’une sévérité disproportionnée en raison de sa désertion pendant la proclamation de l’état de guerre. Les demandeurs relèvent en outre qu’ils auraient fait l’objet de discriminations et provocations de la part de Serbes en raison de leur mariage mixte et qu’ils auraient reçu des menaces par des éléments extrémistes armés. Ils concluent que ces éléments devraient être reconnus comme fondant dans leur chef une crainte justifiée de persécution alors qu’un retour dans leur pays d’origine serait actuellement encore impossible.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur la désertion de Monsieur …, il convient de rappeler que la désertion, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquent encore actuellement de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Quant aux persécutions subies par les demandeurs en raison de leur mariage mixte, s’il est vrai que la situation générale des époux d’origines ethniques et religieuses différentes est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout époux d’un tel couple serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

En l’espèce, les demandeurs ont fait état de provocations et d’agressions subies par des Serbes. S’il est vrai que de tels faits survenus durant l’année 1999 constituent certainement, à les supposer vrais, des pratiques condamnables, il n’en reste pas moins qu’ils ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent, à l’heure actuelle, une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine des demandeurs, étant entendu qu’il est indéniable que la situation politique en Yougoslavie s’est stabilisée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils ne peuvent pas se réclamer de la protection des autorités nouvellement en place en Yougoslavie ou que celles-ci ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 juin 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15626
Date de la décision : 18/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-18;15626 ?

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