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16/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15789

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juin 2003, 15789


Tribunal administratif N° 15789 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 décembre 2002 Audience publique du 16 juin 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15789 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2002 par Maître Paulo FELIX, avocat à la Cour, assisté de Maître Rachel JAZBINSEK, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité togolaise, demeurant actuellement à L-...

Tribunal administratif N° 15789 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 décembre 2002 Audience publique du 16 juin 2003

============================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15789 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2002 par Maître Paulo FELIX, avocat à la Cour, assisté de Maître Rachel JAZBINSEK, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité togolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 novembre 2002 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour provisoire pour étudiants ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2003 par Maître Paulo FELIX au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Rachel JAZBINSEK et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 avril 2003 ;

Vu le mémoire complémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2003 par Maître Paulo FELIX au nom de Monsieur … ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Rachel JAZBINSEK en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 juin 2003.

Par courrier datant du 30 juillet 2002, Monsieur … s’adressa au ministre de la Justice afin d’obtenir une autorisation de séjour en vue de poursuivre des études au département de droit et des sciences économiques du Centre Universitaire de Luxembourg pendant l’année universitaire 2002/2003.

Par décision datant du 12 août 2002, le ministre de la Justice accorda à Monsieur …, de nationalité togolaise, une autorisation de séjour provisoire pour étudiants valable jusqu’au 31 octobre 2002 sous les précisons suivantes :

« La présente autorisation n’est prorogeable que sur base d’un dossier complet à déposer avant le 31 octobre 2002 comprenant :

- copie certifiée conforme du passeport intégral ;

- original ou copie certifiée conforme de l’inscription définitive pour l’année académique au Centre Universitaire de Luxembourg 2002/2003 ;

- preuve attestant un logement au pays ;

- certificat de droit aux prestations d’une assurance-maladie ;

- déclaration de prise en charge dûment légalisée ou preuve de moyens d’existence personnels ;

- garantie bancaire d’un montant de 2.200.- EUR en faveur du ministère de la Justice pour la durée d’un an, déposée auprès d’un institut financier agréé au Luxembourg.

Muni d’un passeport national valable, l’intéressé est invité à se présenter, soit dans son pays d’origine, soit dans le pays où il est autorisé à résider, auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire du Luxembourg pour y solliciter une autorisation de séjour provisoire ».

La même décision ministérielle est pourvue en outre des indications suivantes :

« 1. L’autorisation de séjour est délivrée jusqu’au 30 septembre qui suit la fin de l’année académique.

2. Elle est reconduite pour une nouvelle durée de 12 mois, sur base d’un dossier complet, si l’étudiant a accompli avec succès son année académique.

3. Exceptionnellement, elle peut être reconduite pour une durée de 12 mois, toujours sur base d’un dossier complet, si l’année académique s’est soldée par un échec. Pour le surplus, une « reconversion » de l’étudiant est possible une seule fois.

4. L’autorisation de séjour perd sa validité si les études sont interrompues ou abandonnées.

5. L’autorisation de séjour ne donne pas droit à l’exercice d’une activité salariale. Elle perd sa validité si le ministère de la Justice devait apprendre que l’octroi d’un permis de travail a été sollicité.

6. Le travail de vacances ne doit pas dépasser 2 mois par an.

7. L’étudiant bénéficiant d’une autorisation de séjour au Luxembourg n’a pas droit au regroupement familial.

8. A la fin de ses études, l’étudiant doit retourner, soit dans son pays d’origine, soit dans le pays où il est légalement établi.

9. L’étudiant qui désire poursuivre des études au Luxembourg et qui se trouve déjà sur le territoire d’un autre Etat membre de l’UE, doit être, à la date à laquelle il introduit sa demande, en possession d’une autorisation de séjour valable dans ce pays ».

Par courrier recommandé datant du 12 novembre 2002, le ministre s’adressa à Monsieur … au sujet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour provisoire pour étudiants dans les termes suivants :

« Monsieur, Au vu des pièces remises au service des étrangers en date de ce jour, j’ai le regret de vous informer que votre dossier reste incomplet à l’heure actuelle. Je me permets de vous rappeler que la date limite pour la déposition du dossier complet en obtention d’une autorisation de séjour provisoire pour l’année scolaire 2002/2003, était le 31 octobre 2002.

Par conséquent, votre demande ne saurait être prise en considération et vous êtes invité à quitter le pays avant le 22 novembre 2002, date d’expiration de votre visa touristique.

Je regrette de ne pouvoir réserver d’autres suites à cette affaire (…) ».

Par courrier de son mandataire datant du 26 novembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 novembre 2002 en faisant valoir que le dossier était incomplet pour des raisons indépendantes de sa volonté, étant donné que d’une part certains documents originaux auraient été bloqués à l’ambassade du Togo et que d’autre part, son père est décédé, de sorte que dès l’annonce de cette nouvelle il se serait rendu auprès de sa mère à Paris. Monsieur … a signalé par le même courrier au ministre qu’il aurait informé le Centre Universitaire du décès de son père et qu’il aurait demandé à cette autorité d’en informer le ministre de la Justice dans le but d’obtenir un délai supplémentaire pour le dépôt de son dossier.

Le ministre a rencontré ledit recours gracieux par une décision négative du 29 novembre 2002, au motif qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, il ne pouvait que confirmer le contenu de son courrier du 12 novembre 2002.

Par requête déposée en date du 23 décembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 12 et 29 novembre 2002.

A l’appui de son recours, il fait valoir que ce serait en raison d’événements indépendants de sa volonté qu’il n’aurait pas pu déposer un dossier complet pour le 31 octobre 2002 au plus tard tel qu’exigé par le ministre de la Justice dans sa décision du 12 août 2002 au titre des conditions y énoncées quant au caractère prorogeable de l’autorisation de séjour provisoire lui délivrée jusqu’au 31 octobre 2002. Il signale à cet égard avoir eu dans un premier temps des difficultés à récupérer des papiers officiels gardés par l’ambassade des Pays-Bas au Togo et qu’il n’aurait pu récupérer les documents en question qu’au bout d’un certain délai ce qui expliquerait qu’il n’aurait pas pu venir au Luxembourg dès le 7 octobre 2002, date de la prise d’effet de son visa valable jusqu’au 22 novembre 2002. Il signale ensuite avoir appris, après son arrivée au Grand-Duché de Luxembourg, le décès de son père et qu’il se serait dès lors rendu de suite après de sa mère à Paris, mais que dès son retour à Luxembourg, il aurait fait le nécessaire pour obtenir les papiers manquants, de manière à avoir disposé, à la date à laquelle la décision litigieuse du 12 novembre 2002 lui fut notifiée, de l’ensemble des pièces ayant préalablement manqué à son dossier. Il estime que ce serait à tort que le ministre de la Justice a refusé de faire droit à sa demande, ceci d’autant plus que le délai du 31 octobre 2002 ne serait pas un délai impératif imposé par des dispositions légales et que d’autres étudiants ayant également accusé un retard dans la remise de leur dossier et s’étant trouvés ainsi dans une même situation de fait et de droit que lui-même auraient bénéficié d’une autorisation de séjour.

Le délégué du Gouvernement rétorque que conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, une autorisation de séjour peut être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers. Il estime que dans la mesure où force serait de constater que Monsieur … n’a pas établi disposer de moyens personnels propres suffisants au sens de la disposition légale prévisée au moment où la décision attaquée fut prise, celle-ci serait justifiée. Il rappelle en outre à ce sujet que la preuve des moyens d’existence devrait être rapportée par la production d’un permis de travail certifiant que l’intéressé peut légalement s’adonner à un travail au pays.

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise, de même qu’il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels se fonde l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

S’il est certes vrai que l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, en disposant que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : – qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-

ci est requis, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », accorde au ministre la possibilité de refuser l’entrée et le séjour à un étranger rentrant dans les prévisions dudit article, il n’en reste cependant pas moins que les possibilités de refus ainsi énoncées constituent une faculté de refus par le ministre (cf. Cour adm. 20 mai 2003, n° 16092C du rôle, non encore publié).

Il est constant à partir des pièces versées au dossier que le ministre a élaboré des lignes de conduite internes en matière d’octroi d’une autorisation de séjour à des étudiants étrangers souhaitant poursuivre des études au Grand-duché de Luxembourg en déterminant notamment les garanties requises dans leur chef en vue d’assurer qu’ils puissent supporter les frais de voyage et de séjour au pays pendant la période concernée, étant entendu que par essence, des étudiants ne sont en principe pas censés se livrer à des activités rémunérées.

Au vu de la publicité conférée par le ministre de la Justice aux lignes de conduite applicables en matière d’autorisation de séjour provisoire pour étudiants à travers l’établissement d’un formulaire afférent destiné aux personnes intéressées, ainsi que, comme en l’espèce, par une information concrète et détaillée directement adressée au demandeur comportant l’énoncé des pièces à déposer dans le cadre de la demande d’autorisation, il y a lieu de retenir que le ministre ne peut pas valablement justifier la décision litigieuse dans son résultat par la seule référence à la faculté de refus lui accordée par les dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée en exigeant dans le chef de l’étudiant concerné la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, sous forme de revenus d’une activité rémunérée exercée sous le couvert d’un permis de travail, sous peine de méconnaître les lignes de conduite qu’il s’est lui-même fixées en la matière et de ne pas respecter le principe de l’égalité de traitement de l’ensemble des étudiants étrangers concernés. Il se dégage des considérations qui précèdent que la motivation complémentaire fournie en cause à travers le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement ne constitue pas une base légale appropriée pour justifier en l’espèce la décision litigieuse.

Il est constant que par décision du 12 août 2002, le ministre a accordé à Monsieur … une autorisation de séjour provisoire pour étudiants valable jusqu’au 31 octobre 2002 avec la précision qu’elle n’était prorogeable que sur base d’un dossier complet déposé avant le 31 octobre 2002 comprenant l’ensemble des pièces y énoncées.

Si le ministre a certes valablement pu énoncer la date limite du 31 octobre 2002 afin d’assurer une saine gestion de son service et de faire en sorte que les étudiants de l’année académique 2002/2003 puissent en temps utile voir leur situation de séjour régularisée, il n’en reste cependant pas moins que dans l’appréciation des suites à réserver à un éventuel non respect de cette date limite, par ailleurs non inscrite dans la loi et ne revêtant aucun caractère impératif, le ministre ne doit pas arriver à un résultat manifestement disproportionné par rapport au but poursuivi.

Dans la mesure où les éléments tels que fournis en cause ne permettent pas d’établir que Monsieur … ait effectivement informé le ministre de la Justice en temps utile des difficultés par lui rencontrées pour observer le délai du 31 octobre 2002, celui-ci a certes valablement pu, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation en la matière, retenir au moment de la prise de la décision litigieuse du 12 novembre 2002 que la demande de Monsieur … ne pouvait plus être prise en considération faute de remise de sa part d’un dossier complet avant la date lui imposée du 31 octobre 2002.

La même conclusion ne saurait cependant valoir par rapport à la décision confirmative du ministre du 29 novembre 2002 intervenue au motif que Monsieur … n’aurait pas présenté d’éléments pertinents nouveaux. En effet, il se dégage des pièces versées au dossier que dans le cadre de son recours gracieux, le demandeur a informé le ministre notamment du décès de son père et de son déplacement subséquent à Paris pour rejoindre sa mère, de même qu’il se dégage des pièces versées à l’appui dudit recours gracieux que le demandeur a pris le soin de s’adresser par voie de télécopie en date du 2 novembre 2002 au secrétariat du département de droit et des sciences économiques du Centre universitaire pour l’informer du décès de son père et qu’il a prié cette autorité administrative d’en informer le ministère de la Justice avec la précision qu’il restait en souffrance de soumettre son dossier complet pour la prorogation de son autorisation de séjour.

Eu égard au caractère tragique des circonstances auxquelles Monsieur … a dû faire face depuis son arrivée au pays, ainsi que compte tenu du fait que malgré cette situation, il a pris le soin d’en informer une autorité administrative sur laquelle il a valablement pu compter pour transmettre l’information concernée au ministre de la Justice, la décision confirmative de ce dernier datant du 29 novembre 2002, intervenue par ailleurs à une date où il n’est plus contesté en cause que le dossier soumis par Monsieur … était complet par rapport aux conditions énoncées par le ministre lui-même dans son courrier du 12 août 2002 précitée, est à considérer comme étant manifestement disproportionnée dans son résultat par rapport aux faits de l’espèce, de manière à encourir l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule la décision déférée du ministre de la Justice du 29 novembre 2002 confirmant sa décision initiale du 12 novembre 2002 et lui renvoie le dossier en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 juin 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15789
Date de la décision : 16/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-16;15789 ?

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