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13/06/2003 | LUXEMBOURG | N°16529

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juin 2003, 16529


Tribunal administratif N° 16529 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2003 Audience publique extraordinaire du 13 juin 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du Gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16529 du rôle et déposée le 6 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, actuellement p

lacé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schras...

Tribunal administratif N° 16529 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2003 Audience publique extraordinaire du 13 juin 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du Gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16529 du rôle et déposée le 6 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 mai 2003 ordonnant la prorogation de la mesure de placement prise à son égard par décision du même ministre du 30 avril 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2003.

Monsieur … introduisit en date du 30 avril 2003 une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 auprès des autorités luxembourgeoises.

Par décision du 30 avril 2003, le ministre de la Justice a prononcé l’exclusion de Monsieur … de la procédure prévue par la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, ceci par application de l’article 1. F.b) de la Convention de Genève et sur base des faits suivants :

« Il ressort de votre dossier administratif que vous avez fait l’objet d’une condamnation à une peine d’emprisonnement de 90 jours en Suisse dans le canton de Zurich pour faux dans les certificats.

1 Le rapport du Service de Police Judiciaire du 15 mai 2001 retient qu’entre 1986 et 1993, vous avez été localisé à six reprises en Allemagne dont cinq fois pour vol et une fois en vertu d’un mandat d’arrêt pour viol. Vous faites l’objet d’un mandat d’arrêt du Parquet près du Tribunal Régional de Berlin en vue de l’exécution d’une peine d’emprisonnement de 581 jours pour viol.

En outre, il ressort d’un rapport du 18 avril 2001 du Service de Police Judiciaire que vous êtes connu en Suisse pour différents crimes et délits graves. Ainsi vous avez été intercepté le 22 juin 1995 à Schwyz pour vol à la tire, sous le nom de … , né le … ; le 18 mai 1996 à Genève pour vol, sous le nom de … , né le … ainsi que le 31 décembre 1997 à Zurich, pour faux dans les certificats, sous le nom de … , né le …».

Par décision datant également du 30 avril 2003, le ministre de la Justice avait ordonné le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de cette décision au motif que son éloignement immédiat n’était pas possible. Ladite décision repose sur les considérations suivantes :

« Vu les rapports n° … établis par le service de Police Judiciaire, section des étrangers et des jeux ;

Vu ma décision d’exclusion de la procédure d’asile de ce jour ;

Considérant que l’intéressé se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’il constitue un danger grave pour l’ordre et la sécurité publics ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

- qu’un laissez-passer sera demandé aux autorités yougoslaves dans les meilleurs délais.

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ».

Par requête déposée le 30 mai 2003 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de placement prévisée du 30 avril 2003.

Par jugement du 6 juin 2003, le tribunal administratif a déclaré ledit recours sans objet et en a débouté au motif que le demandeur, au jour où le tribunal a statué, n’était plus placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière sur base de la décision de placement alors litigieuse laquelle avait cessé de sortir ses effets à partir du 30 mai 2003.

Par arrêté du ministre de la Justice du 26 mai 2003, le placement de Monsieur … fut prorogé pour une durée d’un mois aux motifs suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

2Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté pris en date du 30 avril 2003 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé est démuni du visa requis :

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; » Par requête déposée le 6 juin 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de prorogation prévisée du 26 mai 2003.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait valoir que les conditions d’application de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée ne seraient pas remplies en l’espèce, étant donné qu’en sa qualité de demandeur d’asile aucune décision d’expulsion ou de refoulement au sens de cette disposition ne pourrait être prise à son encontre, ceci aussi longtemps que sa demande d’asile n’aurait pas été définitivement refusée. Le demandeur s’empare à cet égard des dispositions de l’article 13 (2) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée pour soutenir que son éloignement du territoire luxembourgeois ne pourrait avoir lieu ni au cours de la procédure d’examen de la demande, ni pendant le délai d’introduction des recours prévus aux articles 10 et 12 de la même loi.

Le demandeur déduit de ces développements que ce serait à tort que le ministre a qualifié, à l’appui de la décision litigieuse, son séjour au Luxembourg comme étant irrégulier.

En vertu des dispositions de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, une mesure de refoulement peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 3mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une décision de placement a été prise à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle mesure de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de placement à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués à l’appui de la décision litigieuse, le ministre de la Justice fait état du fait que le demandeur se trouvait en séjour irrégulier au pays. Dans la mesure où il est constant que le demandeur n’est en possession ni de papiers de légitimation prescrits, ni de visa, une mesure de refoulement telle que prévue par l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 était en principe justifiée à son égard au moment de la prise de la décision litigieuse.

Dans la mesure où il est cependant constant que Monsieur … a déposé en date du 30 avril 2003 une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève auprès des autorités luxembourgeoises, il y a lieu d’examiner plus en avant l’incidence du dépôt de cette demande, ainsi que de la décision ministérielle qui s’en est suivie notamment au regard du principe de non refoulement invoqué par le demandeur sur base des articles 33 de la Convention de Genève et 14 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Il est constant que par décision du 30 avril 2003 le ministre de la Justice a prononcé l’exclusion de Monsieur … de la procédure d’asile par application de l’article 1.F b) de la Convention de Genève, de sorte que par l’effet de cette décision Monsieur …, par application des dispositions mêmes dudit article 1, F de la Convention de Genève, ne peut pas prétendre à l’application de cette Convention, ni, par voie de conséquence, des dispositions de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée portant création notamment d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, étant donné qu’une décision d’exclusion du statut de réfugié tend par essence à barrer à la personne concernée l’accès même à la procédure d’asile et relève par ailleurs de considérations qui peuvent être tout à fait étrangères aux motifs invoqués à la base de la demande d’asile présentée.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le moyen du demandeur basé sur le principe de non refoulement applicable aux demandeurs d’asile en attendant l’issue définitive de la procédure d’examen de leur demande laisse d’être fondé en l’espèce.

Cette conclusion ne saurait être énervée par la considération avancée en cause par le mandataire du demandeur qu’en déniant aux personnes ayant fait l’objet d’une décision d’exclusion du statut de réfugié le bénéfice du principe de non-refoulement « tout serait possible », étant donné d’abord que la décision d’exclusion doit elle-même intervenir dans le cadre légal tracé et qu’elle est ensuite soumise au contrôle juridictionnel de droit commun en la matière avec la possibilité pour la personne concernée de solliciter le sursis à exécution, lequel peut, d’après les dispositions légales applicables, être décrété à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice 4grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

Le demandeur entend ensuite tirer argument du prétendu caractère irrégulier de la décision ministérielle du 30 avril 2003 ayant prononcé son exclusion de la procédure d’asile.

Force est cependant de constater que le tribunal, statuant en l’espèce à l’égard d’une décision de prorogation d’une mesure de placement, n’est pas appelé à se prononcer sur le bien-fondé d’une décision d’exclusion en matière d’asile sous peine de statuer ultra petita, le demandeur ayant par ailleurs précisé qu’un recours séparé fut introduit à l’encontre de la décision en question du 30 avril 2003.

Le demandeur critique ensuite le fait d’avoir été placé dans un Centre de séjour situé dans l’enceinte d’un centre pénitentiaire, en faisant valoir qu’à l’exception du droit illimité à la correspondance et de la dispense de l’obligation de travail, le régime auquel les étrangers placés sont soumis serait similaire à celui des détenus de droit commun. Il estime qu’eu égard aux caractéristiques de ce régime, le placement au sein de ce centre devrait rester une mesure d’exception, indiquée uniquement au cas où l’étranger est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. Dans la mesure où aucun élément du dossier ne laisserait cependant penser que lui-même soit actuellement susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics luxembourgeois, le demandeur estime que son placement au Centre de séjour pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig serait inapproprié au point d’être entâché d’illégalité.

Force est de constater que le nouveau centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière a été créé par la voie d’un règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, de sorte que le caractère approprié de cet établissement au sens de l’article 15 (1) de la loi prévisée du 28 mars 1972 se dégage directement d’un texte réglementaire et ne saurait dès lors plus être sujet à discussion, aucune exception d’illégalité afférente n’ayant été soulevée en cause. En outre, dans la mesure où il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur était en situation irrégulière au regard de la loi prévisée du 28 mars 1972 et qu’il subit actuellement une mesure de placement administrative sur base dudit article 15 en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, il rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, de sorte que toute discussion sur l’existence d’un risque de porter atteinte à l’ordre public et d’un risque de fuite dans son chef s’avère désormais non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent par essence un risque de fuite, fut-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Au vu de ce qui précède les reproches tirés du prétendu défaut d’un risque de porter atteinte à l’ordre public luxembourgeois sont également à rejeter comme étant non pertinents en l’espèce.

5 A titre subsidiaire le demandeur fait valoir que la décision de prorogation litigieuse ne répondrait pas à l’exigence d’une nécessité absolue posée par l’article 15 (2) de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée.

Concernant la justification de la décision de prorogation sous examen, le paragraphe (2) dudit article 15 dispose en effet que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal est partant amené à analyser si le ministre de la Justice a pu se baser en l’espèce sur des circonstances permettant de justifier l’existence d’une nécessité absolue rendant la reconduction de la décision de placement inévitable (cf. trib. adm. 22 mars 1999, n° 11191 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 203 et autres références y citées).

Il se dégage des renseignements fournis en cause que les autorités luxembourgeoises ont fait les diligences nécessaires pour débloquer les problèmes rencontrés ces derniers mois en matière de rapatriement de demandeurs d’asile déboutés en raison de la mise en place de l’Union de Serbie et de Monténégro, difficultés tenant notamment à la nécessité d’établir à travers les entrevues bilatérales les contacts nécessaires avec les personnes responsables au niveau des nouveaux gouvernements de Podgorica et de Belgrade, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que même si ces diligences n’ont pas été couronnées de succès dans le délai d’un mois, le ministre de la Justice a néanmoins pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rend la prorogation de la décision de placement inévitable, étant donné que la mesure d’éloignement pourra effectivement être exécutée sous peu.

Il résulte des développements qui précèdent que le recours n’est fondé en aucun de ces moyens et doit partant être rejeté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 juin 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16529
Date de la décision : 13/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-13;16529 ?

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