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12/06/2003 | LUXEMBOURG | N°16497

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juin 2003, 16497


Tribunal administratif N° 16497 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2003 Audience publique du 12 juin 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16497 du rôle, déposée le 4 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur …, né le … à Bérane (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, ayant été ...

Tribunal administratif N° 16497 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2003 Audience publique du 12 juin 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16497 du rôle, déposée le 4 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, ayant été placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2003 ordonnant la prorogation de la mesure de placement antérieurement prise à son égard par décision du même ministre datée du 28 octobre 2002 et notifiée à l’intéressé le 26 avril 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 6 juin 2003 au greffe du tribunal administratif;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Il ressort d’un rapport dressé le 28 avril 2003 par le service de la police des étrangers de la police grand-ducale que Monsieur … fut interpellé le 26 avril 2003 par les agents de la police et qu’il reçut notification d’un arrêté de placement « pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois », pris par le ministre de la Justice le 28 octobre 2002. En exécution de ladite mesure de placement, l’intéressé fut conduit le 26 avril 2003 au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Par arrêté du ministre de la Justice du 23 mai 2003, le placement de Monsieur … fut prorogé pour une durée d’un mois. L’arrêté de prorogation est basé sur les considérants et motifs suivants :

« (…) Vu mon arrêté pris en date du 28 octobre 2002, notifié le 26 avril 2003 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 28 octobre 2002 lui notifié en date du 26 avril 2003 ;

Considérant que l’intéressé est dépourvu du visa requis ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 4 juin 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle préindiquée du 23 mai 2003.

L’article 15 paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, instituant un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation lui déféré. Ce même recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que :

- la décision de prorogation de son placement au Centre de séjour provisoire, partie intégrante du Centre pénitentiaire de Luxembourg, devrait rester une mesure d’exception à laquelle il y aurait uniquement lieu de recourir en présence d’un étranger susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce et - la décision ne serait pas justifiée par une « nécessité absolue » légalement requise, au motif qu’aucune circonstance de fait n’aurait empêché et n’empêcherait l’exécution immédiate de son éloignement, étant relevé qu’il serait détenteur d’un passeport valable et qu’aucune diligence n’aurait été entreprise en vue de son rapatriement.

Le délégué du gouvernement rétorque que le demandeur ne serait pas détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg, mais dans une partie spécifique aménagée en centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et que les conditions de placement seraient remplies en l’espèce, étant donné que le demandeur serait en situation irrégulière au pays et qu’il serait par ailleurs connu des autorités comme un « individu violent ».

Quant « aux reproches d’inaction du Gouvernement », il répond que le demandeur devrait faire l’objet d’un rapatriement « sous escorte », lequel présupposerait « une concertation avec les autorités sur place afin de se mettre d’accord sur les modalités d’accueil de l’escorte et la remise de l’étranger », mais que « depuis la mise en place des nouveaux Etats de Serbie et Monténégro, des contacts entre les autorités luxembourgeoises et les nouvelles autorités étatiques yougoslaves étaient difficiles à établir ». Il ajoute encore que la situation aurait été clarifiée et que le rapatriement de l’intéressé « est dès lors prévu dans les prochains jours ». Le délégué du gouvernement a encore produit des pièces documentant une prise de contact en vue du rapatriement de Monsieur … en date du 18 juin 2003.

Concernant la justification de la décision de prorogation sous examen, le paragraphe (2) de l’article 15 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal est partant amené à analyser si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’en l’espèce une nécessité absolue rendait la reconduction de la décision de placement inévitable (trib. adm. 22 mars 1999, n° 11191 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 203 et autres références y citées).

Il convient encore de relever que même en présence d’un placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation illégale, l’autorité compétente doit veiller à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée et la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire.

Sur ce, force est de constater qu’en l’espèce, il appert à l’examen des éléments du dossier soumis au tribunal que suite au placement de Monsieur … au Centre de séjour et pendant l’intégralité du délai légal de placement, c’est-à-dire un mois à partir de la date de notification du 26 avril 2003, les autorités luxembourgeoises n’ont accompli aucune diligence en vue d’assurer le rapatriement concret de Monsieur … et ce n’est qu’en date du 10 juin 2003, soit 18 jours après la décision de prorogation querellée que les autorités luxembourgeoises ont adressé une « notice on readmission » au ministère de l’Intérieur du Monténégro en vue de son rapatriement. Or, cette inaction, spécialement face à un étranger, certes en situation irrégulière au Luxembourg, mais qui est détenteur d’un passeport en cours de validité, ne saurait être analysée en l’accomplissement des diligences suffisantes et nécessaires en vue de l’organisation et de l’exécution matérielle du rapatriement de l’intéressé.

Or, dans ces conditions, force est de constater que le demandeur reproche à bon droit au ministre de la Justice de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires et utiles qui auraient pu assurer un éloignement de sa personne dans les meilleurs délais, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’à défaut d’avoir pris des mesures appropriées, le ministre de la Justice ne saurait se prévaloir d’une nécessité absolue pour justifier la décision de reconduction de la mesure de placement du demandeur querellée et la prorogation de la mesure de placement n’était pas justifiée.

Cette conclusion n’est pas affectée par l’argumentation basée sur ce que les contacts avec les nouvelles autorités du pays d’origine de l’intéressé étaient difficiles à nouer, étant donné que l’attente, passive, des autorités nationales ne saurait, en l’absence de démarches appropriées, justifier une privation de liberté prolongée de l’intéressé - fût-ce au sein d’un centre de séjour spécifique -, d’autant plus que l’intéressé dispose d’un passeport valable permettant son éloignement vers son pays d’origine.

Le recours est partant fondé sans qu’il y ait lieu d’analyser le second moyen invoqué par le demandeur à l’appui de son recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule la décision ministérielle du 23 mai 2003 ;

ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 12 juin 2003 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16497
Date de la décision : 12/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-12;16497 ?

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