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12/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15769

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juin 2003, 15769


Tribunal administratif N° 15769 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2002 Audience publique du 12 juin 2003 Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15769 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Maliq (Albanie), et de

son épouse, Madame …, née le … à Maliq, agissant pour eux-

mêmes, ainsi qu’en nom et pou...

Tribunal administratif N° 15769 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2002 Audience publique du 12 juin 2003 Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15769 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Maliq (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le … à Maliq, agissant pour eux-

mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 septembre 2002, notifiée le 8 octobre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 18 novembre 2002 suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

En date du 26 juin 2002, Monsieur … et son épouse, Madame … …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 22 juillet 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 20 septembre 2002, notifiée le 8 octobre 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Monsieur vous déclarez avoir adhéré depuis 1996 au parti royaliste albanais, le parti de mouvement de légalité. A partir de 1997 vous auriez occupé la fonction de vice-

président du parti de la région de Maliq. Vous auriez organisé et participé à des manifestations contre le pouvoir politique en place et pour prôner le retour du roi en Albanie. Vous auriez été arrêté plusieurs fois, notamment en 1997 lors du référendum pour le retour du roi. Selon vos dires, votre parti aurait gagné le référendum, victoire qui aurait également été reconnue par l’Union Européenne, mais que le pouvoir en place aurait démentie. Le jour du référendum vous auriez été arrêté par des civils parce que vous vous seriez opposé à des manipulations des partis démocrate et socialiste. Par la suite vous auriez été arrêté plusieurs fois, notamment en août et décembre 2001. Vous auriez été maltraité et menacé par la police. En décembre 2001, vous auriez décidé de quitter seul votre pays d’origine pour vous rendre aux Etats-Unis, mais vous auriez été arrêté en France. Vous auriez décidé de rentrer en Albanie au lieu de demander l’asile en France comme cela vous a été proposé.

A votre retour en janvier 2002 vous auriez reçu des lettres de menaces. Vous ajoutez que pendant votre absence une bombe aurait endommagé votre maison.

Madame, il résulte de vos déclarations que votre mari serait membre du parti de légalité et que depuis 1997 il aurait eu des problèmes. Ainsi, en 1997 il aurait été blessé. La police serait également venue plusieurs fois pour chercher votre mari. Vous ajoutez que toute votre famille aurait été menacée. En décembre 2001 on aurait jeté une bombe dans votre maison.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne votre arrestation en 1997, je me dois de constater que de tels faits reculés dans le temps ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié. A cela s’ajoute que l’Union européenne n’a pas reconnu la victoire du parti royaliste lors du référendum de 1997 comme vous le prétendez. Force est également de constater que la situation politique s’est considérablement stabilisée en Albanie depuis 1999 ce qui est confirmé par les observateurs internationaux présents en Albanie. Ainsi les élections législatives de juin 2001 et présidentielles de juin 2002 se sont déroulées dans le calme et sans manipulations. L’Albanie n’est donc plus dans une situation semblable à celle de l’année 1997 où il y avait beaucoup d’émeutes.

En ce qui concerne vos arrestations de 2001, même à les supposer établies, ne sauraient être considérées comme suffisamment graves pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Il faut également noter que le parti royaliste, le parti « Légaliteti » est un parti qui ne recueille que de très faibles pourcentages lors des élections et ne constitue par conséquent pas de menace pour le parti politique au pouvoir.

Vous restez également en défaut de prouver que la bombe qui aurait endommagé votre maison ait été un acte avec un arrière-fond politique. Même si la police n’a pas pu retrouver les auteurs de cet acte cela ne saurait prouver que la police aurait volontairement négligé de faire son travail ou se serait « arrangé » avec les auteurs de l’acte voire même avoir été l’auteur de ce dernier.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 11 novembre 2002 à l’encontre de ladite décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 18 novembre 2002.

Par requête déposée le 20 décembre 2002, les époux … ont introduit un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 20 septembre et 18 novembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent que Monsieur … aurait été depuis l’année 1996 membre du parti politique « Legaliteti », favorable au rétablissement de la monarchie en Albanie, qu’il aurait été vice-président dudit parti pour la région de Maliq depuis 1997 et qu’il aurait été arrêté à plusieurs reprises et plus particulièrement au courant du mois de juin 1997, au moment du référendum, et maltraité par la police et des civils en raison de son engagement politique. Monsieur … expose encore qu’il aurait été arrêté par la police à plusieurs reprises au courant des mois d’août et décembre 2001 et menacé de mort, ce qui l’aurait incité à quitter seul son pays pour se rendre aux Etats-Unis. Comme il aurait cependant été arrêté par les autorités françaises à l’aéroport de « Roissy-Charles de Gaulle », il aurait décidé de rentrer en Albanie au lieu de demander l’asile en France et qu’à son retour le 5 janvier 2002, il aurait constaté que sa maison avait été endommagée lors d’un attentat à la bombe. Par la suite, il aurait encore reçu des lettres de menaces, ce qui l’aurait incité à quitter l’Albanie, ensemble avec sa famille, le 23 juin 2002.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs. Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 22 juillet 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même si les déclarations de Monsieur … relatives à son engagement politique et à son rôle joué au sein du parti politique « Legaliteti », aux arrestations et maltraitances en résultant, et à l’attentat à la bombe dont il déclare avoir été la victime ensemble avec sa famille, présentées de manière cohérente, sont à considérer comme crédibles notamment au vu de la production de différentes attestations, le tribunal est néanmoins amené à constater que les actes concrets de persécution invoqués par les demandeurs paraissaient essentiellement émaner de personnes privées étrangères aux autorités publiques, à savoir plus particulièrement de certains milieux politiques, de même qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

En outre, s’il est vrai que les demandeurs mettent en cause également la disposition des forces de l’ordre à mener les investigations requises pour identifier les auteurs de l’attentat à la bombe commis à leur encontre, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution de la part d’une personne au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de personnes au service de l’Etat ou des collectivités locales.

Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demander d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carier : Qu’est qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants).

S’il est en l’espèce certes crédible que la motivation des personnes ayant commis les actes de persécutions allégués est susceptible d’avoir trait à l’activité politique de Monsieur …, les éléments du dossier ne permettent cependant de retenir ni que les demandeurs aient concrètement recherché la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, ni le défaut de volonté ou l’incapacité de ces dernières pour leur assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à leur encontre.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié des consorts … comme n’étant pas fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 12 juin 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15769
Date de la décision : 12/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-12;15769 ?

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