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05/06/2003 | LUXEMBOURG | N°16400

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juin 2003, 16400


Tribunal administratif N° 16400 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2003 Audience publique du 5 juin 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16400 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né l

e … à Dumnica/Podujevo (Kosovo/Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ...

Tribunal administratif N° 16400 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2003 Audience publique du 5 juin 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16400 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dumnica/Podujevo (Kosovo/Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mars 2003, notifiée par lettre recommandée le 7 avril 2003, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2003 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Nadine SCHEUREN, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 24 février 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le 11 mars 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 31 mars 2003, notifiée par lettre recommandée le 7 avril 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande a été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’elle ne répondrait à aucun des critères de fond tels que définis par l’article 1er, section A.2 de la Convention de Genève. Le ministre a en effet retenu que Monsieur … se limitait à exprimer un « manque d’avenir pour la jeunesse kosovare » sans faire état de persécutions pouvant entrer dans le cadre de la Convention de Genève.

Par requête déposée le 6 mai 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 31 mars 2003.

Etant donné que l’article 10 (3) de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation formulée à titre principal à travers la requête sous analyse.

Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré du fait que le ministre aurait utilisé des motifs flous et imprécis, qui ne tiendraient pas compte de la spécificité de sa situation réelle, en procédant à une analyse « très superficielle des faits », et sans analyser la situation concrète telle qu’elle se présenterait au demandeur lors d’un retour éventuel dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo.

Le délégué du gouvernement estime que la décision ministérielle litigieuse serait motivée tant en fait qu’en droit et qu’elle se référerait exactement aux explications fournies par le demandeur lors de son audition du 11 mars 2003.

Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision déférée du 31 mars 2003 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. Pour le surplus, il échet de relever que l’appréciation de la réalité des motifs figurant dans la décision ministérielle litigieuse relève de l’examen au fond de ladite décision.

Quant au fond, le demandeur soutient que la décision critiquée devrait être annulée en raison d’une appréciation manifestement erronée des faits.

Dans cet ordre d’idées, il expose être originaire du Kosovo et de confession musulmane et qu’il aurait dû fuir sa région d’origine en raison du fait qu’en sa qualité d’ancien soldat tant de l’armée de libération « UCK » que de l’armée instaurée après la guerre du Kosovo, intitulée « TMK », il devrait craindre des représailles tant de la part des autorités albanaises qui seraient susceptibles de le considérer comme opposant au régime des Albanais du fait d’avoir quitté l’armée, que par les Serbes qui le considéreraient comme leur ennemi du fait d’avoir été soldat dans les armées albanaises et qui auraient toujours une « attitude de vengeance et de règlement de compte » à l’encontre des Albanais et plus particulièrement à l’encontre des anciens soldats des armées albanaises. Il ajoute, d’une manière générale, qu’il n’aurait plus aucun avenir au Kosovo où la situation politique demeurerait très fragile, d’autant plus que la « communauté internationale » serait incapable de contrôler le territoire en vue d’y instaurer la paix.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement relève une contradiction entre les faits présentés par le demandeur lors de son audition du 11 mars 2003 et ceux figurant dans la requête introductive d’instance, en soutenant qu’à aucun moment, il n’aurait été question, au cours de l’audition en question, de craintes de persécution dans le chef du demandeur du fait de sa démission des armées albanaises et que le demandeur aurait exclusivement invoqué des motifs de convenance personnelle qui l’auraient amené à quitter son pays d’origine. Il conclut de ce fait au non fondé du recours en estimant que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur argumente que les craintes de persécution évoquées dans sa requête auraient pour le moins été contenues en germe dans ses déclarations faites au cours de l’audition par un agent du ministère de la Justice, dans la mesure où il aurait fait état, lors de celle-ci, de conflits entre différents groupes de personnes dont il aurait été témoin, en admettant toutefois qu’à cette occasion, il n’a pas expressément mentionné ses craintes de persécution, alors qu’en sa qualité « d’ancien militaire », il n’aurait pas « l’habitude » d’exprimer de telles craintes.

En matière de recours en annulation, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait ayant existé au jour où elle a été prise (trib. adm. 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en annulation, n° 12, p. 513 et autres références y citées).

En application de ce principe, il échet de ne vérifier la légalité de la décision critiquée que par rapport aux faits dont disposait le ministre au jour où la décision a été prise, en date du 31 mars 2003, à savoir ceux se dégageant du procès-verbal d’audition du 11 mars 2003, tel que signé le même jour par le demandeur, à l’exclusion de ceux, contenus dans la requête introductive d’instance, qui n’auraient pas été portés à la connaissance du ministre avant la prise de sa décision.

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement relève une contradiction entre les faits tels que déclarés à l’agent du ministère de la Justice au cours de l’audition du 11 mars 2003 et ceux figurant dans la requête introductive d’instance, étant donné que contrairement à ces derniers, le demandeur avait simplement indiqué audit agent avoir quitté l’armée, au motif que celle-ci ne l’aurait plus intéressé et qu’il a quitté son pays d’origine en raison du fait qu’il n’y aurait pas de travail et qu’il n’y aurait aucune perspective pour la jeunesse. Interrogé sur la question de savoir s’il avait subi des persécutions dans son pays d’origine, il a répondu par la négative. Enfin, il a déclaré ne pas connaître les conséquences d’un éventuel retour dans son pays d’origine, en soulignant qu’il n’aurait peur de personne, en rappelant simplement qu’il n’y aurait aucun avenir « là-bas ». Le tribunal prendra donc exclusivement en considération les faits ainsi détaillés, qui sont par ailleurs clairs et précis et ne nécessitent aucune interprétation ultérieure, en faisant abstraction des faits nouveaux présentés dans la requête introductive d’instance, par rapport auxquels le ministre ne pouvait pas prendre position, ceux-ci ne lui ayant été soumis.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 93 et autres références y citées ; trib.

adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 91 et autres références y citées).

Par ailleurs, il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte.

L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

En l’espèce, au regard des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile, tels qu’ils se dégagent du procès-verbal d’audition du 11 mars 2003, auxquels, comme il vient d’être relevé ci-avant, le tribunal peut seul avoir égard, force est de constater que le demandeur n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine. - En effet, il appert à l’examen du compte-rendu de son audition tel qu’il figure au dossier, que le demandeur a en substance exprimé des motifs de convenance personnelle ainsi que des motifs économiques l’ayant incité à quitter son pays d’origine, sans apporter le moindre élément concret et individuel de persécution au sens de la Convention de Genève et sans préciser en quoi sa situation particulière ait été telle qu’il pouvait avec raison craindre qu’il risquerait de faire l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il s’ensuit que la demande d’asile sous examen ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande d’asile du demandeur comme étant manifestement infondée et que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 5 juin 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16400
Date de la décision : 05/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-05;16400 ?

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