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04/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15607

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juin 2003, 15607


Tribunal administratif N° 15607 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 novembre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par la société anonyme … S.A., Luxembourg contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15607 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 novembre 2002 par Maître Pierre ELVINGER, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société a...

Tribunal administratif N° 15607 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 novembre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par la société anonyme … S.A., Luxembourg contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15607 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 novembre 2002 par Maître Pierre ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., …, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 13 août 2002 refusant de faire droit à la demande en autorisation d’établissement de la société … S.A. en vue de l’exercice de l’activité d’organisation de manifestations culturelles et commerciales ainsi que de l’achat et de la vente d’art et de collections sous la direction de Madame …, ainsi que, à titre suppléant, de Monsieur … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 février 2003 par Maître Pierre ELVINGER pour la société demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Rémi …, en remplacement de Maître Pierre ELVINGER, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 mars 2003.

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Suivant autorisation d’établissement référencée sous le numéro 88632 datant du 30 mars 1999, la société anonyme S.A. …, …, ci-après désignée par « la société … », est autorisée à exercer à Luxembourg en qualité de commerçante l’activité suivante : « Organisation de manifestations culturelles et commerciales. – Commerce de coupes et de trophées », ladite autorisation ayant été délivrée sous la condition qu’elle n’est valable que si la gérance est assurée par Monsieur ….

Par courrier datant du 5 juillet 2000, la société … s’est adressée au ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après appelé « le ministre », pour l’informer du remplacement de Monsieur …, démissionnaire, par Madame …. Par le même courrier la société soumit une deuxième demande en autorisation gouvernementale au ministre concernant Monsieur …, cadre de direction chez …, en spécifiant que « Monsieur … serait administrateur-délégué suppléant qu’en cas de besoin urgent (maladie longue durée ou autres …) ».

La commission prévue par l’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, désignée ci-après par « la loi d’établissement », émit en dates respectivement des 31 juillet 2000 et 18 avril 2001 un avis favorable quant à la qualification professionnelle et à l’honorabilité professionnelle des deux personnes concernées.

Par courrier datant du 23 avril 2001, le ministre informa la société … que sa demande a fait entre-temps l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 2 de la loi d’établissement et qu’il en résulte que Madame … remplit la condition légale de qualification professionnelle requise pour l’organisation de manifestations culturelles. Il précise cependant qu’avant de pouvoir réserver une suite à sa demande, elle doit produire une copie de la décision dûment enregistrée de son organe directeur compétent attribuant la fonction d’administrateur-délégué avec droit de co-signature obligatoire à Madame …, de même qu’une copie des statuts dûment enregistrés dont l’objet social doit être limité à l’activité accordée et, en ce qui concerne un commerce d’objets d’arts, d’antiquités, de coupes et de trophées, une attestation certifiant une activité de respectivement 1 an pour Madame … et de trois ans pour Monsieur … dans un commerce des branches visées conformément à la directive 68/364/CEE du 15 octobre 1968 (commerce de détail), document à délivrer en France soit par la Chambre du commerce et d’industrie du département pour les indépendants, soit par la direction départementale du travail et de l’emploi pour les salariés.

Par courrier datant du 27 juin 2001, le ministre informa la société … que le courrier prévisé du 23 avril 2001 avait été posté par erreur en date du 14 juin 2001 et qu’il est à considérer comme nul et non avenu, étant donné que la demande d’autorisation concernée avait été soumise au ministre de la Justice pour avis.

A la suite de deux courriers de rappel adressés par l’intermédiaire de son mandataire au ministre en dates respectivement des 20 décembre 2001 et 27 février 2002, la société … s’est vue refuser l’autorisation sollicitée dans les termes suivants par courrier du ministre datant du 13 août 2002 :

« Par la présente, j’ai l’honneur de vous informer que suite à l’avis des autorités judiciaires daté du 12 février 2002 votre demande a fait l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997.

Le résultat m’amène à vous informer que la commission y prévue a estimé à l’unanimité que Monsieur … ne remplit plus les garanties requises d’honorabilité professionnelle en raison de ses antécédents judiciaires, se ralliant ainsi dans ses conclusions aux renseignements défavorables fournis par les Parquets.

En ce qui concerne Madame …, la commission susvisée a estimé à l’unanimité qu’elle est à considérer comme personne interposée en raison de sa fonction de dirigeante dans une société française créée avec le sieur précité, pratique interdite par l’article 5 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988 ; en effet, ce texte stipule que « nul ne peut exercer une des activités ou professions visées par la présente loi sous le couvert d’une autre personne ou servir de personne interposée dans le but d’en éluder les dispositions ».

Comme je fais miennes ces prises de position, je suis au regret de ne pas pouvoir faire droit à votre requête dans l’état actuel du dossier en me basant sur les articles 3, alinéas 1er, 4 et 5 de la loi susmentionnée ».

Par requête déposée en date du 13 novembre 2002, la société … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 13 août 2002.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la société demanderesse relève d’abord que son actionnariat n’a été modifié ni avant, ni après le 18 mai 2000, date de la démission de Monsieur …, gérant de l’époque, de sorte qu’elle aurait du mal à percevoir les raisons ayant conduit le ministre à considérer Madame … comme étant la personne interposée de Monsieur …, alors que Monsieur … n’était pas considéré comme tel. Elle fait valoir ensuite que le mécanisme de l’interposition de personne serait une application de la théorie de la fraude à la loi et que les conditions tendant à établir l’interposition de personne ne seraient pas remplies en l’espèce, étant donné que ce raisonnement serait fondé, selon elle, sur la prémisse que Monsieur … ne présente pas les garanties d’honorabilité suffisante, de manière à avoir besoin de recourir à une personne interposée, mais que, Monsieur … n’ayant jamais été condamné pénalement et n’ayant jamais été failli, tel ne serait pas le cas en l’espèce à défaut de preuve contraire. Elle fait valoir en outre que la simulation ne se présume pas et que le ministre n’aurait dès lors pas pu la déduire du simple fait que Madame … exerce également la fonction de dirigeant dans une société française créée, d’après les termes du ministre, « avec » Monsieur …, voire de l’allégation d’antécédents judiciaires dans le chef de ce dernier, sans autre forme de précision à part une référence à des renseignements défavorables fournis par les Parquets pourtant ni détaillés, ni fournis au dossier.

Afin d’établir que Madame … exerce effectivement les fonctions d’administrateur-

délégué de la société …, cette dernière fait valoir que c’est bien cette personne qui signait les différents contrats de travail des employés de la société, qui a sélectionné et procédé aux entretiens d’embauche de ces différentes personnes et qui est l’interlocutrice de la société auprès de l’établissement bancaire concerné pour le fonctionnement et la gestion de son compte bancaire. Elle signale en outre que Madame … a présidé l’assemblée générale extraordinaire de la société du 29 septembre 2000 et que l’article 14 des statuts confère à l’administrateur-délégué le pouvoir d’engager la société en toutes circonstances par sa simple signature individuelle pour toute décision d’un import inférieur à un montant de 3.000.000.-

de francs luxembourgeois. La condition de la qualification professionnelle de Madame … n’ayant pas été autrement mise en question par le ministre, la société estime que le motif de refus basé sur un défaut d’honorabilité professionnelle dans son chef laisserait d’être fondé, étant donné qu’elle n’aurait fait l’objet d’aucune condamnation pénale, d’aucune faillite, d’aucune plainte et que la société paierait régulièrement ses cotisations sociales tout en ayant triplé ses effectifs.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement complète les motifs à la base de la décision déférée en faisant valoir que le dossier lui soumis par le ministère de la Justice et instruit par les parquets ferait état d’agissements et de circonstances plus qu’insolites justifiant un refus de l’autorisation d’établissement pour défaut d’honorabilité professionnelle de Monsieur … et de Madame …, et que cette dernière s’illustrerait en outre par un rôle manifeste de personne interposée pour permettre à Monsieur …, dont les antécédents seraient désormais connus des autorités luxembourgeois, de diriger les affaires de la société sous le couvert de l’autorisation sollicitée. Estimant qu’outre l’interposition de personne invoquée à l’appui de la décision litigieuse, l’honorabilité professionnelle de Madame … serait de toute façon également compromise en raison des agissements de cette dernière et de Monsieur … en France et au Grand-Duché de Luxembourg, le représentant étatique conclut que le recours laisserait d’être fondé.

A l’appui de ses arguments, il signale que les deux personnes concernées seraient connues plus que défavorablement en France par l’association nationale des victimes d’escroqueries, que Monsieur … aurait été mis en examen depuis le 19 mars 1996 et que Madame … aurait constitué un rouage important dans les sociétés impliquées. Il se réfère à cet égard à un procès-verbal de synthèse établi par la Gendarmerie nationale de Cannes en date du 28 septembre 1998, lequel fut réalisé dans le cadre d’une procédure sur commission rogatoire et qui décrirait de façon extrêmement précise et détaillée le fonctionnement du système pyramidal relevant de l’escroquerie mis en place par Monsieur … avec la complicité, sinon la participation de Madame …. Dans la mesure où Madame … aurait été l’une des responsables de la société anonyme « … S.A. », laquelle aurait organisé et effectué, toujours d’après le procès-verbal prévisé, la vente des collections philatéliques aux investisseurs et aurait ainsi fait office de « figure de proue de ce système d’escroquerie », le rôle actif par elle joué dans l’escroquerie dont question serait accablant.

Le délégué du Gouvernement signale en outre que Madame … apparaît comme dirigeante des sociétés « … … s. à r.l. » en France et de la société … à Luxembourg, étant entendu que la société luxembourgeoise et Madame … détiendraient l’intégralité des parts de la société française.

Le délégué du Gouvernement fait ensuite état du fait que le procès-verbal de l’assemble générale des actionnaires de la société française prévisée du 29 juin 2001 a entériné pour l’exercice 2000 une perte de plus de 223.000.- francs français, tandis que les bilans de la société … luxembourgeoise n’auraient pas été déposés en infraction avec le droit des sociétés et que seuls les bilans 1997 et 1998 auraient été déposés en renseignant par ailleurs des chiffres par lui qualifiés d’édifiants, alors qu’aucune activité n’y apparaîtrait, mais des dettes constituées par des frais de fonctionnement somptuaires et sans contrepartie à hauteur de plus de 55 millions de francs luxembourgeois. Faisant état en outre de dettes fiscales et sociales de l’ordre de 593.000.- francs pour le seul exercice 1998, le représentant étatique conclut à une violation des dispositions de l’article 2, alinéa 4 de la loi d’établissement pour soutenir que la violation afférente des obligations professionnelles et légales sinon la soustraction aux charges sociales et fiscales imposées par la profession ainsi mise à jour à travers les dettes fiscales et sociales visées, justifieraient à suffisance la décision de révoquer l’autorisation d’établissement de la société ….

Enfin, le délégué du Gouvernement précise, en ce qui concerne les antécédents de Monsieur …, que celui-ci aurait été le dirigeant d’une société anonyme « …» mise en liquidation judiciaire en 1984 et que la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg a prononcé dans cette affaire une interdiction de gérer à son encontre en 1986.

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse fait état d’un certain nombre d’inexactitudes du mémoire du délégué du Gouvernement en soulignant d’abord que les bilans de la société relatifs aux exercices 1999 et 2000 ont été déposés au registre de commerce et des sociétés le 21 juin 2002 et que ses conclusions relativement aux chiffres renseignés dans les comptes de la société relèveraient d’une analyse simpliste et d’affirmations non démontrées en ce que notamment les charges sociales se rapportant au mois de décembre sont réglés le mois suivant à la date fixée par l’administration, de sorte que concrètement ces charges sont comptabilisées à la fin décembre par la passation d’une écriture comptable en débitant le compte « charges » figurant au compte de résultat, mais que ce débit est équilibré par un compte dette figurant au passif du bilan de l’entreprise et que le mois suivant, lorsque la dette devient exigible, le compte de dette est annulé par son paiement.

Dans la mesure où ce mécanisme s’appliquerait également aux dettes fiscales et aux dettes à l’égard des fournisseurs, les conclusions tirées par le délégué du Gouvernement ne seraient pas justifiées.

La société demanderesse relève ensuite que les agissements prétendument délictueux relevés par le délégué du Gouvernement dans le chef de Madame … et de Monsieur … n’auraient d’abord pas été commis dans la société dans laquelle travaillait Madame … mais dans une autre société, en l’occurrence la société anonyme « … S.A. » et que ces agissements ont entre-temps fait l’objet d’une ordonnance de non-lieu rendue en faveur de Monsieur … en date du 8 juillet 2002, ceci à la suite du retrait d’une fausse plainte pour escroquerie laquelle aurait été orchestrée par la même personne ayant porté à la connaissance des autorités luxembourgeoises les agissements en question. Elle signale encore que l’affirmation de l’Etat suivant laquelle Monsieur … et Madame … seraient connus plus que défavorablement par l’Association Nationale des Victimes d’Escroqueries se trouverait catégoriquement démentie par les pièces versées au dossier, en l’occurrence une lettre adressée par la présidente de cette association en date du 12 février 2003 au Parquet près du tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

Il se dégage du libellé du courrier datant du 5 juillet 2000 adressé par la société … au ministre que sa demande en autorisation gouvernementale concerne à la fois Madame … et Monsieur …, ce dernier étant présenté comme devant suppléer, en cas de besoin, Madame … au niveau de la direction de la société, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a examiné la demande lui soumise dans le chef des deux postulants ainsi indiqués.

Concernant d’abord Monsieur …, la décision ministérielle est critiquée à raison du défaut d’honorabilité professionnelle retenu dans son chef.

Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours en annulation, d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ainsi que de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée.

En vertu des dispositions de l’article 3, alinéa 1er de la loi d’établissement « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles ». Au vœu de l’alinéa final du même article 3 « l’honorabilité s’apprécie sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ». Ainsi, toutes les circonstances révélées par l’enquête administrative et pouvant avoir une incidence sur la manière de l’exercice de la profession faisant l’objet de la demande d’autorisation peuvent être prises en compte par le ministre pour apprécier l’honorabilité dans le chef du demandeur en autorisation, étant entendu qu’elle s’analyse pour les personnes morales en les personnes de leurs représentants légaux.

Concernant plus particulièrement des faits pénalement répréhensibles et non contestés en fait quant à leur matérialité, il y a lieu de retenir que même en l’absence de condamnation pénale afférente, voire de poursuite pénale diligentée, ces faits peuvent le cas échéant entrer en considération dans le cadre de l’appréciation de l’honorabilité professionnelle d’un demandeur en autorisation d’établissement, sans que le seul constat de la matérialité de ces faits puisse pour autant suffire comme tel pour dénier l’honorabilité professionnelle au dirigeant de société, sous peine d’ériger en un automatisme l’application d’une sanction administrative grave de conséquences.

En l’espèce, le délégué du Gouvernement a précisé relativement aux antécédents judiciaires de Monsieur … invoqués à l’appui de la décision litigieuse que la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg, par jugement du 8 août 1996, a prononcé à son encontre une interdiction de gérer, ceci en sa qualité d’ancien PDG de la société anonyme « …», étant entendu que mention dudit jugement est faite dans les pièces versées au dossier administratif et plus particulièrement dans l’extrait du registre du commerce et des sociétés auprès du tribunal d’instance de Strasbourg.

Il se dégage encore du procès-verbal de synthèse établi par un officier de police judiciaire de la brigade de recherche de Cannes référencé sous le numéro 1810/95 et établi en date du 20 septembre 1998, que Monsieur …, dans le cadre de ses activités au sein de la société anonyme … relatives à l’achat et à la vente de blocs-feuillets de FRANCE et de MONACO, a indiqué des chiffres de tirage qui ne correspondent pas à la réalité des émissions en ce sens qu’ils sont, en ce qui concerne les exemples expressément énumérés dans ledit rapport, largement inférieurs aux tirages effectifs (p.ex. Coupe du monde de football (1978) :

une valeur indiquée de 1500 par rapport à une émission réelle de 10.000, Colette et Pagnol (petit) (1980) : une valeur indiquée de 1500 pour une réalité de 15.000, Jeux Olympiques de Calgary (1988) : une valeur indiquée de 3000 pour une réalité de 16.031, etc.) Monsieur … a reconnu aux termes dudit rapport avoir annoncé des tirages « au hasard » sous la précision que ces indications de tirage n’auraient aucune importance ; alors que ce qui compterait « c’est ce qui lui est vendu, ce qu’il a en stock et ce qu’il peut diffuser ».

Dans la mesure où les différences ainsi dégagées entre les tirages effectifs et ceux indiqués par Monsieur … ne sont pas contestées en cause et que l’incidence de l’indication d’un faible tirage sur l’argumentation de vente ne saurait être sérieusement mise en doute face notamment au constat non plus contesté en cause que les conseillers de la société anonyme … ont vanté à leurs clients la rareté du produit due au faible tirage de son émission, la seule explication y relativement fournie au dossier tenant à ce que lesdits tirages auraient été indiqués au hasard et qu’ils n’auraient aucune importance, laisse de convaincre le tribunal, ceci d’autant plus que les différences indiquées relèvent toutes d’une revue du chiffre d’d’émission effectif à la baisse, circonstance qui n’est pas de nature à sous-tendre l’argumentation d’indications relevant du hasard.

Dans la mesure où le dossier tel que soumis au tribunal, ensemble les explications fournies en cause, ne permet ni de dégager les circonstances ayant conduit à l’interdiction de gérer prononcée à l’encontre de Monsieur …, ni d’expliquer autrement les différences relevées au niveau des chiffres de tirage avancés par Monsieur … dans le cadre de son activité au sein de la société anonyme … par rapport à la réalité des émissions concernées, le ministre a valablement pu conclure à un défaut de présentation des garanties nécessaires d’honorabilité professionnelle dans le chef de Monsieur …. En effet, au-delà d’un certain nombre d’autres éléments avancés à l’appui de la décision litigieuse par rapport auxquels le tribunal peut se rallier aux développements de la demanderesse pour dire qu’ils ne sont pas établis en cause, les faits ci-avant relevés constituent à eux seuls des indices suffisants pour sous-tendre la conclusion ministérielle en ce sens qu’ils sont révélateurs d’une manière d’exercer une profession comparable par sa nature à celle faisant l’objet de la demande d’autorisation qui repose sur la diffusion de fausses informations aux consommateurs, de sorte que le ministre a valablement pu estimer que l’honorabilité professionnelle de Monsieur … s’en trouve ébranlée au point d’en justifier un défaut de garantie suffisante au sens de l’article 1er, alinéa 3 de la loi d’établissement.

Concernant ensuite Madame …, le ministre a motivé la décision litigieuse par la double considération qu’elle ne présenterait pas les garanties suffisantes d’honorabilité professionnelle au sens de l’article 1er, alinéa 3 de la loi d’établissement et que, plus particulièrement, elle servirait de personne interposée en ce sens que ce serait en fait Monsieur … qui dirigerait la société demanderesse.

Le ministre déduit le rôle de personne interposée ainsi allégué dans le chef de Madame … à la fois du fait qu’elle exerce la fonction de dirigeante dans une autre société, en l’occurrence la société française … … S.A., de celui d’avoir travaillé à l’époque dans une autre société française, en l’occurrence la société anonyme … créée par Monsieur … et ayant eu comme activité notamment la commercialisation des produits ci-avant visés de la société anonyme …, ceci dans le cadre de son activité de conseil en gestion de patrimoine.

Force est de relever d’abord que le simple fait d’exercer des fonctions dirigeantes dans plusieurs sociétés n’est pas en soi de nature à dénoter un défaut effectif d’exercer réellement ces fonctions, étant donné qu’il ne saurait être raisonnablement admis qu’une seule personne ne puisse, par essence, assurer la gestion effective de plusieurs sociétés, sous peine de méconnaître une réalité économique courante. Il s’ensuit que face aux contestations afférentes de la société demanderesse, ainsi qu’aux faits non contestés en cause par elle avancés tendant à illustrer le caractère effectif de l’exercice de ses fonctions par Madame …, le reproche d’agir en tant que personne interposée retenu à son encontre ne saurait être considéré comme établi en fait à partir du seul constat de sa qualité de gérante de la société … … S.A.

Le délégué du Gouvernement fait état en outre d’une prétendue complicité, sinon participation de Madame … dans les agissements reprochés à Monsieur … tels que décrits dans le procès-verbal prévisé établi par la gendarmerie nationale de Cannes en date du 28 septembre 1998, en faisant valoir qu’en sa qualité de responsable de la société anonyme … S.A. elle aurait joué un rôle actif dans l’escroquerie y mise à jour.

Force est cependant de constater que même au-delà du fait que les agissements passés sous revue dans ledit procès-verbal ont entre-temps fait l’objet d’une ordonnance de non-lieu rendue en faveur de Monsieur … en date du 8 juillet 2002 à la suite du retrait de la plainte pour escroquerie qui en était à l’origine, ledit procès-verbal ne contient aucun élément concret permettant de dégager une implication active de Madame … dans les agissements y décrits, étant donné que ledit rapport ne fait pas état d’un quelconque rôle par elle joué dans le cadre des activités de la société anonyme … et qu’il ne saurait être déduit automatiquement de la qualité de chef d’agence de Madame … dans le cadre des activités de la société anonyme … une complicité par rapport aux agissements commis dans une autre société dont elle a certes commercialisé les produits, étant donné qu’aucun indice probant de nature à sous-tendre pareille conclusion ne se dégage du dossier tel que présenté en cause.

La complicité ne se présumant point, force est dès lors de constater que les faits retenus par le ministre à la base de la décision litigieuse ne sont pas établis à suffisance en cause, sans que cette conclusion puisse être énervée par les considérations avancées par le délégué du Gouvernement relatives aux comptes annules de la société demanderesse. En effet, face aux explications fournies en cause par la société demanderesse, les reproches afférents se trouvent largement ébranlés en fait, de manière à ne pas pouvoir utilement sous-tendre la décision litigieuse. La même conclusion s’impose relativement au courrier adressé par Madame … au ministre en date du 10 avril 2001 dans le cadre duquel elle confirme « que l’ensemble des achats et des ventes d’objets d’art se fait sous le contrôle et l’autorité de Monsieur … », étant donné que le fait pour un dirigeant de société de s’en remettre aux services d’un expert en la matière pour surveiller et contrôler les achats et reventes d’objets d’art traduit une décision à laquelle on peut raisonnablement s’attendre de la part d’une société d’art qui se doit d’entourer l’exercice de ses activités de certaines garanties dont notamment le recours à des experts, étant entendu que la fonction d’expert ne peut raisonnablement être attachée en règle générale à celle exercée en principe par le dirigeant de la société auquel incombent des tâches d’ordre administratif et commercial plus général.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’à défaut d’éléments tangibles permettant de sous-tendre utilement la conclusion ministérielle relative à un défaut d’honorabilité professionnelle, voire à l’interposition de personne alléguée dans le chef de Madame …, la décision litigieuse encourt l’annulation partielle en ce qu’elle a refusé de faire droit à la demande présentée par la société demanderesse d’exercer son activité à Luxembourg sous la direction de Madame ….

Eu égard à l’issue du litige il y a lieu de faire masse des frais et de les imposer à raison d’une moitié à l’Etat, l’autre moitié restant à charge de la demanderesse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit partiellement justifié ;

partant annule la décision litigieuse pour autant qu’elle a refusé l’autorisation d’établissement à la société demanderesse sous la direction de Madame … et renvoie le dossier dans cette mesure au ministre ;

dit le recours non fondé pour le surplus ;

fait masse des frais et les impose à raison d’une moitié à l’Etat, l’autre moitié restant à charge de la demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juin 2003 par :

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 9


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15607
Date de la décision : 04/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-04;15607 ?

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