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04/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15532

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juin 2003, 15532


Numéro 15532 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15532 du rôle, déposée le 31 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Candice WISER, avocat à la Cour, inscrite au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité alb...

Numéro 15532 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15532 du rôle, déposée le 31 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Candice WISER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 mai 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicite de rejet de son recours gracieux du 2 juillet 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Candice WISER et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2003.

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Le 15 juin 1999, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 16 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 15 mai 2002, notifiée en date du 3 juin suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 2 juillet 2002 n’ayant pas fait l’objet d’une décision du ministre de la Justice, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles expresse du 15 mai 2002 et implicite de rejet eu égard au silence observé durant plus de trois mois par requête déposée le 31 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’en 1997 un cousin à lui aurait acheté à Bérat un terrain à construire en vue d’y ériger un hôtel, que ce cousin aurait été abattu dans un café à Bérat peu de temps après cette acquisition par des individus opérant à visage découvert, appartenant à la minorité grecque et qui se seraient ainsi vengés de l’achat d’un terrain auquel ils étaient très intéressés. Le demandeur souligne que ce meurtre aurait été perpétré alors que régnaient une crise politique suite à l’effondrement du système des pyramides financières et un climat d’insécurité générale et que plusieurs autres membres de sa famille auraient reçu des menaces et se seraient enfui en août 1997 d’abord vers la Turquie et ensuite en Grèce. Alors même qu’il aurait décidé de rester à Bérat malgré les menaces dont il aurait également été la victime et se serait enfermé chez lui pour ensuite reprendre au mois de janvier 1998 son travail auprès d’une société de construction, le demandeur affirme avoir fait l’objet de nouvelles menaces de plus en plus fortes, de manière qu’il se serait résolu à quitter l’Albanie en direction du Grand-Duché où réside déjà sa sœur.

Le demandeur précise, quant au reproche du ministre lui fait à travers la décision du 15 mai 2002 de ne pas avoir indiqué le nom de la famille qui le menaçait, qu’il « ne désire pas communiquer le nom des individus qui ont assassiné son cousin car il craint encore aujourd’hui qu’en communiquant le nom de cette famille aux autorités, ses parents, qui sont restés en Albanie, ne subissent le même sort que son cousin ». Le demandeur conclut que ces faits seraient à eux seuls suffisants pour établir une crainte légitime de persécution dans son chef et il estime que la situation actuelle en Albanie ne lui permettrait pas de bénéficier d’une protection adéquate de la part des autorités policières et judiciaires, étant donné d’abord que lors du meurtre par lui invoqué la police se serait limitée à interroger le frère de son cousin sur l’identité du meurtrier, qui serait toujours en liberté, et ensuite que lesdites autorités seraient « la proie de la corruption et du crime organisé ».

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 16 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part d’une famille grecque en raison de l’achat par son cousin d’un certain terrain à bâtir. Il estime néanmoins que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de lui accorder une protection adéquate contre des menaces et actes de la part de ladite famille.

Force est dès lors de constater que le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, le demandeur a simplement affirmé l’incapacité, encore à l’heure actuelle, des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate sans pour autant établir, voire alléguer une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. Il en résulte que le demandeur n’a pas dûment établi l’exécution de démarches afin d’obtenir la protection des autorités en place, lesquelles constituent cependant, ensemble avec un refus de protection des autorités pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève, une prémisse nécessaire pour la reconnaissance de l’existence d’une crainte légitime de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juin 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15532
Date de la décision : 04/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-04;15532 ?

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