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04/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15489

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juin 2003, 15489


Numéro 15489 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15489 du rôle, déposée le 24 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pa

scale HANSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch...

Numéro 15489 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15489 du rôle, déposée le 24 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 juin 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Paul URBANY, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 février 2003.

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Le 16 novembre 2001, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 3 mai 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 14 juin 2002, notifiée en date du 24 juillet suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 19 août 2002 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 28 août 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle initiale du 14 juin 2002 par requête déposée le 24 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire du Kosovo et appartenant à la minorité des Musulmans slaves, reproche au ministre de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur sa situation spécifique qui serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef. Il expose que, durant la guerre au Kosovo, il se serait enfui à Rozaje avec sa famille, que, lors de leur retour, ils auraient dû constater que leur maison était occupée par des Albanais qui revendiquaient la propriété de l’immeuble et de leurs machines agricoles et que son père et deux occupants auraient été tués lors d’un combat deux semaines après leur retour. Le demandeur ajoute que les occupants seraient revenus quelques jours après pour prendre revanche et tuer les deux fils du père …, dont le demandeur lui-même, mais qu’ils auraient trouvé refuge chez un voisin. Le demandeur conclut que sa vie serait toujours menacée en cas de retour au Kosovo, vu que sa maison natale serait toujours occupée et qu’il risquerait d’être tué par pure vengeance par les occupants de cette dernière. Le demandeur fait valoir que sa famille aurait en vain tenté de trouver de l’aide auprès de la commune et de la KFOR, de manière qu’un défaut de protection adéquate de victimes d’actes motivés par une des causes visées par la Convention de Genève se trouverait établi en l’espèce. Il relève encore que sa mère serait d’origine serbo-croate et ne parlerait pas la langue albanaise, entraînant que lui-même serait traité comme paria tant au Kosovo au vu de ses origines mixtes qu’en Serbie au regard de son nom de famille albanais. Dans la mesure où sa vie serait ainsi menacée et où une existence paisible ne lui serait pas garantie en cas de retour même à l’heure actuelle, le demandeur conclut à la réformation de la décision ministérielle déférée.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 3 mai 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part de membres de la communauté albanaise en raison de la tentative de la famille de reprendre possession de la maison d’habitation familiale et de la mise à mort de deux des occupants albanais. Il estime néanmoins que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de lui accorder une protection adéquate contre des actes de revanche de la part desdits occupants de leur maison.

Force est dès lors de constater que le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, le demandeur a simplement affirmé dans le cadre de ses recours gracieux et contentieux que sa famille aurait en vain tenté de trouver de l’aide auprès de la commune et de la KFOR sans pour autant établir, voire alléguer une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. Il en résulte qu’à défaut de toute précision relativement au type de démarches entreprises, voire aux réactions concrètement opposées à ces démarches, le demandeur n’a pas mis le tribunal en mesure de conclure utilement à l’existence d’un quelconque défaut caractérisé de protection à son égard.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juin 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15489
Date de la décision : 04/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-04;15489 ?

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