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04/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15452

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juin 2003, 15452


Numéro 15452 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par les époux et , … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15452 du rôle, déposée le 11 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel COLLIGNON, avocat à la Cour, assisté de

Maître Régis SANTINI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats ...

Numéro 15452 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par les époux et , … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15452 du rôle, déposée le 11 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel COLLIGNON, avocat à la Cour, assisté de Maître Régis SANTINI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur , né le …, et de son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fille mineure , tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 juin 2002, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 13 septembre 2002, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Régis SANTINI et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2003.

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Le 20 août 2001, Monsieur et son épouse, Madame , préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Monsieur fut entendu en dates des 8 et 11 janvier et 1er mars 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, l’audition correspondante de Madame ayant eu lieu le 11 janvier 2002.

Le ministre de la Justice informa les époux - par décision du 14 juin 2002, leur notifiée le 25 juin 2002, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les époux - à travers un courrier de leur mandataire du 23 juillet 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 13 septembre 2002, ils ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles de rejet des 14 juin et 13 septembre 2002 par requête déposée le 11 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs critiquent en premier lieu que le ministre n’aurait pas respecté les dispositions de l’article 10 (1) de la loi prévisée du 3 avril 1996 en ce qu’il aurait pris sa décision de rejet initiale en dehors du délai de deux mois inscrit dans ledit article 10 (1), de sorte que cette décision et toute la procédure y relative devraient être déclarées nulles comme tardives.

C’est à juste titre que le délégué du Gouvernement a conclu au rejet de ce moyen, étant donné que la prescription invoquée ne vise que la prise des décisions sur base de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 et non pas celles prises dans le cadre de l’article 11 de ladite loi - pour lesquelles aucun délai dans lequel le ministre doit statuer n’est prévu - et qu’il appert à la lecture de la décision critiquée que le ministre n’a pas agi sur base de l’article 9, mais de l’article 11 de la loi.

Quant au fond de leur demande d’asile, les demandeurs, d’origine bosniaque et ayant vécu au Kosovo, soutiennent que la conjoncture politique en Yougoslavie resterait très instable au vu de la coexistence forcée sur le même territoire de populations d’origines ethniques différentes « qui n’ont eu de cesse de vouloir en découdre au cours de la dernière décennie » et ne présenterait aucune garantie d’une paix définitive. Les demandeurs renvoient au rapport du Haut Commissariat pour les Réfugiés du mois d’avril 2002 concernant la situation des minorités ethniques au Kosovo qui conclurait que les Bosniaques du Kosovo seraient contraints de vivre en enclaves et que leur liberté de mouvement et leur accès aux services sociaux seraient réduits. Quant à leur situation particulière, les demandeurs exposent que le père de Madame aurait été intentionnellement électrocuté par un Albanais sur un marché, que l’un des cousins de Monsieur aurait été exécuté par des terroristes albanais et que la cousine de ce dernier, Mademoiselle … bénéficierait d’ores et déjà du statut de réfugié au Luxembourg. Dans la mesure où leur propre situation et celle de Mademoiselle … seraient tout à fait similaires, ils devraient être admis au même statut, de sorte que les décisions ministérielles déférées devraient encourir la réformation en ce sens.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les demandeurs font état de leur crainte de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité des Bosniaques. Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bosniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée datant de janvier 2003 du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bosniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Bosniaques au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Quant aux éléments particuliers invoqués par les demandeurs en relation avec le sort subi par des membres de leur famille, il y a lieu de rappeler que des faits non personnels mais vécus par d’autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d’asile établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. A défaut par le demandeur d’asile d’avoir concrètement étayé un lien entre le traitement de membres de sa famille et d’éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution (trib. adm. 21 mars 2001, n° 12965, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 63). Dans la mesure où les demandeurs sont restés en défaut d’étayer concrètement les circonstances des faits commis contre les membres de leurs familles et les circonstances particulières fondant le risque dans leur chef de devenir victimes d’actes similaires, ces éléments ne peuvent être considérés comme fondant une crainte justifiée de persécution des demandeurs.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juin 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15452
Date de la décision : 04/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-04;15452 ?

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