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04/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15374

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juin 2003, 15374


Numéro 15374 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 septembre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15374 du rôle, déposée le 19 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Jacques LORANG, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de...

Numéro 15374 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 septembre 2002 Audience publique du 4 juin 2003 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15374 du rôle, déposée le 19 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Jacques LORANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité yougoslave, et de Madame …, née le …, de nationalité croate, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 juillet 2002 portant rejet de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité d’indépendants;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Jacques LORANG et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 février 2003.

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Suivant acte notarié du 24 juillet 2001, Monsieur … et Madame …, préqualifiés, constituèrent la société anonyme « … S.A. » ayant son siège social à Luxembourg.

L’assemblée générale désigna comme membres du premier conseil d’administration Monsieur …, Madame … et la société anonyme … S.A.. et nomma Monsieur … administrateur-délégué.

En date du 1er octobre 2001, la société … S.A. conclut un contrat de travail à durée indéterminée à la fois avec Monsieur …, engagé en qualité de directeur, et Madame …, engagée en tant que secrétaire.

Le 23 novembre 2001, le ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement accusa réception de la demande d’autorisation d’établissement de la société … S.A. sous la gérance de Monsieur ….

Le 1er mars 2002, le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement délivra à Monsieur … une autorisation d’établissement pour les activités d’agence d’affaires, de prestations de services informatiques, de commerce d’équipements du bureau et d’ordinateurs, ainsi que de moyens de transport.

Une assemblée générale de la société … S.A. tenue le 13 mars 2003 décida notamment de remplacer Monsieur … en tant qu’administrateur délégué par Monsieur … et de nommer Monsieur … simple administrateur de la société.

Par courrier du 17 juillet 2003, le ministre de la Justice rejeta la demande de Monsieur … et de Madame … en obtention d’une autorisation de séjour en qualité d’indépendant aux motifs suivants :

« J’ai le regret de vous informer que je ne peux réserver une suite favorable à vos demandes en obtention d’une autorisation de séjour en qualité d’indépendant sur le territoire luxembourgeois.

Je me dois en effet de constater que vous ne remplissez pas une des conditions essentielles requises pour entrer dans le bénéfice d’une telle autorisation, à savoir celle d’être titulaire, en nom propre, pour le compte de la société, d’une autorisation d’établissement.

Or, une demande en vue d’une autorisation d’établissement n’a jamais été introduite par vos soins auprès du ministère des Classes Moyennes, celui-ci disposant seulement d’une demande de la part de Monsieur ….

En conséquence, vous êtes invités à quitter le pays dans les meilleurs délais. A défaut de ce faire, vous serez rapatriés de force ».

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 17 juillet 2002, Monsieur … et Madame … ont fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation par requête déposée le 19 septembre 2002.

Encore que le demandeur entend exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l'obligation d'examiner en premier lieu la possibilité d'exercer un recours au fond en la matière, l’existence d'une telle possibilité rendant irrecevable l'exercice d'un recours en annulation contre la même décision.

Dans la mesure où ni la loi prévisée du 28 mars 1972, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Le recours principal en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs renvoient à la demande d’autorisation d’établissement déposée le 23 novembre 2001 par la société … S.A. sous la gérance de Monsieur …, laquelle n’aurait pas encore fait l’objet d’une décision ministérielle à ce jour.

Ils font valoir que Madame … serait titulaire d’un contrat de travail et que son cas « est différent en droit et en fait de celui de Monsieur …, bien qu’il ait été apparemment implicitement traité dans la décision de refus qui a été notifiée ».

Quant à la situation de Monsieur …, les demandeurs se prévalent du contrat de travail par lui signé avec la société … S.A. le 1er octobre 2001 et de l’autorisation d’établissement délivrée le 1er mars 2002 à cette dernière sous la direction de Monsieur …. Ils soutiennent que la circonstance que le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement n’a pas encore pris position face à la demande d’autorisation d’établissement de la société … S.A. sous la gérance de Monsieur … ne saurait justifier une décision négative du ministre de la Justice quant à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour, de manière que la décision litigieuse devrait être qualifiée de prématurée.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’il existerait une seule base légale régissant l’entrée et le séjour des étrangers, à savoir la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, laquelle s’appliquerait à tout étranger qui désire séjourner au pays.

Sur pied du constat que Monsieur … n’est pas titulaire d’un permis de travail l’autorisant à occuper un emploi salarié au pays, il fait valoir que le ministre aurait valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée en raison du défaut de moyens d’existence personnels suffisants conformément à l’article 2 de ladite loi du 28 mars 1972, la preuve d’autres moyens de subsistance n’ayant pas non plus été rapportée en l’espèce.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : – qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, 2. Autorisations de séjour – Expulsions, n° 121 et autres références y citées, p.149). Le ministre dispose d'un pouvoir d’appréciation dans chaque espèce pour déterminer si la condition de disposer de moyens personnels suffisants est remplie et si elle justifie l'octroi ou le refus de l'entrée et du séjour au Grand-Duché de Luxembourg, étant entendu que ses décisions sont susceptibles d’être soumises au juge administratif dans le cadre d’un recours en annulation (cf. Cour adm. 12 novembre 2002, n° 15102C, non encore publié).

En outre, la seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l'intéressé d'assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante; il faut encore que les revenus soient légalement perçus (cf. trib. adm. 15 avril 1998, n° 10376 du rôle, Pas. adm 2002, v° Etrangers, n° 125). Ne remplissent pas cette condition les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi salarié alors qu'il n'est pas en possession d'un permis de travail et qu'il n'est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi (cf. trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508 du rôle, Pas. adm 2002, v° Etrangers, n° 125 et autres références y citées).

Enfin, il y a lieu de préciser que la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise (trib. adm. 23 décembre 1998, n° 10386, confirmé par Cour adm. 20 mai 1999, n° 11101C, Pas. adm. 2002, v° Recours en annulation, n° 9);

En l’espèce, il résulte des éléments du dossier qu’à la date de la décision ministérielle litigieuse, Monsieur … n’était plus administrateur-délégué de la société … S.A. depuis le 13 mars 2002, mais seulement administrateur et qu’il était en plus engagé par cette dernière en tant que salarié en qualité de directeur depuis le 1er octobre 2001. Il ne peut partant pas être considéré comme ayant occupé à cette date une fonction indépendante à plein temps auprès de cette société, mais il doit plutôt être considéré comme ayant assumé une occupation salariée en son sein. Par voie de conséquence, à défaut de justification par Monsieur … de l’exercice effectif d’une fonction indépendante pour la société … S.A. ou de l’obtention d’un permis de travail pour son poste salarié de directeur au sein de cette même société, le ministre de la Justice a valablement pu considérer qu’il n’avait pas rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels d’existence légalement perçus.

Cette conclusion ne se trouve pas ébranlée par la circonstance que le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement n’avait pas encore statué à la date du 17 juillet 2001 sur la demande d’autorisation d’établissement de la société … S.A. sous la gérance de Monsieur …, étant donné que ce défaut de décision peut certes être considéré comme décision de refus implicite et contesté par les voies de recours ouvertes à son encontre, mais n’oblige pas le ministre de la Justice à surseoir à statuer sur la demande en obtention d’une autorisation de séjour lui soumise, laquelle doit faire l’objet d’une appréciation autonome fondée sur un corps de législation différent.

Quant à la situation de Madame …, force est de constater qu’elle ne se prévaut d’aucune fonction indépendante au sein de la société … S.A., mais seulement d’un contrat de travail conclu le 1er octobre 2001 avec cette société. Or, à défaut de permis de travail versé en cause autorisant Madame … à occuper légalement ce poste de travail salarié, celle-ci ne saurait être considéré comme ayant disposé à la date de la décision ministérielle déférée de moyens d’existence personnels légalement perçus.

Il s’ensuit que les demandeurs sont restés en défaut d’établir l’occupation d’une fonction indépendante au sein de la société … S.A. ou l’existence de permis de travail couvrant leurs emplois salariés auprès de la même société, de manière que c’est à juste titre que le ministre leur a refusé l’octroi d’une autorisation de séjour et que le recours sous analyse laisse d’être fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, reçoit le recours principal en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juin 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15374
Date de la décision : 04/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-04;15374 ?

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