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02/06/2003 | LUXEMBOURG | N°16367

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juin 2003, 16367


Tribunal administratif N° 16367 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2003 Audience publique du 2 juin 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16367 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à L

uxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Vrsevo (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de Madame ...

Tribunal administratif N° 16367 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2003 Audience publique du 2 juin 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16367 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Vrsevo (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de Madame …, née le … à Rozaje (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 février 2003, notifiée par lettre recommandée le même jour, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 31 mars 2003, suite à un recours gracieux des demandeurs du 21 mars 2003;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Frank WIES, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de sa fille … … et Madame …, épouse …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs … …, introduisirent respectivement les 30 décembre 2002 et 4 février 2003 auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … et Madame …, épouse … furent entendus respectivement les mêmes jours par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus respectivement en dates des 31 janvier et 17 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Le ministre de la Justice les informa, par lettre du 21 février 2003, notifiée par lettre recommandée le même jour, que leurs demandes ont été déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, aux motifs suivants :

« Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez simple membre adhérant du SDA. Vous précisez ne jamais avoir participé à des réunions ou des manifestations. Le 25 décembre 2002, en attendant le bus pour aller au Monténégro, vous auriez été agressé, vous ne savez pas par qui et pourquoi. On vous aurait jeté une pierre sur la tête. On vous aurait menacé en serbe de ne plus vouloir vous voir au Kosovo. Votre maison aurait été braquée. Vous n’auriez pas été en sécurité.

Madame, il résulte de vos déclarations que vous seriez tout le temps maltraités.

On aurait tiré sur votre maison, mais vous ne savez pas quand et qui aurait tiré sur votre maison. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir subi de persécutions.

Selon l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996, [dispose que] « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

Force est de constater que les craintes de persécution que vous invoquez se limitent au seul Kosovo. Or, il résulte très clairement de votre dossier que vous étiez en mesure de vous installer définitivement au Monténégro et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne. En effet, vous êtes tous les deux originaires du Monténégro et vous invoquez vous même avoir été pendant 3 ans à Berane au Monténégro et d’y avoir travaillé. Trois de vos enfants sont également nés au Monténégro. Il résulte des auditions que cette partie du territoire vous était parfaitement accessible. Le fait que vous n’auriez pas de revenu et des enfants à charge ne signifie que vous n’auriez été en mesure de trouver une protection efficace au Monténégro. Vos demandes sont à considérer comme abusives.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 21 mars 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 31 mars 2003.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, ont fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 21 février et 31 mars 2003.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoyant expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le recours, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les consorts … soutiennent qu’ils appartiendraient à la minorité des bochniaques, que bien qu’ils seraient nés au Monténégro, ils auraient habité au Kosovo pendant plus de trente ans et que notamment deux de leurs enfants y seraient nés, qu’au moment de l’éclatement du conflit armé au Kosovo, en 1998, ils se seraient réfugiés au Monténégro où ils seraient restés, en qualité de réfugiés, jusqu’à l’année 2000, qu’à leur retour au Kosovo, et plus particulièrement dans le village de Vitomirica, ils se seraient heurtés à une hostilité ouverte de la part de la population majoritaire des Albanais qui les auraient considéré comme indésirables, qu’ils auraient été victimes de la part de certains membres de la population albanaise de discriminations et de persécutions et que notamment des coups de feu auraient été tirés sur leur maison et que d’une manière générale, les membres de leur famille auraient été injuriés et harcelés « de manière à leur faire comprendre [qu’ils devraient] quitter le Kosovo ». Ils ajoutent dans ce contexte que le départ de leur pays d’origine aurait en fin de compte été motivé par une agression dont Monsieur … aurait fait l’objet en date du 25 décembre 2002, à la sortie du bureau local du parti SDA, dont il serait membre, et où il aurait tenté de chercher de l’aide, à la suite des coups de feu tirés sur leur maison, au cours de laquelle il aurait été frappé à l’aide d’un bâton de fer et qu’il aurait subi des menaces de mort.

Ils reprochent plus particulièrement au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation manifeste des faits sinon une violation de la loi, en ce qu’il a rejeté leur demande d’asile comme étant manifestement infondée, au motif qu’ils pourraient profiter d’une possibilité de fuite interne, étant entendu que leur crainte de persécution se limiterait au seul territoire du Kosovo, en soutenant que les faits justifiant leurs craintes de persécution, que le ministre ne contesterait pas, seraient survenus après leur retour au Kosovo, en provenance du Monténégro où ils auraient résidé, en qualité de réfugiés, au cours des années 1998 à 2000, que la possibilité de fuite interne ne devrait s’apprécier que par rapport au seul territoire du Kosovo, qui ne saurait « être assimilé à ceux de la Serbie ou du Monténégro » et qu’il n’existerait pas d’endroit sur le territoire de leur pays d’origine qui leur serait raisonnablement accessible et où ils pourraient séjourner tout en bénéficiant d’une protection efficace. Ils ajoutent encore dans ce contexte que les membres de la communauté ethnique des bochniaques vivraient au Kosovo dans des communautés « recluses respectivement des enclaves » et qu’ils ne bénéficieraient que d’une liberté de mouvement très réduite en dehors de ces zones.

Le délégué du gouvernement relève que les persécutions et risques de persécutions dont les demandeurs font état sont géographiquement limités à la région du Kosovo et qu’ils auraient pu profiter d’une possibilité de fuite interne ainsi que d’une protection efficace au Monténégro où ils ont vécu pendant près de trois ans et où plusieurs de leurs enfants sont nés, au vu notamment du fait qu’ils avaient déjà pu trouver une protection au Monténégro dans le passé. Il soutient pour le surplus que le Monténégro leur aurait été raisonnablement accessible et qu’il s’agirait d’une région qui devrait leur être politiquement et socialement acceptable.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

Il convient encore de relever que la possibilité de rejet d’une demande d’asile comme étant manifestement infondée, telle que prévue par l’article 4 du règlement grand-

ducal précité du 22 avril 1996, lorsque le demandeur d’asile peut trouver refuge à l’intérieur de son pays de provenance, est subordonnée au double constat qu’il existe un endroit sur le territoire du même Etat d’origine qui est raisonnablement accessible au demandeur d’asile et que celui-ci pourrait y séjourner tout en bénéficiant d’une protection efficace, de sorte que le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation l’appelant à examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base des décisions attaquées et à vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à les motiver légalement (Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C, Pas. adm. 2002, v° Recours en annulation, n° 8, p. 511 et autres références y citées), doit vérifier dans le cas sous examen s’il y a lieu d’admettre à partir des éléments du dossier lui soumis que les demandeurs disposaient effectivement d’un accès raisonnable à une autre partie du territoire yougoslave au moment de la prise des décisions déférées et qu’ils pouvaient y bénéficier d’une protection efficace.

Or, en l’espèce, force est de constater qu’il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal que les demandeurs pouvaient concrètement et raisonnablement bénéficier d’une telle possibilité de fuite interne au Monténégro et, plus particulièrement, à Berane, où ils ont vécu au cours des années 1998, 1999 et 2000 et où, d’après leurs propres déclarations, ils ont pu profiter de mesures de protection en leur qualité de réfugiés et trouver un emploi, alors même qu’il est vrai que celui-ci n’était pas régulier, étant relevé pour le surplus que les demandeurs n’ont pas fait état d’un défaut de protection adéquat de la part des autorités chargées de l’ordre et de la sécurité publics au Monténégro. Il y a encore lieu d’ajouter dans ce contexte que contrairement aux allégations des demandeurs suivant lesquelles la possibilité de fuite interne devrait être analysée exclusivement par rapport au territoire du Kosovo, tel n’est pas le cas, étant donné que tant le Kosovo que le Monténégro appartiennent au même Etat, à savoir celui de Serbie et Monténégro et que partant la possibilité de fuite interne doit être analysée par rapport à l’intégralité du territoire de cet Etat et non seulement par rapport à une région déterminée de celui-ci, de sorte que ce moyen est en tout état de cause à rejeter. Il échet enfin de relever dans ce contexte que le simple fait qu’à l’heure actuelle le Kosovo soit administré par une organisation internationale n’a pas pour effet de considérer cette région comme un Etat indépendant de celui de Serbie et Monténégro.

Il suit des éléments qui précèdent que le ministre de la Justice a valablement pu se fonder sur l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 pour rejeter la demande d’asile des demandeurs comme étant manifestement infondée, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare cependant non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 2 juin 2003 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16367
Date de la décision : 02/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-02;16367 ?

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