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02/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15795

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juin 2003, 15795


Tribunal administratif Numéro 15795 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 décembre 2002 Audience publique du 2 juin 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15795 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2002 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Guri Kuq (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de

nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décis...

Tribunal administratif Numéro 15795 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 décembre 2002 Audience publique du 2 juin 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15795 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2002 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Guri Kuq (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 10 septembre 2002, notifiée le 8 octobre 2002, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 18 novembre 2002 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

Le 13 août 2002, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 20 août 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 10 septembre 2002, notifiée le 8 octobre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile du Kosovo un vendredi pour venir jusqu’au Luxembourg. Vous ignorez tout de votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 13 août 2002.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire ; vous auriez simplement été convoqué au recrutement préliminaire, mais vous ne vous y seriez pas rendu. Par la suite, la guerre du Kosovo aurait débuté et vous n’auriez plus été convoqué.

Vous expliquez que votre maison aurait été détruite pendant la guerre, sans que vous sachiez si c’est par des Serbes ou par des Albanais.

Pendant la guerre, vous auriez été incarcéré dans une prison serbe, mais vous dites ignorer pour quelles raisons. Vous prétendez que, dans un premier temps, les Serbes auraient dit vouloir vous protéger des Albanais et que, ensuite, il vous auraient reproché d’être vous-

même albanais. Vous auriez été battu en prison. Maintenant, vous dites craindre des représailles des Serbes et des Albanais. Les Albanais penseraient que vous avez collaboré avec les Serbes car vous avez été libéré de prison. De plus, vous auriez entendu dire que des hommes masqués iraient de maison en maison pour enlever et tuer leurs occupants.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique, mais auriez participé à deux manifestations pour le parti LDK.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que vos assertions, pour autant qu’elles puissent être considérées comme crédibles, prouvent surtout un sentiment général d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. Quand aux hommes masqués que vous craignez, ils ne sont pas des agents de persécution au sens de la prédite Convention.

De toutes façons, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition à majorité albanaise.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 8 novembre 2002 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 18 novembre 2002.

Le 23 décembre 2002, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 10 septembre et 18 novembre 2002.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire du Kosovo et, plus particulièrement de la ville de Guri Kup, qu’il appartiendrait à la minorité « bochniaque » du Kosovo, qu’il aurait été emprisonné, sans raison, par les Serbes et « libéré par la Croix Rouge » et pris en charge par la KFOR. Sur ce, il expose avoir quitté son pays d’origine en raison de l’hostilité des Albanais à son égard, étant donné qu’on lui reprocherait d’avoir collaboré avec les Serbes au vu de sa libération. Il ajoute encore que les autorités actuellement au pouvoir ne seraient pas en mesure de garantir sa sécurité.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de relever qu’il est difficilement compréhensible pourquoi des membres de la communauté albanaise du Kosovo considéreraient comme collaborateur avec les autorités serbes quelqu’un qui a été emprisonné, « sans raison », pendant un an et demi par lesdites autorités serbes et qui n’a été libéré que par les forces internationales qui sont intervenues pour mettre fin à la guerre qui sévissait au Kosovo, à supposer les allégations afférentes du demandeur comme étant véridiques.

Ceci étant, force est encore de constater que les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes, ce défaut de protection devant être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre en raison d’une prétendue collaboration avec les autorités serbes, mais il ne fait cependant pas état d’éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, la situation de sécurité générale des « bochniaques » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « bosniaques » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

En l’espèce, le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer sa protection, les craintes exprimées par lui en raison de la prétendue hostilité de certains Albanais à son égard et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analysent, au contraire seulement en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 2 juin 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15795
Date de la décision : 02/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-02;15795 ?

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