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02/06/2003 | LUXEMBOURG | N°15763

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juin 2003, 15763


Tribunal administratif Numéro 15763 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2002 Audience publique du 2 juin 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15763 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, assistée de Maître Aurore GIGOT, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à

Mogadisho (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la...

Tribunal administratif Numéro 15763 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2002 Audience publique du 2 juin 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15763 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, assistée de Maître Aurore GIGOT, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mogadisho (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 30 septembre 2002, notifiée par le 7 octobre 2002, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 20 novembre 2002 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sarah TURK et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

Le 30 janvier 2002, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 28 février 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 30 septembre 2002, notifiée le 7 octobre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire qu’en 1991 vous auriez quitté la Somalie à cause de la situation politique. Ayant vécu à divers endroits en Ethiopie pendant plus de 10 ans vous auriez quitté l’Ethiopie le 24 janvier 2002. Vous auriez auparavant fait appel à un passeur éthiopien à Addis Abeba qui vous aurait organisé votre départ pour l’Europe et un visa de transit de 2 jours pour l’Egypte. Vous seriez alors parti par avion à Ankara en passant par le Caire et vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 29 janvier 2002.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 30 janvier 2002.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays parce que le clan des Abgaals aurait attaqué la ville de Mogadishu en février 1991 et que les forces du général Aidid auraient été à deux jours de marche de la ville prêtes à affronter le clan adverse. Ainsi votre maison aurait été pillée et vous auriez été frappé par un des assaillants. Vous et votre mère auriez été contraints avec de nombreuses autres personnes de fuir vers le sud en direction de Kismayo et puis en direction de la frontière éthiopienne qui avait été ouverte par l’armée éthiopienne pour permettre d’accueillir l’influx de réfugiés somalis. Beaucoup de personnes seraient mortes à ce moment entre la Somalie et l’Ethiopie. Vous auriez continué en direction de Dire Dawa dans l’est du pays où vous êtes restés jusqu’en mars ou avril 1993.

Puis vous seriez allé à Addis Abeba d’où votre mère serait partie en 1995 pour aller au Kenya où elle vivrait à Nairobi maintenant avec un groupe de femmes somalies. Vous seriez resté à Addis Abeba où vous habitiez dans un hôtel ayant principalement des clients somalis.

Vous continuez qu’en 1993 beaucoup de Somalis auraient été envoyés de force dans des camps de réfugiés sur la frontière somalienne où les conditions de vie auraient été exécrables selon certaines personnes qui en seraient retournées. On n’aurait cependant pas réussi à vous attraper. Vous alléguez que jusqu’au moment vous avez quitté la capitale en 2002 vous auriez vécu grâce à l’argent que votre oncle vous aurait envoyé mensuellement de Johannesburg en Afrique du Sud.

Vous dites appartenir à la minorité ethnique des Midgans qui seraient considérés comme des traîtres par les autres Somalis et ne jouiraient d’aucun droit dans votre pays ensemble avec les autres castes inférieures tels que Tumal et Yebir. Vous affirmez que les Midgans viendraient historiquement du Nord (Hargeisa, Bosasso) où ils auraient été chassés et leurs terres occupées par d’autres clans, dont le clan des Isaaq. Vous continuez que les Midgans n’auraient aucune considération auprès des autres clans et qu’ils n’auraient jamais eu accès au gouvernement ni à l’administration. De toute façon il aurait été presque impossible de trouver du travail en tant que Midgan et l’accès à l’éducation supérieure était réservé à d’autres clans.

En tant que Midgan vous dites également avoir peur des différents clans de Hawyie qui sont toujours à Mogadishu et vous ajoutez que les Hawyie détestent les Midgans. Vous précisez que si vous deviez retourner là-bas vous seriez tué. Quand le général Aidid était venu au pouvoir à Mogadishu il avait menacé publiquement de tuer tous les membres des Midgans et des Darods, le clan de l’ex-président Siad Barre qui a été renversé en 1991. A l’époque les différents clans Hawyie étaient encore unis avec le général Aidid jusqu’à ce qu’ils commencent à tuer, violer et piller fuyant la famine à l’intérieur du pays. C’est Aidid qui leur avait promis de partager le pouvoir avec eux et de s’unir contre tous les autres clans. Vous affirmez que les Midgans auraient été ceux qui auraient le plus souffert à ce moment. Quand vous auriez fui Mogadisho, seuls les clans Hawyie seraient restés et auraient commencé à se battre entre eux jusqu’à ce que les forces des nations Unies sont arrivées en 1993. Vous prétendez que depuis ce temps les combats pour le contrôle de la ville et d’autres régions de la Somalie se poursuivraient inlassablement et les moments calmes où il n’y aurait plus de conflits interclaniques ou de luttes de pouvoir ne perdureraient jamais.

Vous poursuivez que vous ne pourriez pas non plus retourner en Ethiopie et notamment à Addis Abeba où vous auriez vécu pendant 10 ans avec l’argent de votre oncle d’Afrique du Sud parce qu’il vous y serait impossible d’y trouver un travail, de vous nourrir et de vous loger étant donné que votre oncle ne vous soutiendrait plus.

Je souligne d’abord que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Sans préjudice quant à la réalité et à la véracité des faits que vous invoquez, à savoir d’avoir vécu en Somalie jusqu’en 1991 où les rebelles auraient atteint Mogadishu et attaqué la ville de Kismayo et que vous auriez été obligés de fuir en Ethiopie et d’appartenir à la minorité des Midgans, il faut remarquer que même supposés établis ces faits, ils ne sauraient constituer un motif justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, vous alléguez que vous ne seriez pas retourné en Somalie depuis 1991. Vous auriez cependant vécu pendant presque 10 ans à Addis Abeba capitale de l’Ethiopie, mais vous n’avez à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous n’auriez pas été en mesure de demander le statut de réfugié en Ethiopie.

Vous y auriez de plus vécu en sécurité car vous ne faites pas état de quelconques problèmes à ce niveau. Ainsi l’Ethiopie en tant que pays vous ayant accueilli ainsi que beaucoup d’autres réfugiés somali doit être considéré comme pays tiers sûr où vous avez déjà bénéficié d’une protection de la part de l’Etat éthiopien.

L’autre motif que vous invoquez, à savoir le fait que vous que votre oncle ne vous enverrait plus d’argent et que vous seriez incapable de trouver du travail en Ethiopie ne saurait être de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Par ailleurs, vous dites que votre oncle vous aurait envoyé 50 à 100 $ par mois pour survivre. Le fait que vous avez payé 2500 $ au passeur démontre qu’il vous restait suffisamment d’argent pour survivre en Ethiopie.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 4 novembre 2002 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 20 novembre 2002.

Le 20 décembre 2002, Monsieur … a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre les décisions ministérielles de refus des 30 septembre et 20 décembre 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire de Somalie et que, tant au moment de son départ, qu’à l’heure actuelle, la situation générale y serait mauvaise et qu’il y existerait des tensions interethniques rendant impossible qu’il y retourne, étant relevé qu’il appartiendrait à la minorité des « midgans ». Il ajoute encore avoir quitté l’Ethiopie (2001), pays où il avait trouvé refuge suite à son départ de Somalie (1991), en raison du fait que les conditions de vie n’y auraient pas été satisfaisantes et parce que faute d’y avoir trouvé du travail, il n’aurait plus pu subvenir à ses besoins suite au refus de son oncle de continuer à l’aider financièrement.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater d’une part que la situation du demandeur n’est plus à apprécier principalement par rapport à son pays de naissance, à savoir la Somalie, mais par rapport à l’Ethiopie, étant donné qu’il a quitté la Somalie en 1991 et qu’il a pu trouver refuge en Ethiopie pendant une dizaine d’années. Il s’ensuit que les craintes de persécutions avancées par le demandeur en cas de retour en Somalie manquent de pertinence pour apprécier sa situation actuelle par rapport à sa terre d’accueil.

D’autre part, le demandeur n’a pas fait état, mise à part des problèmes économiques, qui ne sauraient à eux seuls justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, ni d’un risque de ne plus pouvoir continuer à résider en Ethiopie et d’être renvoyé vers son pays d’origine, ni d’une persécution subie en Ethiopie ou d’une crainte concrète d’y être persécuté.

Au contraire, le récit du demandeur traduit essentiellement un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait démontré que la vie lui serait, à raison, intolérable en Ethiopie.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 2 juin 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15763
Date de la décision : 02/06/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-02;15763 ?

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